Au loin, il fait une apparition un peu théâtral. Un brouillon dans une main, un stylo dans l’autre, il prend place au café Zahrat Al-Bostane, sur une table avec vue sur la rue, dans le centre-ville du Caire. Ses amis, auteurs et artistes l’entourent, ainsi que les vendeurs ambulants, les mendiants et les badauds. Portant une casquette qui le distingue de tous, il ne l’enlève ni le jour, ni la nuit, cachant une petite tête chauve. L’écrivain passe son temps à contempler l’entourage, c’est de là qu’il puise ses personnages.
Ses habitudes quotidiennes, il ne les a pas changées depuis une éternité. Ainsi l’écrivain Mekkawi Saïd vit en harmonie avec tout le reste. Plus encore, il ne peut s’en dissocier. Au centre-ville, il est comme un poisson dans l’eau. C’est le lieu où il habite et où se trouve son bureau. « Les bruits de la ville m’ont beaucoup aidé. Ecrire parmi les gens m’a permis de créer des personnages en chair et en os », avoue l’auteur, qui change souvent de peau, tantôt romancier, tantôt nouvelliste, scénariste, journaliste ou conteur pour enfants. Son fameux roman Taghridat al-bagaa (le chant du cygne, en 2007) a été présélectionné pour le Booker arabe l’année de sa sortie, et Firane al-safina (les rats du navire, en 1991) a reçu le premier prix Soad Al-Sabah pour la création arabe. Et en 2013, il a publié un recueil de nouvelles Al-La maréyoune (les invisibles), lequel a remporté le prix du Salon du livre de la même année. C’est que les années 2013 et 2014 lui ont été très fructueuses, ayant publié respectivement Al-Bahga tahzem haqaëbha (la joie plie ses bagages), Les Cahiers de Tahrir, Les Contes et les lieux (2013) ainsi que le roman Un Petit démon à la recherche d’un emploi.
Issu d’une famille nombreuse, il n’en reste que sa soeur Fatma et son frère Osmane. Ses 7 autres frères et soeurs sont tous décédés de maladie héréditaire. Passionné de lecture depuis sa tendre enfance, il a commencé par acheter les revues pour enfants. Etant le seul à avoir un penchant littéraire en famille, il rédigeait ses réflexions encore étudiant à la faculté de commerce de l’Université du Caire. Puis, il s’est mis à composer des poèmes et à participer aux revues estudiantines. D’où son surnom de « Poète de l’université ». « A un moment, j’ai réalisé que je ne pourrais pas avoir de vraie contribution dans le champ poétique. J’étais plus préoccupé par les problèmes des gens, par leur souffrance. Bref, par raconter leurs histoires dans un cadre romanesque », confie Mekkawi. Sa première expérience de fiction fut alors une nouvelle intitulée Il semble que c’est l’amour, présentée pour la première fois au Club de la nouvelle en 1978. « Depuis, je me suis consacré à l’écriture ». Il a même noué amitié avec l’écrivain Yéhia Al-Taher Abadallah, qui l’a beaucoup soutenu, l’introduisant dans les milieux culturels.
Affligé par la mort prématurée de ce dernier, il a arrêté d’écrire pendant un certain temps. Et a travaillé une vingtaine d’années avec son diplôme de commerce, jusqu’à démissionner en 1996. Pourtant, il était alors directeur financier dans une entreprise de construction.
Influencé par des écrivains de renom tels Naguib Mahfouz, Yéhia Haqqi, Youssef Idriss et Youssef Al-Sébaï, il a présenté des premières productions littéraires qui s’inscrivaient dans la même lignée. Le chagrin est souvent dominateur, puisant ses sources dans la vie des gens et leurs expériences personnelles. Refusant certainement de dévoiler ses sources, l’écrivain se contente de dire: « A chacun sa part de chagrin ».
Mekkawi Saïd a également recours à des formes journalistiques où cohabitent analyses et événements comme dans Karrassat Al-Tahrir (les cahiers de Tahrir), sur la révolution du 25 janvier, et Moqtanayat West Al-Balad (les biens du centre-ville). Cette démarche lui a souvent attiré des critiques de la part des plus conservateurs, qui lui reprochent une « écriture hasardeuse, un peu trop simple ». Pourtant, Mekkawi Saïd précisait qu’il s’agissait d’une écriture hors des classifications habituelles.
Soucieux en premier lieu de la Cité et de ses « créatures invisibles » ou marginales, notamment les enfants de la rue, l’auteur souligne: « Ce sont des bombes à retardement qui peuvent exploser à tout moment. S’il y a une prochaine révolution, ils en seront les instigateurs. Une chose effrayante! Et cela est dû à la nonchalance des responsables qui n’ont pas réussi de réel développement du pays ». D’ailleurs, l’auteur a repris à deux reprises la nouvelle intitulée Sabrine, inspirée d’une histoire vraie, laquelle a figuré dans Les Cahiers de Tahrir et dans La Joie plie ses bagages. Sabrine n’était autre qu’une fille de la rue. « La société ne regarde de telles personnes qu’à des moments critiques de son histoire, avec les révolutions et les guerres. Mais une fois ces périodes achevées, elles retombent aux oubliettes », implore-t-il.
Saïd s’attache aux plus vulnérables, et ses premières oeuvres furent destinées aux enfants. « Mon premier salaire, je l’ai touché de la revue pour enfants Magued. Donc, j’ai l’impression que je leur dois ma réussite. Et de temps en temps, je me sens dans l’obligation de leur faire un clin d’oeil, en publiant un ouvrage destiné aux enfants ». Et d’ajouter : « L’écriture pour enfant est l’une des plus difficiles, car je dois m’identifier à eux et tenter de m’exprimer dans un registre qu’il est à même de comprendre. Le récepteur-enfant est franc, il ne fait qu’exprimer son avis, ce qu’il ressent vraiment ».
L’écrivain a aussi un rapport spécial avec les lieux. Il est souvent le vrai héros de ses histoires. « La Cité est ma priorité. Je n’ai pas vécu en province, du coup, j’en parle rarement dans mes écrits », lance Mekkawi Saïd. Son fameux Taghridat al-bagaa en est la consécration. Car le roman incarne la relation difficile des intellectuels et des laissés-pour-compte de la société, dans le microcosme qu’est le centre-ville du Caire. « Dans le passé, le centre-ville cairote suivait le modèle parisien », dit l’auteur, qui vient de participer à un documentaire à ce sujet. Il y tient le rôle du narrateur, faisant état de ses pensées et de ses observations.
Le cinéma n’est d’ailleurs pas un domaine éloigné pour Mekkawi Saïd, qui a signé un nombre de scénarios, dont deux documentaires sur Naguib Mahfouz (La Visite et La Chambre numéro 12) et un troisième sur le lieutenant-martyr Abdel-Moneim Riyad, intitulé L’Aigle de l’Egypte. Cependant, lorsqu’il a voulu parler de la révolution du 25 janvier 2011, il a choisi de le faire par écrit, à travers une sorte de brouillon, avec des portraits taillés sur le vif, évoquant des personnages qui vivaient en marge de l’événement. « On ne peut traiter profondément de révolution qu’après un certain temps. La révolution égyptienne n’est pas encore arrivée à bout. Elle en est à sa deuxième vague et le reste viendra ».
Souffrance, exil, injustice, chagrin... voilà les thèmes prédominants chez Mekkawi Saïd, souvent présent aux soirées de dédicace consacrées à ses pairs. « Lire les autres est un véritable plaisir. C’est mieux que de se relire, inlassablement. Il y a toujours l’agréable surprise de découvrir l’Autre », conclut-il.
Jalons
Juillet 1956 : Naissance au Caire.
1979 : Diplôme de la faculté de commerce, Université du Caire.
1981 : Publication d’un premier recueil de nouvelles Al-Rakd waraä al-dawë (galoper derrière la lumière).
2007 : Publication de son premier roman, Taghridat al-bagaa (le chant du cygne).
2013 : Sortie des Cahiers de Tahrir.
2014 : Publication d’un roman pour enfant : Un Petit démon à la recherche d’un emploi.
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