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Mariam Mohsen : L’art du toucher

Manar Attiya , Mercredi, 20 novembre 2024

Non-voyante de naissance, Mariam Mohsen a aidé à introduire le système braille dans l’administration officielle en Egypte. Musicienne, elle utilise aussi cette écriture universelle pour lire ses notes et les apprendre aux autres.

Mariam Mohsen

« Je suis convaincue que mon rôle est d’apporter un peu de joie dans les coeurs des personnes atteintes de déficience visuelle. Je sais que si on se bat pour ses objectifs, avec détermination, on peut réaliser tout ce qu’on veut ».

Agée de 20 ans, Mariam Mohsen est devenue un modèle à suivre aux yeux de plusieurs jeunes. Non-voyante de naissance, elle s’est toujours considérée comme une fille « normale », en dépit de son handicap. Dès sa tendre jeunesse, elle a assumé son destin et décidé de suivre les traces de personnes éminentes comme Louis Braille et Beethoven. « La cécité du premier l’a poussé à une invention révolutionnaire. Il est devenu un créateur de génie en inventant un système codé, un ensemble de six points saillants pour les handicapés visuels, en 1829. Tandis que le second était un pianiste et compositeur hors pair et ce, malgré ses troubles auditifs qui ont commencé à l’âge de 26 ans et se sont accentués au fil des années, jusqu’à ce qu’il soit devenu totalement sourd vers l’âge de 50 ans ».

Très dynamique, Mariam a toujours cherché à être unique, en contemplant la trajectoire de ce genre de personnalités exceptionnelles. Elle était consciente qu’on doit appliquer en Egypte le système braille dans les documents officiels (acte de naissance, carte d’identité, passeport, permis de conduire, certificat de mariage, de divorce, carte électorale, etc.), exactement comme c’est le cas aux Etats-Unis et dans la plupart des pays européens.

Cette idée l’obsédait, et en vue de la concrétiser, Mariam a soumis sa proposition au président de la République, lors d’une conférence qu’elle a organisée en 2020 au profit des non-voyants en Egypte. Alors, en décembre 2023, son idée a été mise en application. Avant la dernière élection présidentielle, elle a reçu un coup de fil du Centre national pour les personnes souffrant de handicaps, l’informant que la carte électorale est désormais en écriture braille. « Maintenant, tu peux voter ! », lui a-t-on dit.

Depuis, Mariam Mohsen a été surnommée « L’ambassadrice de l’application du système braille ». Arrivée aux urnes, elle s’est rendu compte à quel point le langage braille peut intégrer les non-voyants dans la vie politique.

De nature généreuse, Mariam accorde aussi une attention particulière aux problèmes d’accès à l’éducation. Elle a toujours voulu aider les malvoyants et les non-voyants à se servir de la technologie comme moyen de communication. Au cours de la conférence susmentionnée, elle a réussi à convaincre les personnes présentes de tester d’autres outils pédagogiques, en utilisant le logiciel BMR (Braille Music Reader). Elle avait invité les plus grandes entreprises internationales en matière de notation. Elle a expliqué aux handicapés visuels que le système codé inventé par Louis Braille (en alphabet, ponctuation, nombres, symboles mathématiques et scientifiques) pourrait également faciliter la lecture des notes musicales par le toucher.

« Grâce au BrailleNote, sorte de tablette tactile, et à l’affichage de 32 cellules braille, je parviens à communiquer avec mes amis non voyants et malvoyants, aussi bien qu’avec les personnes qui n’ont pas de déficience visuelle. Par le biais de mon scanner parlant, j’ai l’occasion de lire en braille mes notes musicales », précise Mariam Mohsen. Elle ajoute : « La plupart des musiciens non voyants ont l’habitude d’appréhender la musique à travers l’ouïe. Ils n’avaient aucune connaissance préalable de la musique braille. Par le truchement de celle-ci, les personnes souffrant de déficience visuelle peuvent progresser et être autonomes ».

Etudiante en 3e année de sciences po à l’Université américaine du Caire, Mariam a obtenu une bourse d’étude, offerte par la Fondation Sawiris pour le développement social. C’est grâce à l’aide financière de celle-ci qu’elle a pu réaliser son rêve d’étudier à l’AUC. « J’ai été sélectionnée parmi 1 000 personnes ordinaires et quatre ayant une invalidité, je suis la seule non voyante à l’emporter ». Puis, elle raconte qu’elle a été victime de harcèlement verbal au sein du campus. Au départ, elle était rejetée par les autres étudiants. « Ils me posaient toujours la même question : Tu entends ce que nous disons ? Ils oubliaient qu’une personne qui a une déficience visuelle compense naturellement son handicap par l’acuité auditive ».

Mariam était parfois traitée par les uns comme une handicapée mentale : « Tu comprends ce que nous disons ? Tu as l’air complètement perdue ! ». D’autres fois, on s’attaquait à son style vestimentaire. « Tu ne maries pas correctement les couleurs ! Tes tenues manquent d’harmonie ! ».

Elle avait déjà l’habitude de ce genre de commentaires ; à l’âge de 5 ans, les enfants ne voulaient pas jouer avec elle car elle ne voyait pas. « On a peur que tu ne tombes ! », lui répétait-on.

Néanmoins, la jeune fille n’a jamais connu le découragement. Issue d’une famille cultivée, elle avait toujours ses parents à ses côtés. Sa mère, professeure de chimie, a appris l’écriture braille pour l’aider à l’école. Son papa, importateur de prêt-à-porter, lui achetait des jouets éducatifs : lego, cubes d’empreintes digitales pour qu’elle apprenne le braille en s’amusant, etc. « C’est très important d’être entourée de personnes aimantes et positives pour pouvoir avancer, sinon, les choses allaient être très compliquées ».

Mariam Mohsen est aussi musicienne. Dès son enfance, elle a été attirée par le chant et la musique. A l’âge de 7 ans, son père lui a fait découvrir la guitare puis l’orgue, et le déclic s’est déclenché. Elle adorait la musique. Elle parvenait à répéter les mélodies et les rythmes musicaux à l’oreille sur son orgue. Et avait la capacité à reproduire un morceau de musique qu’elle avait entendu, d’un seul trait, sans l’avoir vu noté sous une forme quelconque de partition.

A 8 ans, elle a décidé d’apprendre à jouer au piano. Tout de suite, c’était le coup de foudre ! Elle a adoré cet instrument qui nécessite beaucoup de patience et de pratique régulière. Toujours assoiffée de connaissance, elle a cherché à saisir les bases musicales, afin de maîtriser la technique et de progresser. Sa mère l’accompagnait aux cours de musique, lui faisait changer d’établissements, afin de poursuivre sa formation classique.

Puis, Mariam a intégré la faculté de pédagogie musicale de l’Université de Hélouan, entre 2018 et 2021. Au cours de cette période, elle a assisté à des cours en ligne, via Zoom, offerts par la prestigieuse Trinity College de Londres, avec une centaine d’autres jeunes artistes venus des quatre coins du monde.

A travers cette formation qui comprenait le rythme, le solfège parlé et chanté, Mariam a commencé à découvrir la lecture des notes en braille.

La jeune pianiste au toucher exceptionnel joue avec brio La Campanella de Franz Liszt, La Chaconne de Bach, Les Nocturnes de Chopin ou les extraits de la suite de Casse-Noisette de Tchaïkovsky. Elle rend toutes les nuances de chaque partition pour le plus grand plaisir du public. « Le 26 janvier 2019 est une date que je n’oublierai jamais. C’était la première fois que je me produisais au grand théâtre de l’Opéra du Caire, devant un public fascinant », se rappelle l’artiste talentueuse qui a remporté en 2019 le deuxième prix des universités d’Egypte, lors d’un concours artistique organisé par le ministère de la Jeunesse et du Sport. « J’en étais vraiment fière car le jury réunissait d’éminentes personnalités, à l’instar du célèbre musicien-compositeur Hani Chénouda et du chef d’orchestre Sélim Sahab ».

Cette expérience lui a donné une grande confiance en elle-même. « Grâce à ce genre de compétition, on apprend beaucoup de choses sur soi », lance-t-elle. Pour se perfectionner, Mariam a suivi, pas à pas, les conseils de ses professeurs, « il faut pratiquer régulièrement et poser les mains sur le piano tous les jours, même sans jouer des morceaux complets, savoir bien choisir son répertoire, améliorer sa rapidité, découper le morceau en plusieurs séquences, car tout apprendre d’un seul coup n’est pas spécialement une bonne idée … ». Résultat ? En 2022, elle se classe première au concours « Got Talent Belaraby » (got talent en arabe) auquel ont participé 80 candidats égyptiens et 31 arabes.

Mariam, toujours à la recherche d’un moyen pour mieux transmettre son savoir et son expérience, prend part à plein de travaux de charité. Elle est persuadée qu’elle a un rôle à remplir quant à la sensibilisation des enfants et des jeunes qui, comme elle, souffrent d’un handicap quelconque. La musique braille, permettant que la musique soit lue par des artistes malvoyants, n’était qu’un premier pas.

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