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Fouad Riyad : Magistrat de père en fils

May Sélim, Mardi, 13 janvier 2015

Professeur de droit international, ancien juge à la Cour Pénale Internationale (CPI) et actuel président de la commission d’enquête sur les incidents de l’après-30 juin 2013, Fouad Riyad est un homme de justice et d’humanité qui s’est souvent retrouvé dans les coulisses de procès qui ont défrayé la chronique.

Fouad Riyad
Fouad Riyad, Professeur de droit international, ancien juge à la Cour Pénale Internationale (CPI) et actuel président de la commission d’enquête sur les incidents de l’après-30 juin 2013. (Photo : Mohamad Hassanein)

Vers la fin du mois de novembre dernier, Fouad Riyad a fait des déclarations qui ont fait couler beaucoup d’encre. En tant que président de la commission d’enquête sur les incidents de l’après-30 juin, il avait tenu une conférence de presse où il a exposé le résumé d’un rapport de 800 pages, expliquant ce qui s’est passé au lendemain du 30 juin 2013, notamment les événements survenus durant la dispersion du sit-in devant la mosquée de Rabea Al-Adawiya, et qui ont fait 503 morts, 286 blessés et 80 personnes portées disparues, parmi les rangs des Frères musulmans. Ce rapport était le résultat d’une année d’investigation, sous la houlette de Riyad, professeur de droit international et ex-juge à la CPI.

D’aucuns ont émis de véritables doutes quant à la netteté de ces propos, jugeant le rapport « peu sérieux », alors que d’autres ont tenu à défendre la crédibilité de Fouad Riyad qui, pour sa part, est resté inébranlable. En effet, le juge octogénaire possède une longue carrière derrière lui, et ne peut pas se laisser influencer par l’opinion publique. Il a l’habitude des grands tapages médiatiques, depuis son travail à la CPI. Car c’est Riyad qui a préparé le dossier d’inculpation contre Mladic et Karadzic, les deux principaux artisans du massacre de Sebrenica en juillet 1995, ayant fait quelque 8000 morts parmi les musulmans, dans le siège de Sarajevo.

Sans même chercher à répondre ou à se justifier, il s’est contenté de présenter les faits concernant les événements de Rabea Al-Adawiya, comme mentionnés dans le rapport, appuyé par 11000 documents et quelque 60 recommandations, livrés par les membres de ladite commission. « La justice est aveugle. On a une position neutre. On n’aborde que les faits justifiés et les preuves. Le rapport fait partie de l’histoire de l’Egypte. Seule la présidence de la République a le pouvoir de l’imprimer. D’ailleurs, il sera traduit en trois langues : l’allemand, l’anglais et le français », fait remarquer Fouad Riyad, ajoutant : « Au départ, j’ai hésité à accepter la présidence de cette commission. La tâche était assez lourde, et moi, je cherchais plutôt ces derniers temps à se décharger de mes fardeaux. Je continue à enseigner à l’université, mais aussi je consacre le gros de mon temps à défendre les droits de l’homme et à combattre la discrimination sous toutes ses formes, qu’elle soit à base de religion, sexe ou classe sociale ».

Riyad a fait ses débuts très tôt. La licence en poche, il a poursuivi ses études en France, puis en Angleterre. De retour au Caire, il a tout de suite fait partie du corps enseignant à l’Université du Caire, faculté de droit. Il a aussi gardé son titre d’avocat, travaillant dans les cabinets internationaux d’expertise juridique. Il a été souvent invité pour des conférences internationales sur les droits humains et la justice internationale. Cette présence sur l’échiquier mondial l’a beaucoup aidé à être sélectionné en tant que juge à la CPI.

En fait, c’était Fouad Riyad qui avait décidé de mettre un terme à son travail au sein de la CPI, ayant jugé qu’il était temps de retrouver son pays et de défendre les droits des Egyptiens. Son livre Les Soucis de l’Egyptien en témoigne. « C’est un livre qui a annoncé la révolution et qui touche de près aux blessures du peuple, hommes et femmes. Il a été publié six mois avant le 25 janvier 2011. Je voulais rattraper les violations des droits de l’homme sous l’ancien régime de Moubarak. Pendant 30 ans environ, on a presque vécu dans la stagnation, ce qui est contre le cours normal de la vie », a-t-il déclaré. Ce livre, qui dévoilait les problèmes des citoyens, n’a pas manqué de déranger et a même écarté Riyad des listes du prix Moubarak dont le montant s’élève à 500 000 L.E. « Peu importe », dit Riyad, lequel préfère toujours assumer ses choix et ses responsabilités.

Son véritable plaisir est d’enseigner, d’entrer en contact avec les étudiants et de poursuivre son action au sein de multiples commissions et ONG des droits de l’homme.

Fasciné par la justice, il aime aussi l’Art et l’Histoire, avec une majuscule. Sa bibliothèque bien garnie regroupe ainsi des ouvrages très variés, complétant le décor de sa maison aristocratique. Un tas de disques et de CD de musique classique, une collection privée de sculptures et de peintures fignolent les dernières retouches de son chez-lui. Au milieu de ce monde artistique figurent deux photos de lui qu’il aime tant: une photo pendant qu’il joue au violon et une autre le montrant en uniforme à la CPI. Le juge se contente de contempler ses souvenirs, d’en parler longuement, passant d’une histoire à l’autre.

Issu d’une famille de juristes, Fouad Riyad a été introduit à ce monde dès sa tendre enfance. « Mon grand-père était juge, mon père aussi. Ce dernier a été d’abord professeur de droit, ensuite juge, puis conseiller à la Cour de justice. Il a même représenté l’Egypte à la création des Nations-Unies. Je le voyais travailler et j’assistais à certains procès… A la maison, je l’observais avec ses étudiants. Depuis l’enfance, je suivais les discussions juridiques. Mon père m’emmenait parfois à des conférences internationales. C’était mon monde, tout simplement », lance-t-il avec fierté. Toute sa vie tourne autour de ce mot: « la justice ». Faire donc des études en droit a été comme un choix intuitif, selon ses termes. Et travailler dans le domaine juridique était presque une vocation innée. « J’étais convaincu que les deux professions les plus importantes, celles que je voudrais exercer au moins, étaient : l’enseignement et la justice », estime Riyad, qui a eu la chance de remplir ces deux fonctions. Car il a mené 50 ans de carrière en tant que professeur et a pu assouvir sa passion dans les instances juridiques. « Transmettre le savoir à autrui est une profession sacrée, surtout dans un pays comme l’Egypte, où la société est divisée en deux: les intellectuels, ou l’élite, et les illettrés. Pire encore, les alphabètes qui savent lire et écrire n’ont souvent aucune culture ni ont l’esprit obtus. Donc instruire, communiquer, échanger les idées avec les autres s’avèrent être une mission noble. L’enseignement est la pierre angulaire de la société », évoque le juge averti.

L’enseignement est devenu pour lui l’objectif d’une vie. C’est le moyen de faire table rase des préjugés faisant prévaloir la discrimination. Ainsi il a fondé au Caire, avec un groupe d’experts internationaux, l’Association internationale des services civils visant à organiser des colloques et des conférences sur les droits des citoyens dont, entre autres, le droit à l’apprentissage et à l’éducation. « Enseigner c’est un métier d’interaction », répète souvent celui qui se plaît dans le rôle du maître, également ami des étudiants. « Ma relation avec eux ne se limite pas aux cours. Je suis leurs démarches, leurs carrières… un rapport étroit se noue entre nous ». Parmi ses disciples, à titre d’exemple, Amr Moussa, fin diplomate et politicien, ainsi que plusieurs autres ministres. « Beaucoup de ministres ont suivi des études en droit. Cette étude ouvre de nouvelles perspectives et développe la fibre sociale », ajoute-t-il.

Son fils et sa fille ont effectué eux aussi des études en droit et sont tous les deux juristes. Ses petits-enfants, également. L’amour de la justice coule apparemment dans les veines de cette famille hors pair. « Pourtant, dit-il, l’Egypte a besoin en ce moment d’une main-d’oeuvre qualifiée. Le droit est une science sociale intéressante, mais le pays a surtout besoin de ceux qui travaillent avec les mains. La sous-estimation et l’injustice sociale que subissent les ouvriers sont désolantes ».

Tel père, tel fils, dit-il. « Parfois j’ai l’impression de parachever la mission de mon père qui oeuvrait à la justice, sur les deux plans national et international. Après sa mort, j’ai senti que je devais prendre la relève », avoue-t-il. Le père, éminent juge et législateur, avait contribué à l’élaboration de plusieurs lois condamnant le génocide à travers les instances des Nations-Unies. Quelques années plus tard, Fouad Riyad a pu mettre cette loi en oeuvre, en travaillant sur les crimes commis contre les civils entre 1992 et 1995 en ex-Yougoslavie, en tant que juge à la CPI. « Les diverses phases de ma vie se chevauchent », dit Riyad, conscient que rien n’est gratuit sur la terre. Tout est lié. « Pendant mon travail à la CPI, j’étais chargé de procès concernant des crimes de guerre et d’épuration ethnique. J’ai constaté à quel point ceux-ci sont atroces et variés. J’éprouvais des sentiments pénibles. Pourtant, je poursuivais mon travail avec la plus grande objectivité ». Et d’ajouter: « Qu’il s’agisse d’un criminel de guerre ou d’un meurtrier, il faut comprendre qu’il a des droits humains qu’on ne doit pas violer ».

Grâce à une carrière extrêmement riche, Riyad s’est souvent retrouvé dans les coulisses des affaires internationales. Monsieur le juge ne se lasse jamais néanmoins et multiplie les petites histoires. Même s'il est parfois bavard sur son parcours, il respecte les droits de réserve et ne livre pas ses secrets.

Jalons :

1928 : Naissance au Caire.

1947 : Mort de son père.

1955 : Professeur de droit international à l’Université du Caire.

1995-2004 : Juge à la CPI.

2014 : Président de la commission d’enquête sur les événements post-30 juin.

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