Son art se veut différent. Le jeune artiste peintre, Karim Al-Qurity, fait désormais partie de la nouvelle avant-garde égyptienne, oscillant entre références du passé et dynamisme contemporain. Un vent frais qui souffle sur le milieu artistique. Ses œuvres sont d’une jeunesse clinquante, dorées, aguichantes et tape-à-l’œil, empreinte d’une « égyptianité ». Alors elles sont appelées à dépasser rapidement les frontières du pays.
A 30 ans, Al-Qurity, parrainé par la galerie Al-Massar, vient de participer à la 5e Biennale internationale de Beijing, au musée des Arts de Chine. Le jeune artiste s’est vite fait remarquer grâce aux récentes éditions du Salon des jeunes, et là il connaît une percée internationale. « Mon travail était placé dans un coin tranquille de l’immense Palais des arts. Walid Abdel-Khaleq, directeur de la galerie Massar, lui a trouvé une élégance contemporaine, loin de tout académisme », déclare l’artiste avec modestie. « Le Salon des jeunes a toujours visé à promouvoir les jeunes artistes, comme une couveuse de nouveaux talents. Cependant, ce que je reproche à ses responsables, c’est que leurs critères de choix dépendent essentiellement des tendances des commissaires. De quoi ouvrir la voie à toute sorte d’injustice », déclare Al-Qurity, lui-même une découverte du Salon des jeunes, ayant récolté plusieurs de ses prix depuis l’an 2000. Bref, c’est ainsi qu’il a accédé au monde des galeries privées. Et le voilà tenir sa première exposition individuelle, Veau d’or, à la galerie Massar, en avril/mai dernier. De cette série Veau d’or, le jeune artiste a choisi deux œuvres : Vision etPrédicateur obsessif, afin de participer à la 5e Biennale de Beijing, dont le thème est Avenir et Réalité.
Cela va de pair avec le style Qurity, mêlant éléments patrimoniaux et mythologiques aux soucis humanistes contemporains, de manière très expressive. « Il s’agit dans Visionde religions monothéistes, d’histoires de conflit entre Moïse et le peuple d’Israël lors de l’exode des Israélites d’Egypte ... L’aspect le plus spectaculaire concerne le veau d’or. Cette œuvre met en parallèle croyances divergentes d’antan et réalité quotidienne », explique Al-Qurity. Et le Prédicateur obsessif ? Cette pièce traite du pouvoir et de la manipulation. « Inspiré du dialogue conflictuel entre Moïse et pharaon, la peinture inclut quelques versets coraniques, des inscriptions sur une immense chaise vide ».Ses chaises vides sont autant de trônes vacants après le départ de plusieurs pharaons.« La chaise est devenue dans notre culture arabe, un symbole de pouvoir qui envoûte le gouverneur, le poussant à s’accaparer du trône. J’appartiens à la génération qui n’a connu que le régime Moubarak. Un régime que nous continuons à vivre. C’est vrai que les Frères musulmans ont depuis toujours été le parti le plus organisé, mais que faire avec cette organisation tant qu’ils suivent la même politique d’exclusion. Ces multiples déchirements politiques, sociaux et religieux nous ont conduit à un état d’incompréhension, de querelles et de confusion », souligne Al-Qurity, né en 1982. « Au déclenchement de la révolution du 25 janvier, les hommes, à la différence de leurs tendances politiques, se sont réunis avec enthousiasme autour des mêmes principes, réclamant pain, liberté et égalité sociale. Petit à petit, chacun a dressé sa propre liste de priorité », indique Al-Qurity,qui a, en 2010, participé à la 21e édition du Salon des jeunes avec une œuvre intitulée Malaz amén (refuge), au sujet de la Constitution égyptienne. Sur la vitre d’un bus, il a peint des hommes de la Sécurité centrale, assis face à des portraits de gens simples, sur un immense trône, incrusté d’extraits de la Constitution égyptienne. « Je me souviens que quelques jours après le déclenchement de la révolution, le Salon des jeunes devait fermer ses portes. Je n’arrivais pas à reprendre mon travail au Palais des arts, pas loin de la place Tahrir », raconte Al-Qurity, qui ne préfère ni s’impliquer dans la politique, ni participer aux manifestations.
En fait, il s’est contenté, pendant la révolution, de participer aux comités populaires formés au sein de chaque quartier. C’est en paix, seul dans son atelier, au rez-de-chaussée de sa maison familiale, qu’Al-Qurity aime travailler, à l’écart des modes, des écoles et des tendances. Il enseigne à l’académie New Cairo pour les arts appliqués, située pas loin de chez lui. « Lors de la révolution, mon art était mon seul refuge, surtout qu’il m’était difficile de quitter ma famille que je protégeais. De plus, c’était un long trajet à parcourir, jusqu’à la place Tahrir. Je me suis rendu à Tahrir le 4e jour après la chute de Moubarak. Cela m’a beaucoup inspiré ».
La rue égyptienne, les gens, tout ce qui bouge laissant des traces et marquant les lieux constituent de vrais éléments provocateurs depuis 2003, sa dernière année universitaire à la faculté de pédagogie artistique. Le long trajet quotidien, en bus, depuis chez lui à Madinet Nasr jusqu’à son université à Hélouan, lui ont souvent offert une matière brute assez riche. Il s’en sert pour son projet de fin d’études portant sur la peinture égyptienne dans les années 1960. Ensuite, il a choisi de faire son master sur l’influence des guerres dans les années 1920 sur l’art. « Je suis un passionné du rapport société/art. C’est ce que j’ai appris de mon maître tuteur, l’artiste Adel Sarwat. Pourquoi par exemple Francis Bacon dépeint des images de violence assez expressives ? C’était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale … », déclare Al-Qurity, dont le style n’est pas sans rappeler celui de l’artiste français Michel Henricot, avec son côté absurde et le paradoxe entre beauté et horreur du destin, désirs et espoirs avortés. « Sans rompre avec l’héritage des grands maîtres, mon travail ne porte l’empreinte d’aucune école artistique. Ce n’est pas par orgueil, mais par conviction. J’aime Picasso comme j’aime Adel Al-Siwi. J’aime Dan Brown et son Da Vinci codecomme j’aime Naguib Mahfouz et sa Trilogie. Les études comparées sont toujours au service de mon art », précise Al-Qurity, en train de rédiger une thèse de doctorat sur le rapport religio-politique au Moyen-Orient et la peinture contemporaine.
Tout à fait sincère, Al-Qurity n’est pas dupe. Il ne suit ni l’effet de mode, ni la tendance-génération. Loin de là. « J’ai annulé mon compte Facebookcar il nous place dans un environnement trompeur. Je me connecte à des milliers de personnes que je ne connais pas vraiment. Quelqu’un peut me demander, par exemple, de faire passer un verset coranique, pour l’amour du prophète. Et si je refuse, il trouve que cela signifie que je n’aime pas le prophète. Du n’importe quoi ! », s’indigne Al-Qurity. Le lien social, il le maintient plutôt grâce à ses personnages toujours en groupe. Chez lui, il s’agit toujours de masse humaine, d’une foule imbriquée dans une sorte d’élégance confuse. « Barbues, nues ou voilées … mes créatures semblent commandées par une force mystérieuse ou magnétique, silencieuse et austère. Elles s’unissent à la différence de leurs pensées et de leurs identités, mettant l’accent sur leur présence en société. Peu importe les critiques des autres. L’impression de nudité sert à libérer mes protagonistes de la question identitaire. Les sensations humaines en sont les mêmes partout. Je peins l’homme à l’état primitif. Observez le corps d’Adam, c’est un chef-d’œuvre divin, avec ses proportions, sa musculature et sa beauté », dit Al-Qurity, dont le style gomme l’individualité des personnages.
Il s’agit d’une tendance issue de l’art égyptien ancien, où toute représentation est un signe. Al-Qurity rentre, sans allusion directe à l’Egypte, dans la catégorie des artistes usant à fond de leur « égyptianité ». On voit souvent les corps et l’effet d’une lumière crépusculaire opalescente, offrant un reflet nacré. L’artiste associe, dans son œuvre, froideur, individualisme, excentricité, malaise et rejet des traditions. Et c’est précisément à cause de cette réunion d’aspects contradictoires que nous pouvons considérer Al-Qurity comme l’un des rares maniéristes du monde de l’art actuel. « C’est dans ce jeu visuel passé/présent, ancien/contemporain qu’agissent les êtres humains, dans un état presque hypnotique, à l’égard du monde qui les entoure », précise Al-Qurity qui, avec sa taille haute et son allure sportive, aime alterner grands formats d’acryliques sur toiles ou sur bois. « Le support solide m’aide à libérer ma charge émotionnelle », affirme le jeune artiste qui a touché à sa première œuvre à l’âge de 4 ans. A l’époque, son père, sculpteur et pédagogue spécialiste de la santé mentale des enfants, a voulu divertir son fils avec un papier et des crayons. « Mon dessin n’était qu’une charge de couleurs bigarrées que j’ai nommé :Karim, le fort. Je venais juste de regarder à la télévision une course d’athlétisme. Un entourage qui, sans doute, a influé mon dessin. Le choix des couleurs, l’usage de l’espace … autant d’indicateurs qui reflètent le tempérament, l’image qu’on a de soi-même, la qualité des relations avec autrui … pas mal de choses qu’on ne peut pas forcément exprimer, rien qu’avec les mots », souligne Al-Qurity.
Jalons
1982 : Naissance au Caire.
2006 : Participation à la premièreBiennale internationale d’Alexandrie pour les jeunes créateurs.
2008 : Bourse d’artiste résident à la Bibliothèque d’Alexandrie.
2010 : Prix au Festival des arts du Nord, en Allemagne. Prix de la 21e édition du Salon des jeunes.
2011 : Participation au Festival d’art contemporain de Dubaï.
Avril/mai 2012 :Veau d’or, première exposition privée, à la galerie Al-Massar.
Septembre/octobre 2012 : Participation à la 5e Biennale internationale des arts de Beijing.
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