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Pinky Selim : Danser pour exister

May Sélim , Mercredi, 13 novembre 2024

Banquière, mère, danseuse et chorégraphe, Pinky Selim, de son vrai prénom Sara, oeuvre à la préservation de la danse folklorique égyptienne. Elle a fondé sa troupe de danse populaire, avec d’autres alumni de l’Université américaine du Caire. Et espère continuer à danser jusqu’à son dernier souffle.

Pinky Selim
(Photo : Adam Abdel-Ghaffar)

Tous les weekends, elle passe six heures à danser en studio, à entraîner les membres de sa troupe et à préparer de nouvelles danses folkloriques. Ces jours-ci, elle s’apprête à tenir son show, fin novembre, à la salle Ewart, ancien campus de l’Université américaine (AUC), au centre-ville du Caire (Centre culturel d’Al-Tahrir), en y introduisant de nouvelles chorégraphies.

Danseuse, chorégraphe et styliste, elle a fondé en 2013 une troupe regroupant plusieurs amateurs de danse folklorique, tous diplômés de l’AUC. La troupe a commencé par six membres, puis le nombre a augmenté au fil des années pour atteindre la trentaine de différents âges. « Les danseurs et danseuses ont changé avec le temps. Il y en a ceux qui avaient autre chose et donc ils n’étaient plus disponibles. Bref, ils ne pouvaient plus répondre à nos critères assez stricts. Certains ont cru au départ qu’ils allaient juste venir danser pour se faire plaisir. Ils n’imaginaient pas qu’il y aurait autant de travail et que cela nécessite un engagement sérieux. Je l’admets, je suis une directrice sévère, mais il faut aussi reconnaître que présenter un show de danse folklorique n’est pas une tâche facile ! C’est une discipline qui exige un entraînement physique, une formation en Histoire, une recherche dans le domaine du patrimoine », souligne Pinky Selim.

Elle-même diplômée de l’AUC, elle a créé sa troupe en ayant recours à d’anciens camarades qui participaient aux activités relatives au folklore alors qu’ils étaient étudiants. « L’université m’a fourni les contacts nécessaires et nous a réservé gratuitement la salle Ewart pour y tenir nos shows, vu que nous avons un budget limité. J’essaye d’organiser deux shows par an au minimum. Leurs revenus sont mis à la disposition des étudiants de l’université, en cas de crise », ajoute-t-elle.

Pour son prochain show, mettant en scène une dizaine de danses pendant deux heures et demie, elle a prévu quelques surprises à un public dont le nombre va crescendo. Elle compte programmer une nouvelle danse, mise en musique par son propre père, le compositeur Amr Selim. Il s’agit d’une chanson qui relate une histoire d’amour par le biais de proverbes égyptiens. Elle sera interprétée par les deux groupes de danseurs sur scène : hommes versus femmes.

La deuxième danse est basée sur une chorégraphie conçue l’an dernier pour rendre hommage à la grande Badiaa Massabni, une star des cabarets dans les années 1920-1930. « J’avais recours à la danse avec chandelier, mais cette année, la musique et la danse sont plus élaborées et réadaptées de façon à rendre hommage à Naïma Akef, une autre star de la danse orientale ». Ensuite, une troisième chorégraphie est inspirée de la danse en Haute-Egypte, sur une musique de Ali Ismaïl.

Depuis son âge tendre, Pinky Selim est rarement reconnue par son vrai prénom Sara. Tout le monde l’appelle Pinky, un sobriquet qui lui a été attribué dès sa naissance, pour décrire sa couleur de peau. « Louly et moi, nous sommes deux soeurs jumelles. A l’hôpital, une infirmière m’a fait une injection par erreur, et je suis devenue toute rouge. Mon corps était rosé, plutôt enflammé. J’ai passé un mois et demi à l’hôpital. Et depuis, j’étais devenue la petite rosée ou Pinky », raconte-t-elle en riant.

La petite rosée et sa soeur éprouvaient toutes les deux une grande passion pour la musique et la danse. Elles chantaient et dansaient ensemble dès l’âge de 4 ans et suivaient des cours de ballet classique. « Nous continuons à danser ensemble. Sur scène, il y a moi et mon double ! », plaisante-t-elle. Et d’ajouter : « Nous partageons tout ensemble. Je ne peux rien faire sans elle ! Pourtant, Louly l’a clairement dit dès le départ : j’aime danser, mais je n’ai rien à voir avec la gestion de la troupe. C’est ton rêve et ton projet, ça ne me concerne pas ! ».

Pinky a suivi des cours de ballet entre 4 et 12 ans, puis elle a fait un peu de jazz, un peu de hip-hop, etc. Elle a été très touchée par l’univers musical de son père, presque ensorcelée par les danses folkloriques dans les films en noir et blanc, notamment les chorégraphies de Mahmoud Réda, interprétées par Farida Fahmi. « Au début de ma carrière, j’étais souvent attaquée par ceux qui trouvaient en ma troupe une simple imitation de la troupe Réda. Or, dans tous mes spectacles, j’introduis de nouveaux mouvements et des musiques différentes. Je suis soucieuse de revisiter le folklore, de montrer qu’il évolue avec le temps, et ce, en apportant une touche personnelle », insiste-t-elle.

D’un spectacle à l’autre, les critiques ont disparu. Pinky cherche surtout à créer une vraie harmonie entre les mouvements et les pas, sans rester emprisonnée dans les formes stéréotypées d’autrefois. « Préserver l’art folklorique est mon objectif. Je m’intéresse à sensibiliser le large public et les enfants à la danse folklorique et sa valeur identitaire et culturelle, en offrant des stages de formation ».

Une fois le bac en poche, Pinky a décidé de s’adonner à son hobby. Ses parents ont refusé qu’elle étudie les arts de la performance. « C’était un refus catégorique. Mon père avait moins d’objection que ma mère, les deux voulaient que je fasse un métier plus stable. Ils voulaient que je pratique l’art en temps de loisir ».

Pinky a rejoint l’AUC pour étudier la comptabilité. Mais là-bas, elle a eu l’occasion de faire de la danse. « A l’AUC, il y avait le club des arts folkloriques où les étudiants apprenaient à interpréter des danses du patrimoine. On avait la chance d’avoir appris avec des chorégraphes et des maîtres de la danse folklorique, tel Zakariya Abdel-Chafi (dit Zico) qui était l’un des principaux danseurs de la troupe Réda. Il m’a encouragée à devenir chorégraphe et voyait en moi des talents cachés. Il a remarqué par exemple que j’avais le don de former d’autres danseurs, que j’expliquais bien les mouvements et que je traduisais bien les idées en mouvements. En 2010, alors qu’on se préparait afin de participer à un festival de danse folklorique en France, il m’a donné un ordre : tu vas préparer une nouvelle chorégraphie pour qu’on la présente au festival ! C’était brusque et j’en étais choquée. Mais le jour de la représentation, j’étais au comble de la joie », raconte-t-elle avec beaucoup de reconnaissance pour son mentor qui continue à lui prêter conseil, afin de mieux avancer.

Grâce à son mentor Zico, elle a rencontré son idole depuis toujours, Mahmoud Réda. « Il m’a conseillé de continuer à danser, et Farida Fahmi m’a invitée chez elle, après avoir assisté au show donné en célébration du centenaire de l’AUC, en 2019. Elle m’a poussée à introduire d’autres formes, de nouvelles chorégraphies. Et jusqu’à présent, je lui envoie des enregistrements vidéo de mes danses et j’attends impatiemment ses commentaires », lance Pinky.

Après avoir obtenu son diplôme de l’AUC, elle ne pouvait plus continuer à danser avec les étudiants. C’est pourquoi elle a pensé à créer une nouvelle troupe, regroupant d’autres alumni. De quoi lui permettre de danser, tout en travaillant comme banquière. Mais le jour de la création de la troupe, elle a appris qu’elle était enceinte. « Le matin même, j’ai appris que j’étais enceinte, et le soir, j’ai dansé sur scène ».

Son bébé ne l’a pas empêchée de poursuivre son rêve. Et même après son divorce, la mère célibataire a continué à danser, à signer des chorégraphies et à faire le design des costumes de la troupe. Sa fille Clara l’a d’ailleurs rejointe sur scène en 2021. « Elle est mordue de danse folklorique elle aussi et éprouve une grande joie en m’accompagnant sur scène. La danse coule dans ses veines comme dans les miennes », conclut-elle fièrement.

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