Elle tient à revivifier le patrimoine musical classique et folklorique arabe du Moyen-Orient en l’incrustant d’une touche contemporaine, soit de jazz moderne, soit de musique afro-latine et cubaine. Un style particulier que la chanteuse jordanienne Macadi Nahhas fait dépasser les frontières. Nahhas vient de se produire sur les planches du théâtre Al-Guéneina sous le parrainage d’Al-Mawred Al-Saqafi (ressource culturelle).
Etoile montante de la scène arabe contemporaine, la voix engagée de Macadi Nahhas est la messagère d’un monde arabe affligé de conflits politiques, sociaux, religieux … Elle chante pour la liberté et la dignité humaine. Un engagement humaniste qui n’est pas loin de la fille qui est née en 1977, à Madaba, au sud-ouest de Amman, qui a grandi dans un environnement familial politique, conservateur et intellectuel, entourée de politiciens, de poètes, d’écrivains et d’artistes. C’est cet environnement qui a contribué à former le talent de Macadi Nahhas.
Elle est la fille de Salem Nahhas, qui occupait le poste de premier secrétaire du parti populaire démocrate jordanienne Hachd (foule) et qui fut le fondateur de l’Association des écrivains jordaniens en 1974.
Suite au décès de son père en 2011, Macadi sort un album sous le titre Ila Salem (à Salem), en hommage à son père défunt. L’album regroupe un large éventail de chansons patrimoniales jordaniennes. « Membre de l’Union des écrivains arabes, au temps du régime de Hussein ben Talal, les livres de mon père étaient interdits d’être publiés, vu qu’ils défendaient furieusement les droits de l’homme dans le monde, et des Palestiniens en particulier. Cela s’opposait à la politique de l’Etat jordanien dans le temps », déclare fièrement Macadi, avec une voix douce et noble qui refuse à son tour d’être tenue à l’écart des troubles de la régions arabe.
Sa voix va de pair avec un visage angélique qui cache une nouvelle facette, celle d’une combattante fougueuse des causes humaines. Pour les défendre, Macadi sort son arme puissante : un art de qualité plongé dans le patrimoine socioculturel et historique de ses ancêtres, c’est-à-dire dans le patrimoine du Machreq, de l’Orient arabe et de la Jordanie.
« Le patrimoine jordanien est imprimé dans ma mémoire et conservé dans mon coeur. Un patrimoine chanté dans les cérémonies familiales et toutes les célébrations nationales et folkloriques ayant rapport avec la terre et la patrie, l’amitié, la résistance, la maternité », poursuit Macadi. Elle a grandi aux sons des chansons d’Oum Kalsoum, Abdel-Wahab, Cheikh Imam, Marcel Khalifé, Fayrouz. « Demander d’où tu viens c’est comprendre les origines de l’être pensant et agissant. Mon art reflète ma personnalité, parle de moi, de mes origines, de mon éducation, de ma sensibilité ... Je dénonce le fait que la musique est devenue du commerce, un gagne-pain. La conséquence de cela est le nombre trop élevé de musiciens et de chanteurs. Avant, c’était la qualité de la musique qui était recherchée, maintenant, aujourd’hui, c’est la quantité de CD sur le marché qui fait la loi ! ».
Avec son époux libano-palestinien, Saoud Allan, son chargé d’affaires, Macadi fonde en Jordanie, en 2011, une compagnie qu’elle surnomme Maqam (modalité). Il s’agit d’une plateforme qui soutient les jeunes artistes jordaniens. « Maqam, dont le but est de présenter au public un art respectueux et engagé, organise prochainement en Jordanie un festival populaire de musique alternative, promouvant toutes jeunes troupes indépendantes jordaniennes, arabes et étrangères. Ce festival diffère de celui de Jerash, qui n’invite que les supers stars du monde arabe. En Jordanie, il faut encourager la nouvelle génération d’artistes. D’ailleurs, le régime jordanien ne soutient que Omar Abdullat, le chanteur du régime et du roi, qui chante le patrimoine de façon très traditionnel, parfois incompréhensible. Moi aussi j’aime mon pays natal, mais à ma manière. Il ne faut pas forcément faire des éloges pour montrer cet amour. Je me considère ambassadrice de mon pays », déclare Macadi, qui en est à son cinquième album en dépit d’une carrière commencée en 1997, la date de sa première apparition sur scène, au festival Jerash, en Jordanie.
Ses trois premiers albums : Kan yama kan (il était une fois, 2001), chanté A cappella, Kholkhal (bracelet de cheville, 2006), Gaw al-ahlam (l’air des rêves, 2009), n’offrent que des chansons du Machreq qui rappellent les origines et la culture de cette région.
Sa chanson Kan yama kan, chantée en Iraq et pour l’Iraq, en dialectal iraqien, et avec laquelle Macadi a revivifié le patrimoine iraqien, a remporté un grand succès lors de la guerre d’Iraq en 2003. Macadi revivifie également Ya nizam al-segn khayem (oh sombres tentes de la prison), du poète syrien Naguib Al-Rayes, chanté par les militants patriotiques syriens lors du mandat français en 1925. Une chanson qui reste d’actualité. « Au début de ma carrière, chanter le patrimoine était la chose la moins coûteuse : nous ne sommes pas obligés à payer de droits de ses auteurs. Mais il faut sauvegarder ces oeuvres », pense dur comme fer Macadi.
Avec son nouvel album Nour, depuis peu dans les bacs, Macadi se prépare à faire un tour du monde. En Egypte, Macadi a choisi pour sa soirée donnée au théâtre Al-Guéneina de chanter Misr qamet ya salam (ô l’Egypte s’est dressée), écrite par la Palestinienne Nour Al-Saadi. Une chanson exclusivement dédiée pour le peuple égyptien et sa révolution du 25 janvier.
Pour la première fois, Macadi opte dans Nour pour un genre moins commercial. Il s’agit d’une nouvelle expérience de musique alternative qui s’inscrit dans l’héritage musical du Machreq qu’elle parvient à révolutionner, en rapprochant entre la musique traditionnelle et le jazz. « Je vois que c’est le temps de changer avec mon style musical et opter côte à côte du patrimoine, pour un nouveau genre contemporain, de funk, jazz et de musique afro-latines et cubaine. Et ce, sans calquer sur le modèle occidental, mais donner une autre orientation à ma musique. L’idée du changement vient du fait qu’à nos jours, l’auditeur n’est pas prêt à entendre des soirées uniquement de takht arabe, ni des chansons d’une durée de deux heures à la file », déclare Macadi. Dans Nour, Macadi a choisi de collaborer avec un large éventail de jeunes poètes arabes, des nouveautés naissantes dont les Syriens Adnan Al-Ouda, Yazen Al-Hajeri, Hani Nadim et Georges Kassis. « Recourir à de jeunes poètes de qualité, c’est rompre avec la monotonie déjà entendue. J’accorde une attention excessive aux paroles dans mes chansons. Ce que j’entends actuellement sur la scène musicale arabe ne sont que des paroles prosaïques qui ne font que danser impudemment. Est-ce de l’art ? », demande Macadi, qui a choisi dans Nour de revivifier le folklore bédouin, Tigui nessafer, en l’incrustant d’un rythme tango.
« Où est la génération de chanteuses de qualité, à l’exemple d’Omayma Al-Khalil, Rim Banna, Lena Chamamian, Rim Talhami, Amal Morcos, Racha Rizk et Ghalia Ben Ali ? Où sont les médias arabes qui devraient jouer un rôle positif à l’égard de ces artistes ? De nos jours, les médias arabes ne s’intéressent qu’à subventionner les grandes stars », regrette la chanteuse.
N’ayant pas les moyens de payer un studio en Jordanie, Macadi est allée au Liban. « J’étais chanceuse de rencontrer des personnes qui ont travaillé avec la diva Fayrouz que j’admire énormément, comme j’admire l’école rahbanienne. Au Liban, je ne me sentais pas aliénée. J’adore fréquenter ses beaux cafés, un lieu de rassemblement collectif et de détente », déclare Macadi, laquelle a quitté la Jordanie en 1996, son baccalauréat en main, pour faire des études en lettres, section anglaise, à l’Université de Damas. Deux ans après, en 1998, sa famille en Jordanie demande à sa fille d’y retourner.
« J’étais déçue suite à cette demande. Car en Syrie, j’avais la chance d’assister et de participer à des concerts et à des théâtres. Alors qu’en Jordanie, j’étais forcée par ma famille à continuer mes études à l’Université privée de Amman. Refusant la vie de luxe dans cette université, j’ai décidé de la quitter », poursuit-elle
A noter que Macadi Nahhas a démarré sa carrière en tant que dramaturge et comédienne. Elle a participé avec la troupe libanaise Karim Dakroub, jouant des marionnettes, et à Al-Ayadi al-soud, une adaptation de Jean-Paul Sartre, mise en scène du Libanais Walid Fakhreddine.
Grâce à un oncle croyant fort au talent de sa nièce, Macadi se présente à une compétition lancée par la radio MBC FM. « Sept mois après, j’ai remarqué par hasard, dans le magazine jordanien Al-Raï, une grande publicité lancée par la MBC, cherchant la fille jordanienne Macadi Nahhas qui a chanté en direct à la radio. J’étais parmi les dix lauréats de la compétition de chants choisis par MBC et qui devraient voyager à Beyrouth pour passer par cette compétition. J’ai su après que le téléphone de notre maison, en Jordanie, était hors connexion et que MBC n’a pas pu me parvenir », se souvient Macadi.
Cette compétition a ouvert à Macadi un vaste champ de connaissance musicale, avec un bon nombre de musiciens de renom, dont l’artiste-compositeur Ziad Rahbani. Et ce, lors de son émission de musique alternative à la radio libanaise Sawt al-chaab (radio de gauche). C’est Ziad Rahbani qui a conseillé à Macadi de faire des études en musique. Lors de ses études à l’Institut suprême patriotique de la musique de Beyrouth en 1999, Macadi a senti un grand désir à donner des concerts gratuits dans des camps palestiniens, lors de la Journée mondiale des prisonniers.
Succès après succès, avec sa voix communicative, Macadi, dont le prénom veut dire liberté, continue de se battre pour les droits de l’homme.
Jalons
1977 : Naissance à Amman,
en Jordanie.
1997 : Première apparition sur scène, au festival Jerash.
2001 : Premier album Kan yama kan.
2011 : Mariage avec Saoud Allan.
2014 : Sortie de l’album Nour.
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