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Karima Skalli : Le charisme dans la voix.

Houda El Hassan, Mardi, 03 juin 2014

Surnommée Asmahane du Maroc par la scène musicale égyptienne, la chanteuse Karima Skalli continue de remporter les appellations les plus glorieuses qui soient. Elle maîtrise les grands opus arabes et son propre répertoire est riche d’inspirations.

Karima Skalli
Karima Skalli

En rencontrant Karima Skalli à Marrakech, son fief, elle arborait le plus magnifiquement du monde, une belle tunique marocaine, artisanale et agrémentée d’un collier en argent luisant. Ce qui en dit long sur l’appartenance de la cantatrice à la culture arabesque. D’ailleurs, elle nous a longuement parlé de son amour pour l’artisanat du mondearabe, de ses goûts musicaux dignes d’une dame raffinée et de ses nombreux spectacles aux quatre coins du monde. « Plus qu’une chanteuse, la Marocaine Karima Skalli est un patrimoine », témoigne une affiche du Bureau des Congrès de Paris, annonçant son dernier concert qui a eu lieu le 10 mai dernier.

Karima Skalli est au Maroc ce que Majida Al-Roumi est au Liban et ce que Assala Nasri est à la Syrie. Une chanteuse dont il suffit d’évoquer le nom pour éveiller toutes les âmes sensibles aux douces sonorités classiques, aux belles reprises du bon vieux temps et des inoubliables spectacles à l’Opéra du Caire et celui de Paris. Reconnaissable à sa voix suave, mélodieuse et percutante, certains se plaisent à la situer quelque part entre Asmahane et Leila Mourad. Pour ses admirateurs marocains, Karima reste unique et incomparable. Ceci n’est en rien un avis qui verse dans le favoritisme primaire. Bien au contraire, le public de son Maroc natal l’a mise sur un piédestal pour l’unique raison qu’elle souhaite immortaliser le patrimoine musical arabe et qu’elle fait tout pour y arriver. Son répertoire diversifié témoigne, lui, de l’incapacité de beaucoup de pouvoir l’imiter et encore moins de la supplanter. Mais elle n’est jamais mieux que lorsqu’elle est à Marrakech, la ville Ocre, comme la surnomme les Français. « J’habite à Marrakech depuis tellement longtemps que je sens appartenir à cette ville. Je lui appartiens corps et âme. Il s’agit d’une cité mystérieuse qui a autant de pudeur et d’humilité que de magnificence à tous les niveaux. On a beau maquiller Marrakech et la moderniser encore et encore, cette ville réussit à garder jalousement son secret, telle une belle femme qui refuse de vieillir. D’ailleurs, il suffit que j’y aille pour que je ressente ce bon vieux bien-être extraordinaire », dit-elle, non sans émoi.

Née à Marrakech en 1963 dans une famille aisée, elle était vivement encouragée par son entourage à percer dans le monde de la recherche scientifique à l’instar de ses aïeux de la famille Skalli. Cependant, bien qu’elle ait toujours brillé dans les matières scientifiques à l’école, c’est sous les feux de la rampe qu’elle a rêvé d’être, depuis sa tendre enfance. Mais lorsque son entourage a pu toucher du bout des doigts les prémices de la vedette qu’elle promettait de devenir, les appréhensions de ses parents se sont transformées en félicitations et en de véritables catalyseurs. A l’âge de dix ans, déjà, Karima commence à chanter dans les célébrations familiales, dans les fêtes d’anniversaire de ses proches et amies, mais aussi et surtout, à l’école, lors des fêtes nationales telles que la fête du trône du roi. A cet âge, elle chantait, non sans honorer son jeune public de l’époque, des chansons de Sabah, Asmahane, Oum Kalsoum, Nagate et tant d’autres divas du même calibre. Tout cela pour dire qu’elle a toujours été sélective artistiquement parlant et qu’elle voue un amour sans pareil à la chanson purement classique.

De ce fait, les chansons que ses parents écoutaient en boucle pendant son enfance sont devenues sa raison de vivre. A travers son oeuvre, ces chefs-d’oeuvre sont à tout jamais voués à l’immortalité.

Cependant, force est de s’interroger sur le pourquoi de la comparaison de Karima avec Asmahane et ce qu’elle en pense. « Me comparer dans l’absolu est une chose qui me déplaît. Cependant, les comparaisons que je lis dans les médias égyptiens sur la personne que je suis, me donnent envie de donner le meilleur de moi-même à ceux qui m’ont mise sur un piédestal », lance-t-elle en réponse à une question sur son surnom Asmahane du Maroc.

« Depuis mon premier passage à l’Opéra du Caire, je reçois une avalanche de demandes d’interviews de par le monde arabe», ajoute-t-elle. Décidément, sa relation avec l’Egypte est telle qu’elle commence à parler de son expérience artistique en s’attardant longuement sur son passage à l’Opéra du Caire en 1999, alors qu’elle avait entamé sa carrière plusieurs décennies plus tôt, dans son pays natal. « Etre un chanteur arabe et ne pas chanter en Egypte, cela reste de l’amateurisme, à mon avis», lance-t-elle, tout en précisant que son pays regorge lui aussi de voix uniques.

Toutefois, force est de s’interroger sur l’absence de la diva de la scène de l’industrie de la chanson. Les chansons avec vidéosclips étant les meilleurs garants de la continuité d’un chanteur sur la scène arabe, de nos jours, beaucoup ne peuvent plus s’en passer.

D’autres encore ne s’intéressent qu’aux chansons douces et légères. Celles qui durent pas plus de deux minutes. Pour cette catégorie de mélomanes des temps modernes, Karima Skalli est inexistante. Mais, il n’en est rien. Karima continue de s’adresser à ceux qui la chérissent tant. De plus, elle continue de faire les tapis rouges des festivals des musiques du monde qu’elle chérit depuis toujours et ce, sans oublier les festivals du chant lyrique qui l’inscrivent parmi leurs invités d’honneur. Parce qu’il s’agit, après tout, d’un registre dans lequel elle excelle avec brio.

De même, lors de ses sempiternels déplacements, elle présente, justement, des reprises des divas de la chanson arabe, des origines au siècle dernier, représentant l’âge d’or du chant classique. Par exemple, elle a chanté, il y a deux ans de cela, des chansons en duo avec le luthiste iraqien Nassir Chamma et le ténor tunisien Lotfi Bouchnak qui avouent être littéralement amoureux de sa voix et de ses choix musicaux. Aussi, a-t-elle participé, la même année au festival de la Fondation culturelle dubaïote de Sultan bin Ali Al-Owayss. « Lors de cette semaine culturelle j’ai pu rendre hommage à ma mère spirituelle Oum Kalsoum », se remémore-t-elle.

De plus, l’Asmahane du Maroc est une fidèle de la chanson andalouse, du Malhoun, du Grenadin et de la prose musicale. Celle qui voue un grand respect à la langue arabe classique se plaît également à chanter dans le dialecte marocain.

Cependant, si elle a une large préférence pour les reprises des grands opus arabes, cela ne signifie aucunement qu’elle manque d’inspiration ou de volonté pour mettre en avant son propre répertoire. Bien au contraire. Des maîtres contemporains du chant andalous ne lésinent pas sur les qualificatifs pour décrire son génie et ses compétences vocales. Polyvalente, c’est le moins que l’on puisse dire d’elle. Elle qui est capable de passer d’un registre musical à un autre en un rien de temps et en une seule chanson.

Ainsi, non sans détermination, la dame à la voix de velours continue de sillonner les festivals du monde pour faire connaître ses reprises et son propre répertoire pétri de réussite à l’échelle euro-maghrébine.

Quand bien même elle ne soit pas connue auprès de tous les mélomanes de par son absence de l’industrie des clips, elle se contente de ses apparitions sur les deux premières chaînes de télévision marocaine, ainsi que ses passages dans les radios de la place.

Quoi qu’il en soit, elle ne sait pas parler de sa personne sans faire allusion à ses maîtres marocains tels que le oudiste Saïd Chraïbi. Car Karima n’oublie jamais les personnes qui l’ont épaulée à ses débuts. « Sans eux, nous ne serions jamais devenus ce que nous sommes. Oublier ses maîtres c’est comme oublier ses origines », dit-elle en ajoutant: « J’ai une préférence particulière pour la chanson marocaine Mana illa bachar composée par Abdelouhab Doukkali et écrite par le grand parolier Ahmed Tayeb Lâalej. J’éprouve un énorme plaisir à rechanter le patrimoine arabe et marocain parce que j’ai la certitude que la musique est faite pour durer, parce qu’elle est éternelle ».

Mais lorsque vous lui demandez de vous parler de l’un des moments où elle a eu des frissons en pleine scène, elle vous parlera certainement du jour où elle a chanté aux côtés de la diva américaine, Wilhelma Fernandez. Ce fut lors du festival de Fès pour les musiques sacrées. « Wilhelma a l’art de transmettre ses émotions en chantant de toutes ses forces. Sur scène, elle accouche ses chansons, elle ne se contente pas de réciter des textes. Elle laisse une partie d’elle-même, là où qu’elle aille. Je trouve cela émouvant. J’étais à ses côtés et j’ai eu des frissons à ne plus comprendre ce qui m’arrivait », se souvient-elle.

Mais après l’effort vient le réconfort. Après plusieurs décennies de labeur, la chanteuse dit même ne plus pouvoir se souvenir du nombre exact de ses concerts et participations aux festivals internationaux, sans consulter son CV professionnel. Mais elle dit se souvenir très bien de sa dernière participation au Bureau des Congrès de Paris, datant du 10 mai dernier, et de son passage à l’Opéra du Caire qui l’a marquée à jamais.

En définitive, la chanteuse à la voix atypique reste très proche de la communauté marocaine et maghrébine à l’étranger. Chaque année, elle part les rejoindre dans le cadre de ses concerts et de ses innombrables participations aux festivals internationaux des musiques du monde.

Jalons

1963 : Naissance à Marrakech, au Maroc.
1999 : Première prestation à l’Opéra du Caire.
2011 : Récital à la salle de l’Unesco de Beyrouth.
2012 : Participation au festival de la semaine culturelle de la Fondation Bin Ali Al-Owaiss.
2014 : Concert au Bureau des Congrès de Paris.
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