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Nadine Gueissa : Une vie en recomposition

Névine Lameï, Lundi, 13 octobre 2014

L'ingénieur Nadine Gueissa travaille ses mosaïques, morceau par morceau, pour en faire de beaux objets multiculturels. Avec son mari égypto-allemand, ils ont décidé de revenir au Caire et de ressusciter le patrimoine de la mosaïque.

Nadine Gueissa
(Photo : Mohamad Moustapha)

Les mosaïques de l’autodi­dacte Nadine Gueissa sont à l’image de sa vie: bien agencées, bien étudiées et bien métissées. En parfaite cohé­rence avec la nature et avec les exi­gences du quotidien. Ingénieur de formation, elle a opté pour l’art de la mosaïque, afin d’en faire sa carrière. Ainsi, son passe-temps, la mosaïque, est devenu une passion pour elle. Sa rencontre avec son mari, l’artiste et ingénieur égypto-allemand Hamid Spahi, a consolidé cette passion. Ce dernier devient aussi son mentor. Mosaïste professionnel, il a été formé en Allemagne, en France, en Italie et au Canada. Ensemble, ils ont décidé de revivifier l’art ancestral de la mosaïque, mettant en avant un style décoratif à l’emploi personnalisé. C’est ce qui caractérise leur espace Mille Pezzi (mille pièces, en italien), installé en 2012 dans le quartier cairote de Madinet Nasr. Il ne s’agit pas seulement d’un lieu de formation de mosaïstes, d’ateliers de design d’intérieur et d’extérieur et d'un espace de ventes, mais c’est aussi là où habite le couple Spahi, qui a élu domicile dans un immeuble entouré de verdure, donc un environ­nement propice à la création. Car ils vivent en contact permanent avec la nature.

Dans son appartement moderne, hautement coloré, gai et lumineux, Nadine Gueissa bouge parmi ses outils de travail (marteline et tran­chet), des boîtes rassemblant des milliers de teslas, de couleurs et de formes différentes. Pierre, marbre, émail, verre, galets, Gueissa aime montrer à ses hôtes ses créations en mosaïque (tables, miroirs, guéridons, pots, fresques murales, plateaux, assiettes, etc.). Leur style se distin­gue du goût classique, basé sur le bronze, le cristal, etc. qui a bercé son enfance: dans sa maison familiale d’Héliopolis, il n’y avait que des pièces classiques.

Née en 1973, dans une famille passionnée d’art, la petite Nadine participait à de multiples activités artistiques et excursions scolaires avec son école Notre Dame de la Délivrande. Visite de musées, sites archéologiques, théâtres, mais aussi camps d’été en Egypte, et en dehors du pays, avec l’Association inter­nationale CISV (Children International Summer Village). « C’est le sens de l’indé­pendance et du partage qui m’a nourrie culturel­lement », signale Nadine Gueissa, diplômée en 1996, de la faculté de polytechnique, de l'Université de Aïn-Chams, département architec­ture et urbanisme. « Outre mon engouement pour la masse et le vide, ce qui m’attirait le plus pendant mes années universitaires, c’était l’archi­tecture des mosquées, avec leurs ornementations. Celles-ci étaient inspirées de la nature et occupaient majestueusement le sommet de la construction colossale. Une compo­sition exemplaire qui ne dérange pas la vision du récepteur, sans lui faire perdre la concentration, pour appré­cier la beauté de l’édifice », évoque Gueissa, laquelle tente d’adapter le principe même, avec ses mosaïques, au montage spontané. Elle favorise dans leurs assemblages le collage direct des tesselles sur le support. Le Trencadis est créé à partir d’éclats de céramique, typique de l’architecture moderniste catalane. « La suggestion d’un dessin cohérent et le passage brusque à un dessin chaotique carac­térisent le Trencadis. Le modèle marocain avec sa couleur bleue m’attire énormément. En mosaïque, il faut tout d’abord trouver un fac­teur commun, une couleur, pour en faire le noyau de la composition », explique Gueissa, qui adore les mosaïques de la maison Mohamad Ali, dans le quartier de Manial. De même, elle ne cesse de visiter le Musée d’art islamique, à Bab Al-Khalq, les vieilles demeures de Zeinab Khatoun et d’Al-Séheimi, dans Le Caire fatimide. « Je préfère le style qui assure aux espaces une intimité, sans les isoler de l’entou­rage. J’aime insérer les mosaïques dans le design extérieur d’une villa, ou dans les intérieurs d’une maison : cuisine, salle de bains, spa, chemi­née, escaliers … », dit Gueissa, ajou­tant : « La mosaïque est une matière très durable qui ne s’efface pas avec le temps. D’où son éclat. A mon avis, il faut l’adopter dans nos demeures ».

Nadine Gueissa adopte une méthode proche de son idole, l’archi­tecte Rami Al-Dahan. Elle tire sa force de la nature, lui apporte un air moderne avec des idées simples. Avec son époux, l’architecte-mosaïste Hamid Spahi, ils tiennent à visiter un nouveau site au moins un jour par mois. « De père égyptien et de mère allemande, mon mari a grandi en Allemagne. La famille Spahi possédait dans le temps les plus grandes usines de textile au Moyen-Orient. De retour en Egypte, il voulait redécouvrir la richesse culturelle du pays. En fait, il y est revenu, après la révolution du 25 janvier, nourri d’espoir. Et a décidé de transférer le projet Mille Pezzi, commencé à Berlin en 2010, vers Le Caire en 2012 », précise Gueissa. Elle renchérit: « Mon mari trouve que les Egyptiens ont plus la culture de la mosaïque, à comparer avec les étrangers. C’est un art qui est né au Moyen-Orient; il est partout. C’est l’art de l’harmonie, de l’élé­gance, de la recomposition. Il faut de la patience et de la concentration pour le faire revivre ». C’est ce que prévoit Gueissa, dans les stages de formation offerts par Mille Pezzi, à des gens de nationalités différentes. « Mille Pezzi nous fait découvrir le goût de nos clients. Les étrangers, par exemple, optent davantage pour les mosaïques décoratives, à motifs islamiques et populaires. Alors que les Egyptiens préfèrent les mosaïques plus traditionnelles et utiles. La mosaïque est une forme auto-expres­sion, à effet thérapeutique capable d’aider la personne à surmonter ses problèmes et le stress du quotidien », déclare Nadine, qui pratique constamment le yoga, la méditation transcendantale, pour un surplus de relaxation et de concentration.

Avec son époux, elle fait le tour des sites archéologiques en Egypte, comme ailleurs, notamment ceux réputés pour leurs carreaux, tesselles, verreries et céramiques. A savoir: le Smalti vénitien et le Mille Fiori d’Italie, l’Azulejos de Sintra, du Portugal, le zellij du Maroc. Les car­reaux de céramique de Tunisie, de Turquie et d’Egypte, notamment du village Tunis au Fayoum. « C’est mon époux qui m’a appris à maîtri­ser l’art de la mosaïque. Ce qui nous unit, Spahi et moi, c’est un mode de penser créatif et calme. Et ce, sans compter notre passion pour la gui­tare, la méditation, Van Gogh, la mer, la verdure et les safaris dans le Désert blanc. Il y a une autre passion, celle de l’architecture urbaine et du design d’intérieur », accentue Nadine Gueissa.

La mosaïque offre des possibilités à l’infini. Elle lui permet de réinventer les choses, de s’attar­der sur les détails pour en recréer d’autres. Ce jeu l’enchante. « Nous maîtrisons avec audace la fusion entre l’Occident et l’Orient. Nous mélangeons les techniques pour en faire des designs multiculturels », précise Gueissa, qui a obtenu son GCE de l’Université de Londres, suivi d’un master de géographie vers 1999, à l’Université de New York. Puis, un master en gestion de l’Aca­démie arabe des sciences, de la tech­nologie et des transports maritimes. En 2011, elle obtint un doctorat en gestion. « Je garde de très beaux souvenirs de ma bourse aux Etats-Unis, pendant laquelle il fallait tra­vailler sur des idées capables de réhabiliter un zoo de 100 ans, sans le détruire. D’où sa valeur immor­telle. Personnellement, je déteste détruire la nature. Le zoo est devenu un centre d’art et de culture », déclare Gueissa. Elle souhaite un jour participer avec Mille Pezzi dans un projet national au profit de l’Egypte. Par exemple, aménager ses mosaïques, dans un parc public, à l’exemple du parc Guell de Barcelone, créé par le fameux archi­tecte et mosaïste Gaudi.

Planification urbaine, GIS, marke­ting. Mission accomplie aux Etats-Unis. De retour en Egypte, Gueissa travaille dans Alcan Holding de l’homme d’affaires Mohamad Nosseir. Puis avec Youssef Allam Group. Ses études et expériences variées lui ont permis de prendre une décision pour faire ce qu’elle vou­lait. « J’avais l’occasion de vivre et de travailler aux Etats-Unis, mais je n’aime pas le sentiment d’expatria­tion. Tous les jours, la vie nous offre des données différentes, et c’est à nous de les aménager, chacun à sa manière. Ce qu’il nous faut, c’est la bonne planification », conclut Nadine Gueissa, multipliant les expositions pour mieux faire connaître ses créations.

Jalons:

1973 : Naissance au Caire.

1996 : Diplôme en architecture et urbanisme, faculté de poly­technique, de l'Université de Aïn-Chams.

1999 : Master en géographie, bourse à l’Université d’Etat de New York.

2011 : Doctorat en gestion (Management stratégique), pro­gramme conjoint entre l’Univer­sité de Westbrook et l’Université de Aïn-Chams.

2012 : Mariage avec Hamid Spahi et déplacement de Mille Pezzi vers l’Egypte.

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