Elle vient de rentrer en Egypte après plusieurs séjours à Singapour, aux Etats-Unis et en Italie. A travers ces voyages, elle recherche de nouvelles méthodes d’apprentissage et d’enseignement. En même temps, elle en profite pour promouvoir les activités de son ONG de par le monde. La jeune Egyptienne, ex-capitaine de l’équipe de basket-ball au club Guézira et ex-ingénieure, Yasmine Hélal vient d’être choisie par la revue Arab Women Rising (publiée par la Wharton Business School) parmi les meilleures 16 entrepreneuses du monde arabe. Et ce, pour la fondation et la gestion de son ONG Educate Me (éduque-moi) laquelle adopte un système d’enseignement et d’apprentissage novateur, s’adressant plutôt à ceux qui cherchent à décrocher des diplômes scolaires entre l’âge de 4 à 15 ans. « Je ne rate aucune occasion afin d’apprendre la gestion et l’entrepreneuriat social. A Singapour, j’ai participé à une conférence sur mon expérience dans Educate Me. Aux Etats-Unis, j’ai suivi le programme de Global Sports Mentorship. En Italie, j’ai pris part à un atelier consacré aux meilleurs 20 entrepreneurs de la région méditerranéenne », explique la jeune directrice de Educate Me qui menait auparavant une vie tout à fait différente. Avant l’an 2010, Yasmine Hélal était ingénieure dans une multinationale de télécommunications. Elle est aussi une sportive au club Guézira, au Caire.
Son temps était bien partagé entre son travail quotidien et le basket-ball. « J’ai choisi moi-même des études en ingénierie. Je travaillais comme programmeur et restais devant mon laptop de 9h à 16h. Quant au sport, j’étais initiée au basket-ball par ma mère qui me trouvait timide et peu sociable. Elle pensait que la participation à un jeu collectif pouvait changer mon caractère », évoque Hélal en souriant. Un incident vient bouleverser sa vie. « Un jour j’assistais à une projection de documentaires à l’espace Darb 1718, dans le Vieux-Caire. A la sortie, trois petits garçons-m’ont demandé de l’argent. Je leur ai plutôt donné des cartables, à la place de l’argent. Car la société où je travaillais à l’époque offrait de la papeterie et des fournitures scolaires dans le cadre d’une campagne publicitaire », précise-t-elle. Elle se rappelle les détails de l’histoire, comme si c’était hier, ajoutant : « Un homme pauvre, au prénom de Mahmoud, est venu à son tour me demander trois autres cartables pour ses filles. Je lui ai donc donné rendez-vous le lendemain, au même endroit. Et c’est alors qu’il m’a avoué que ses filles étaient obligées de quitter l’école car il ne pouvait pas payer les frais scolaires, qui étaient environ de 120L.E. ! J’étais choquée, comme si je venais de recevoir une paire de gifles. Comment peut-on vivre tranquillement alors qu’il existe des gens qui sont tellement dans le besoin ? ».
L’incident a fortement secoué Yasmine qui a décidé d’accompagner Mahmoud à l’école de ses filles, la semaine d’après, pour payer les frais de scolarité. « En conduisant ma voiture, j’avais éprouvé un terrible sentiment de culpabilité. Mais j’ai voulu me rendre avec lui à l’école pour être sûre qu’il disait la vérité », poursuit-elle.
Depuis, Yasmine Hélal a compris qu’il doit y avoir des milliers d’autres familles dans les mêmes conditions. « Je sortais de chez moi à 6h, pour passer d’une école à l’autre et aider les parents qui ne parvenaient pas à payer les frais scolaires. Puis, je me rendais à mon travail normalement. Le résultat était immédiat. De plus, je rentrais en contact direct avec les gens », déclare cette philanthrope. Une découverte pour la jeune Yasmine qui a eu l’idée d’élargir son champ d’action, c’est-à-dire former un groupe de bénévoles qui peuvent apporter leur soutien à quelque dix familles et ainsi de suite.
Mohamed Al-Hawa, devenu plus tard son mari, et Amr Al-Salinkly se sont joints à elle, pour mener à bien cette mission noble. Et petit à petit, les trois amis ont décidé de changer de stratégie, mettant sur pied tout un projet beaucoup plus utile aux enfants, à savoir l’ONG Educate Me. « C’était difficile de trouver les familles dans ce besoin. L’ONG Al-Mossaddékoune wal Mossaddékat établie à Talbiya, dans le quartier de Haram à Guiza, nous a introduits auprès des habitants du quartier démuni. Sur Facebook, on a lancé une campagne de donations. On a réussi à collecter l’argent nécessaire pour payer les frais scolaires des enfants. Nos activités et services se sont progressivement développés pour comprendre aussi des cours de soutien dans différentes matières et activités sportives », ajoute Hélal.
Dans sa famille, personne ne la prenait au sérieux. On lui répétait souvent: « Tu laisses tomber l’ingénierie, pour quoi faire? Des oeuvres de charité? Tu es complètement folle ». Malgré la forte pression de son entourage, elle est parvenue à changer de vie. « Je m’en foutais de tous. Au départ, je ne savais pas comment procéder. J’ai voulu aider ces enfants et demandais à mes collègues quels étaient les moyens de le faire », se justifie-t-elle.
A chaque fois, elle avançait sans trop savoir où aller vraiment. Elle creusait, fouillait partout... sans jamais se lasser. Pourtant, pour lancer son ONG, c’était une véritable lutte de titans: financement, fonds étrangers... « J’ai reçu l’an dernier le prix jordanien du roi Abdallah II pour l’entreprenariat social. Avant, je n’arrivais pas à avoir un rond, les règlements étant trop compliqués », se plaint-elle. Pour enregistrer Educate Me en tant que ONG, les procédures ont pris 14 mois! « Je n’avais aucun problème légal et j’ai dit accepter de plein gré la supervision du ministère de la Solidarité sociale, pas de problèmes », avance-t-elle.
Pendant un certain temps, son ONG ne s’intéressait qu’aux techniques et méthodes d’enseignement ciblant les enfants, ceux du quartier de Talbiya notamment. Elle n’avait pas de locaux. Elle travaillait avec les enfants une fois par semaine, n’importe où, dans le quartier. Puis en fin de journée, les bénévoles les raccompagnaient chez eux. « C’était vraiment assez coûteux pour nous. Nos moyens étaient très limités, avec les donations versées uniquement par des Egyptiens », déclare-t-elle.
Finalement, la jeune activiste a réussi à inaugurer un vrai centre, toujours à Talbiya, l’an dernier, afin de travailler avec quelque 200 enfants et leurs parents ou leur entourage proche.
« Nous avons découvert qu’il y avait des enfants à l’école primaire qui ne savaient ni lire ni écrire. L’école n’offrant plus l’enseignement nécessaire », dévoile Yasmine.
Au départ, Educate Me offrait aux enfants un programme complémentaire: langues, mathématiques, activités, sports, etc. Mais ils ne s’intéressaient pas vraiment aux cours présentés. « Nous nous sommes interrogés sur l’efficacité des programmes appliqués. Il fallait en trouver d’autres, allant de pair avec le milieu où on travaillait », raconte-t-elle.
Il fallait surtout demander aux enfants ce qu’ils voulaient apprendre à travers notre ONG. Yasmine Hélal évoque une expérience réussie, témoignant à quel point les enfants sont à même de réaliser des merveilles. « On a posé des questions aux enfants. Plusieurs d’entre eux voulaient apprendre la natation. Donc, on leur a fourni des cours de natation, au centre de jeunesse de Talbiya. Puis, on les a aidés à collecter l’argent nécessaire à ces cours, en organisant une exposition d’artisanat. En vendant les produits qu’ils ont eux-mêmes confectionnés. Ils ont pu gagner le triple du montant nécessaire pour les cours de natation. Cela leur a permis de faire de la natation pendant deux mois », dit-elle très contente.
Depuis, Educate Me a décidé d’adopter un programme pédagogique, proche de la méthode Montessori. A travers les tables des matières: langues, mathématiques, mode, sport, activité, l’enfant a le droit de choisir ce qui l’intéresse, aux horaires qui lui conviennent. « Le problème réside dans le système qui force l’enfant à apprendre des matières sans lui expliquer leur importance, ni lui offrir la chance de choisir entre elles. On subit plutôt une opération de modelage par le système éducatif et par la société. Pourtant, Dieu en créant l’Homme, il l’a muni d’une grande curiosité et d’une volonté d’apprendre », nous confie-t-elle.
La méthode d’enseignement suivie par Educate Me n’a pas tardé à porter ses fruits. La preuve en est la liste d’attente, à chaque nouveau programme. De plus, le centre de Talbiya regroupera 450 enfants. D’autres ONG font appel à ses entraîneurs afin de leur venir en aide. Yasmine Hélal rêve d’appliquer ses méthodes sur une plus grande échelle, en ouvrant d’autres bureaux, y compris dans les provinces. Peut-être aussi en collaborant avec le ministère de l’Education. « C’est mon rêve pour les 30 ans à venir. C’est un peu idéaliste peut-être, mais on est tous prêts afin de le concrétiser », conclut-elle.
Jalons :
2007 : Diplôme de la faculté d’ingénierie.
2010 : Rencontre avec Mahmoud, un père qui n’a pas les moyens de payer l’école de ses filles.
2011 : Début des activités, avec les enfants du quartier de Talbiya.
2012 : Fondation de l’ONG Educate Me.
2013 : Inauguration du centre Educate Me à Talbiya, mariage et prix du roi Abdallah II pour l’entreprenariat social.
2014 : Sélection par la revue Arab Women Rising, comme l’une des meilleures entrepreneuses dans le monde arabe.
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