Après avoir brillé sous les feux de la rampe lors du Festival international du film de Dubaï grâce à son film Ossit Sawani (Blind Intersections), Nibal Arakji vient de produire une nouvelle comédie réalisée par Elie Khalifé. Le film, qui sera à l’affiche dans quelques semaines, fait déjà parler de lui au pays du Cèdre et ailleurs. « Le titre est révélateur de l’essence même du scénario, car il renvoie aux houleux quotidiens de tous les galériens de la vie, qu’ils soient célibataires, mariés, divorcés ou en instance de le devenir », dit Arakji. Oui, avouons-le, ce titre doit être incitatif, mais il est également informatif et socialement engagé. « Célibataires, mariés, divorcés... Vivement la délivrance » n’a pour but ni de pousser le public à broyer du noir, ni d’inciter les uns ou les autres à se morfondre dans leur coin. Le but en est plutôt d’inviter le commun des mortels à toujours chercher la petite étincelle dans les relations amoureuses, à leur début comme à leur fin, et à en profiter pleinement. Autrement dit, « la fin d’une histoire d’amour ne signifie pas forcément la fin du monde. De même, se laisser passer la bague au doigt s’annonce rarement comme dans un conte de fées. Aussi, sauver un amour qui agonise est-il une chose possible. Il suffit d’y croire très fort », affirme la productrice, mieux connue en tant que scénariste.
Grande amoureuse du petit et grand écran, Nibal Arakji a depuis toujours rêvé d’être actrice de cinéma, écrivain, journaliste ou animatrice télé. Mais ses proches, qui n’ont jamais sous-estimé ses compétences, ne la prédestinaient pas à devenir tout cela à la fois. Et pourtant, c’est ce qui s’est réellement produit chez les Arakji. Car au lieu de ne pas savoir lequel de ses rêves elle devait réaliser, leur fille a fini, comme par magie, par les réaliser tous, d’un seul coup de baguette.
Mais une rétrospective s’impose pour comprendre tout cela: au commencement était l’admiration de la petite Nibal pour tout ce qui brille. Les projecteurs, les boîtes à merveilles, les robes bling-bling, les stars de télé, les séries françaises pour juniors et un peu plus tard, les cours de théâtre, ses paillettes, ses guirlandes et ses tenues multicolores.
A l’âge de 6 ans, l’univers imaginaire de la fillette surdouée était plein de notes, de couleurs, d’idées et de découvertes. A l’école, la petite Arakji a toujours brillé en cours d’expression écrite. Pour ses premières enseignantes, c’était des dissertations qu’elle produisait. Voire des projets de livres pour juniors, écrits par une jeune fille précoce qui grandit chaque jour davantage. Mais ses meilleurs moments, elle les passait en cours de théâtre, comme il s’agissait d’une activité où les artistes juniors joignent l’utile à l’agréable. Bref, elle jubilait à l’idée de se mettre devant un public et lui parler.
Son enfance durant et jusqu’à la fin de son adolescence, Nibal a littéralement brillé dans les matières liées à l’expression corporelle et écrite. Le baccalauréat en poche, elle décide de s’inscrire en faculté d’arts et de communication. Ce qui n’est pas un problème pour la jeune femme qui a vécu à Paris jusqu’à la fin de ses 25 ans, période à laquelle elle était déjà titulaire d’une licence en communication artistique et d’un master en marketing.
Chemin faisant, elle surprenait son entourage par son énergie à revendre et se surprenait elle-même. Car après avoir franchi le cap des 25 ans, elle a décidé de commencer à réaliser ses rêves d’enfant. Mais par quoi devait-elle commencer? Assouvir sa soif de tout savoir sur l’univers du septième art parisien? Sortir son premier roman? Réaliser un film? Ecrire un scénario? Faire le tour du monde en 80 jours dans sa tête en lisant des tonnes de livres? Bref, elle ne pouvait hésiter le moins longuement du monde. Elle, qui n’aime pas perdre son temps à attendre, comme elle le dit si bien. Le grand choix est fait, écrire dans la presse. Du coup, elle est devenue journaliste et l’est restée pendant des années avant d’enchaîner, une décennie plus tard, avec une carrière de chargée de publicité dans une grande boîte de communication.
A ce moment même de l’Histoire, un foudroyant désir de sortir son premier livre a fini par lui effleurer l’esprit. Au bout de plusieurs mois d’écriture, la femme fatale qu’elle est a publié en 2006, « Les Hommes sont des salauds et les femmes ne valent pas mieux ». C’est ainsi donc qu’elle a réussi sa majestueuse entrée dans le marché de l’édition au Liban, au grand bonheur de son entourage.
Au bout de quelques semaines de sa sortie, le livre se vend comme de petits pains. Le style de Nibal Arakji, conciliant humour et précision, n’a pas manqué de séduire.
Puis, elle enchaîne avec une nouvelle expérience, cette fois-ci l’écriture d’un scénario, lui aussi palpitant: décrire fidèlement les contradictions des sociétés arabes, faire fi des tabous sous toutes leurs formes, et le plus dur dans tout cela, c’est de sauter d’un extrême à un autre, sans exagération aucune. Ce scénario est, en d’autres termes, le schéma imaginaire d’un Liban sans sectarisme qui n’a pas tardé à séduire la réalisatrice Lara Saba. Les deux femmes ont donc donné naissance, en 2012, à ce film qui s’intitule Ossit Sawani. Une comédie dramatique que des millions de cinéphiles ont pu admirer pendant qu’il faisait le tour des festivals internationaux.
En écrivant ce scénario, Nibal Arakji ne nous a pas dit à quelle religion les personnages appartiennent. Si leur pays a connu la guerre, le sectarisme, le terrorisme ou pas. Si chez eux les élections législatives et communales sont plus importantes que le fait de trouver un gagne-pain décent. Elle nous a par contre parlé de leur humanisme débridé. De leurs qualités et défauts, de leurs rêves, craintes, problèmes et manière de penser. A aucun moment du film, un personnage a tenu un discours religieux, qu’il soit haineux ou pas. A aucun moment la scénariste n’a lié les erreurs d’un personnage à la région ou à la ville d’où il vient.
Dans ses écrits, les conséquences sont expliquées par les causes; la bonté est expliquée par l’humanisme et la méchanceté est liée aux mauvaises intentions de l’espèce humaine.
« A mon humble avis, lier les faits et gestes des personnages d’un film à leurs nationalités est tout sauf une coïncidence. En ce qui me concerne, je n’aime pas entrer dans ces engrenages inextricables. L’humain est ce que son éducation, ses voyages et ses principes ont fait de lui. Lorsque nous savons que dans certains pays développés, les messages qui oeuvrent pour la paix passent plus facilement par le cinéma et les arts en général, nous nous demandons pourquoi il existe des producteurs et réalisateurs qui ne font qu’enraciner les clichés dans leurs films », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « Lorsque je dois parler d’un personnage qui incarne le mal, je lui donne un prénom et une famille. Un point c’est tout ».
Grâce à sa faculté de voir les détails inhérents à la vie sociale au Liban, l’artiste a pu décoller en peu de temps. Ses personnages vivent dans les mêmes circonstances spatio-temporelles qu’ils ne peuvent pas apercevoir. Selon ses propres termes, la maturité artistique n’y est pas vraiment pour quelque chose: « La société libanaise est hétéroclite. Tout y est, les signes d’ouverture, les tabous, les joies, les méandres du destin, les hauts, les bas, l’optimisme de la jeunesse, les expériences bouleversantes vécues et relatées par des personnes de l’ancienne génération, les souvenirs de guerre et les jours de fêtes, le brassage religieux et culturel, mais aussi la présence de quelques trouble-fêtes sur notre territoire. Tout cela fait que le réalisateur libanais ou n’importe quel porteur de message artistique a tout pour donner naissance à un beau travail artistique Made in Lebanon».
Et pourtant, il existe dans le monde arabe des critiques de cinéma qui lient le succès d’une réalisatrice ou d’une productrice libanaise au simple fait d’avoir étudié à l’étranger. Mais sans doute la personnalité d’Arakji y est pour quelque chose. Une grande volonté et une témérité hors norme. Voici les deux ingrédients qui l’ont menée là où elle a toujours rêvé d’être. A savoir les tapis rouges des grands festivals de cinéma.
Ses quelques films témoignent d’une bonne dose de militantisme et d’une touche d’innovation. En effet, son film Ossit Sawani débat avec ferveur de la cruauté de l’existence dans une société qui, malgré sa « jolie vitrine », est pleine de tabous. Les personnages qu’on dirait des nôtres viennent de trois classes sociales différentes et traversent des moments durs. Bien qu’ils ne se connaissent pas du tout, leurs destins finissent par se lier en quelques secondes seulement, rompant ainsi avec leurs instants tragiques.
De même, le fait qu’elle a parlé de pédophilie et de personnes qui rendent l’âme dans des histoires de trafic de drogue n’a pas tardé à causer l’ire de certains défenseurs de l’image du Liban à l’échelle internationale. Selon eux, « le linge sale se lave en privé, et le cinéma est un transmetteur de messages. Autant faire passer les bons ». Or, pour Nibal Arakji, le cinéma n’est pas censé maquiller la triste réalité de certains phénomènes qui se passent bel et bien au Liban. « Montrer la réalité telle qu’elle est, exposer les fléaux sociaux dans le but de les traiter, les exposer voire, pourquoi pas, les éradiquer, telle est la mission de l’artiste engagé, qui se bat pour une idée. Un artiste, quoi qu’il fasse, ne saura jamais satisfaire tout le monde, autant satisfaire les familles des victimes de pédophilie et des autres phénomènes mortels qui font des ravages dans tout le monde arabe », rétorque-t-elle. Et d’ajouter : « Deuxièmement, si certains se sont reconnus dans quelques scènes du film, c’est bien parce qu’elles les ont interpellés. Je n’aime pas enfermer mes personnages dans un noyau social. Le cosmos humain leur va beaucoup mieux et interpelle davantage de personnes concernées par le changement positif ».
Parler de Nibal tout court, c’est surtout parler de la militante qu’elle est dans sa vie de tous les jours. Son entourage témoigne que même si elle ne parle pas de sectarisme dans ses films, elle participe aux manifestations et sit-in qui condamnent la ségrégation ethnique et religieuse qui sévit au Liban depuis des décennies. Aussi est-elle une fervente défenseuse de la condition féminine dans le monde arabe et de la petite enfance violentée. Pour elle, « les droits s’arrachent et ne se demandent pas ».
Jalons :
1975 : Naissance au Liban.
2000 : Rejoint l’univers des médias.
2006 : Sortie de son premier livre Les Hommes sont des salauds et les femmes ne valent pas mieux à Beyrouth.
2012 : Elle produit et écrit le scénario du film Blind Intersections, de Lara Saba.
Janvier 2015 : Sortie de son film Célibataires, mariés, divorcés... Vivement la délivrance.
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