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Abdallah Miniawy : La force de tout dire

May Sélim, Lundi, 30 juin 2014

Mêlant le rap à la musique électronique et aux poèmes soufis, Abdallah Miniawy se lance dans le Spoken Word. Présentant désormais des concerts en solo, il aborde la vie au quotidien, en puisant dans l’héritage mystique.

Visages
Abdallah Miniawy

Sur les planches du théâtre Guéneina (au parc d'Al-Azhar), il miroite une allure simple: une large chemise à carreaux et un pantalon évasé. Il échange des salamalecs prompts avec le public et lance tout court : « Que la paix soit sur vous ». Sans donner trop d’importance aux applaudissements et aux youyous de joie qui fusent de partout, il suit les rythmes de la musique électronique de son collègue, Ahmad Saleh. Ensorcelé, il ferme les yeux et récite son poème, chante, tout en poussant des cris, de temps à autre.

Abdallah Miniawy est chanteur, rappeur, poète et star du Spoken Word (une forme de poésie orale, souvent accompagnée d’autres formes artistiques: musique, théâtre ou danse. La performance se base essentiellement sur les mots eux-mêmes, la dynamique du ton, les gestes, les expressions du visage).

Miniawy, jeune de 20 ans, originaire de la ville de Fayoum, a fait récemment ses preuves, passant d’un succès à l’autre. « Je suis poète», lance-t-il. Pourtant, plusieurs personnes le décrivent comme mounchid (chanteur de louanges), alors que d’autres le classent en tant que rappeur … Quant à lui, il accepte toutes les étiquettes possibles, se sentant bien dans tous les genres musicaux. Il est lui-même à la recherche d’un intitulé de ce qu’il fait. « Mon jeune âge me place souvent dans des situations critiques », affirme-t-il.

Miniawy n’aime pas dévoiler sa date de naissance. « Les gens qui connaissent mon âge me prennent parfois pour un voleur de poèmes. Ils ont du mal à comprendre qu’un si jeune homme, vivant isolé, peut être un vrai poète. Mais pour moi, les âmes n’ont pas d’âge », précise-t-il.

Le jeune poète est, en fait, timide et peu sociable. Pourtant, sur les planches et devant le micro, il devient une personne différente. Il donne l’impression d’être un sage philosophe qui nous rappelle les vérités de la vie et se révolte contre l’injustice. Il renaît par la force de la musique. « Très souvent, je me promène le casque sur mes oreilles. J’écoute tout le temps de la musique rap et j’oublie tout le reste. C’est ainsi que je me sens à l’aise. Je chante et récite mes poèmes à haute voix, dans la rue », dit-il.

Les vers de Miniawy comportent des interrogations, des accusations, des critiques et suscitent des controverses. Kon kama kano (soyez comme ils étaient autrefois) traite des régimes politiques du monde arabe. Om Gamila est plutôt l’histoire d’une vieille et pauvre dame. Kharbachat (griffonnages) puise plus dans le soufisme, etc. Le poète aborde surtout des thèmes de la vie quotidienne, tout en les baignant dans un air de mysticisme. Son vocabulaire, emprunté à l’arabe classique, accentue son côté distinct. Bref, Miniawy représente par excellence le Spoken Word.

Le poète favorise le look du jeune errant avec des cheveux frisés, sac à dos et t-shirt large. Pourquoi donc recourir à l’arabe classique alors qu’il cherche à rompre avec l’image traditionnelle du poète engagé et traditionnel ? « J’ai passé 18 ans en Arabie saoudite. Mes parents, assez protecteurs et conservateurs, m’ont obligé à faire mes études à domicile. Jusqu’au baccalauréat, je passais l’année scolaire enfermé dans notre appartement entre les livres et Internet. Et à la fin de l’année, je passais l’examen tout seul. J’écrivais alors de la poésie dès l’âge de 8 ans. C’était ma manière de m’exprimer », explique-t-il. Et d’ajouter: « Vu mon jeune âge, mon père, mon professeur d’arabe, n’arrivait pas à croire que ces vers étaient les miens. Personne ne comprenait ce que je faisais ». Et c’est la raison pour laquelle Miniawy écrivait clandestinement. Il poursuivait ses tentatives sur la toile, afin de se faire une place dans le monde virtuel, parmi les blogueurs et les administrateurs des sites littéraires.

Il a donc découvert la richesse de la langue arabe classique à travers la littérature. Avide de lecture, il a créé son propre site: « L’espace littéraire arabe », où il publiait régulièrement ses poèmes. « Dans ce site, j’écrivais ce que je voulais. Nous étions à peu près 80 poètes à poster chaque jour un poème chacun. Les notes et les commentaires variaient d’un jour à l’autre; ils portaient sur les termes utilisés, la grammaire, les sujets abordés. L’interaction du public et les discussions en ligne m’ont appris beaucoup de choses », poursuit-il. Mais parfois, le jeune poète se sentait las, car son monde se limitait à son ordinateur. « J’ai voulu briser le cercle des fans de blogs et des sites Web, et je me suis mis à la recherche d’un autre moyen de communication », précise-t-il.

Abdallah Miniawy fouille partout sur la toile et découvre les sites de la musique underground, notamment le rap. « C’est à travers ces sites que j’ai découvert le tout sur cet art que j’ai appris à maîtriser. Les deux sites Bal Rap et Egypt Rap m’ont introduit aux artistes que j’ai rencontrés sur la toile. De plus, avec le logiciel Fruty loobes 7, j’ai pu créer des poèmes et les présenter comme des chansons rap et du Spoken Word », raconte l’artiste autodidacte. Pour lui, il n’est question ni d’apprendre le solfège ni de jouer des instruments différents. Mais avec les moyens de bord, il réussit à lancer tout un album regroupant 7 oeuvres en ligne. Il avait comme titre Al-Nass offline (les gens offline). Malgré le succès remporté sur la toile, Miniawy n’était pas satisfait. « Il y avait quelque chose qui manquait à cette expérience. Rester devant l’ordinateur des heures et des heures n’aboutit pas à grand-chose. Internet n’a rien à voir avec l’interaction vive et directe avec la rue », explique le jeune Abdallah Miniawy, lequel n’a pas tardé à faire connaissance avec le rappeur Ali Talbab. Toujours une rencontre « online ».

Ce dernier l’a beaucoup encouragé et lui a même proposé de se produire ensemble, lors d’un concert au Caire. C’est tout un autre monde qui s’ouvre alors à lui. « Avec Talbab, j’ai appris à monter sur les planches. Il crée des paroles simples et directes. Et a introduit au public quelques morceaux du Spoken Word, tout en expliquant le but de tels sujets », dit-il. Et de poursuivre: « Je préfère garder un petit air mystérieux, afin d’inciter le public à réfléchir ».

Le duo Miniawy-Talbab a connu un succès immense. Leurs concerts se sont multipliés au Caire comme à Alexandrie. Les espaces dédiés à la musique underground les accueillent comme les stars du Spoken Word.

Miniawy se produit au théâtre des Jésuites, dans diverses facultés ou dans la rue. « Jusqu’à présent, Ali et moi, nous essayons de trouver un nom à ce qu’on présente. On veut instaurer un style et un genre particuliers », suggère-t-il. Ce n’est pas purement de la poésie engagée, ni de la musique électronique, ni de la théâtralisation du Spoken Word tout court. Mais un amalgame de tout cela. « C’est plutôt quelque chose qui ressemble à une pierre qui garde en elle son histoire. On essaie de donner à cette pierre une âme humaine, alors qu’elle était silencieuse pendant fort longtemps. On lui donne la chance de s’exprimer. Et la pierre se met à parler », affirme-t-il comme un poète.

Soucieux de gagner un public non passif, d’élargir ses performances et de les diversifier, Miniawy opte aujourd’hui pour les performances en solo. Cela lui offre une plus grande liberté et lui permet de s’aventurer encore plus. Ainsi, il a commencé à apprendre le saxophone, afin de l’utiliser dans un prochain concert, en septembre. Ce sera une belle surprise pour ses fans. « Je veux présenter un spectacle avec ma propre musique, à mon propre rythme », estime le poète.

Miniawy fouille encore et toujours. Il tente de trouver d’autres versions du Spoken Word. Il a même écrit une pièce de théâtre, Aïcha, laquelle verra le jour prochainement. Et ce, en collaboration avec la chanteuse Mariam Saleh. Il ne s’agit pas d’un théâtre au vrai sens du terme, mais l’idée est surtout de faire une théâtralisation de la poésie.

A Alexandrie, au Caire ou n’importe où, Abdallah Miniawy ne cesse de mêler poésie et musique, afin d’adopter la voix des jeunes. Sur les planches, il acquiert de la force, de l’audace, lui permettant de tout avouer, de tout dire. Il touche le septième ciel, épouse l’esprit d’un soufi et nous mène dans un état d’extase. Parfois, ses cris se prolongent et les mots s’effacent … Et l’on voit devant nous un être venant de l’autre bout du monde.

Jalons :

1994 : Naissance en Arabie saoudite.
2012 : Retour en Egypte, au Fayoum.
2013 : Accord avec la société Iqaa et concerts en solo au Cairo Jazz Club et au théâtre Guéneina.
2014 : Participation au festival D-CaF, avec l’expérience « La voix est libre ».
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