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Soumaya Yacout : L’érudite inspirée

Manar Attiya , Mercredi, 28 août 2024

Professeure titulaire au département de mathématiques et de génie industriel, et directrice du laboratoire « Systèmes cyber-physiques intelligents » à l’Ecole polytechnique de Montréal, l’universitaire Soumaya Yacout a inventé un système de détection précoce des anomalies appliqué dans les avions et les trains de marchandises.

Soumaya Yacout

Considérée comme une ambassadrice du génie mécanique et des recherches opérationnelles, Soumaya Yacout est surnommée « la dame de fer ». D’origine égyptienne, cette savante a été la première femme au Canada à décrocher le poste de Doyenne de la faculté d’ingénierie francophone au Canada.

Vers la fin des années 1990, les femmes avaient encore du mal à accéder aux plus hauts postes universitaires au Canada. En 1997, l’Université de Moncton où elle travaille avait besoin d’un ou d’une doyenne pour la faculté de génie. « J’ai été la première femme à occuper ce poste. En 1999, j’ai été surprise d’apprendre que la faculté de polytechnique de Montréal m’a choisie comme doyenne des affaires académiques puisque je venais de l’extérieur de l’institution », se rappelle l’universitaire.

Née en 1951 au Caire, elle vivait au quartier de Agouza, la professeure Soumaya Yacout a toujours été brillante à l’école. Elle a brillamment obtenu son bac et s’est inscrite à la faculté d’ingénierie de l’Université du Caire. Elle a été la deuxième de sa promotion et a donc rejoint le corps enseignant. Ce fut le début d’un long parcours qui l’a menée à être « l’inventrice » d’aujourd’hui.

A partir de 2009, Soumaya Yacout a conduit une série de recherches jusqu’à parvenir, deux ans plus tard, à concevoir un programme de détection précoce, appelé : CBM LAD (abréviation de Condition-Based Maintenance by using Logical Analysis of Data — Maintenance conditionnelle grâce à l’analyse logique des données).

En utilisant l’intelligence artificielle, on parvient à détecter les pannes dans les équipements industriels. Il s’agit donc d’un système qui est appliqué aujourd’hui, dans les avions, dans les trains de marchandises et dans le domaine de l’exploration minière.

Cette invention a été enregistrée au nom de la doyenne et professeure au département de mathématiques et de génie industriel de l’Ecole polytechnique de Montréal ; Soumaya Yacout énumère les avantages de la détection précoce des anomalies : « Réduction des temps d’arrêt non planifiés, préservation de la productivité, optimisation de la maintenance, économies financières, prolongement de la vie des instruments ».

C’est grâce à son père qu’elle est arrivée là. Car l’universitaire avait une relation très particulière avec son papa, aimable et cultivé, qui lui a appris que « vouloir c’est pouvoir ».

Elle avait également cumulé les expériences marquantes qu’elle a acquises durant les voyages en famille, avec sa mère, ses frères et son père, le pilote Mohamad Yacout, fondateur de la faculté d’aviation en Syrie. Ce dernier lui répétait souvent que « le voyage favorise l’ouverture d’esprit et permet d’atteindre de nouvelles perspectives, d’acquérir une autre vision du monde ». Ces mots résonnent toujours dans sa tête ; elle en est reconnaissante.

La passion et le sens du défi l’ont conduite au département de génie mécanique. Car elle a été influencée par les idéaux de la Révolution de Juillet 1952 et par l’essor industriel qu’a connu le pays sous Nasser, après plus de 70 ans d’occupation britannique. A l’époque, l’Egypte possédait déjà plusieurs industries importantes : fer et acier, ciment, sucre … et construisait le matériel électrique de puissance. L’Etat fabriquait aussi des automobiles, des camions, des autobus, des réfrigérateurs, des équipements mécaniques, des pneus, des engrais, sans compter l’industrie du textile, connue dans le monde entier.

Soumaya Yacout a été marquée par l’esprit de ces temps révolutionnaires et a choisi le domaine industriel, étant impressionnée par la politique nassérienne.

En 1985, cette femme persévérante a décroché une thèse de doctorat de la prestigieuse Université Georges Washington. Ensuite, elle a décidé avec son mari d’émigrer au Canada. « C’était en août 1990. Nous sommes partis en couple. A l’époque, je venais d’avoir un deuxième bébé. Ce n’était pas facile du tout de quitter définitivement mon pays et ma famille, mais nous étions convaincus que nous ne parviendrions pas à réaliser nos rêves ».

Un nouveau chapitre commence alors. Une manière d’agir et de se comporter tout à fait nouvelle. Des moeurs et des traditions différentes. Les horaires de travail, les jours fériés, les congés, tout était différent. « C’était une période difficile et parfois même très déstabilisante. Pour s’en sortir, il a fallu se mettre en mode d’apprentissage en permanence et s’adapter à un nouveau train de vie. On a dépensé beaucoup d’énergie ; cette phase a exigé un grand effort de notre part », raconte la professeure.

En 1991, Soumaya a eu son premier poste en tant que professeure à l’Ecole de génie à l’Université de Moncton, dans la région du Nouveau-Brunswick. Elle a été sélectionnée parmi des dizaines de candidatures. Elle avait l’aptitude de s’exprimer couramment en français, puisqu’elle a passé ses études en Egypte au Collège du Sacré-Coeur Ghamra. « Ni ma mère, ni mon père ne connaissaient le français. Mes trois frères étaient dans une école publique, mais mon papa a voulu que sa fille reçoive une bonne éducation chez les religieuses francophones. Les soeurs nous apprenaient, outre les matières scolaires, l’amour de Dieu, l’amour de la patrie, les us et coutumes du pays, le sens de la responsabilité et le bénévolat. Mon père répétait souvent : éduquer une fille, c’est éduquer toute une nation, car la femme est l’épine dorsale de la société ».

Sans doute, au cours de ses déplacements, soit à Montréal ou à Moncton, elle a dû relever plusieurs défis. Ceux-ci pimentent la vie et lui donnent un sens. En tant que doctorante, elle se sentait marginalisée, perçue comme une étrangère, une Arabe musulmane, par les femmes autant que par les hommes. Et ce, malgré sa vaste expérience dans le milieu universitaire. Néanmoins, elle a réussi à se faire une place dans son domaine.

Puis, au Canada, comme ailleurs dans le monde, les femmes qui occupent des postes de direction sont soumises aux regards critiques de leurs collègues hommes-femmes. Les commentaires négatifs se multiplient à son égard : « On se demande : Pourquoi est-elle arrivée à ce poste ? ».

Cependant, Soumaya Yacout est restée à son poste, à l’Ecole polytechnique de Montréal, pendant plus que 20 ans, de 1999 à 2024, en tant que professeure titulaire au département de mathématiques et de génie industriel. En mai 2020, la direction lui attribue le titre de « femme inspirante », parmi 40 autres Canadiennes. Et en 2015, le Bureau égyptien de l’éducation et de la culture au Canada la désigne comme « femme de l’année », à l’occasion de la Journée internationale de la femme. « D’habitude, on m’appelle la femme des moments difficiles », dit la professeure qui a toujours aidé les nouveaux stagiaires. Son soutien aux étudiants a été le maître mot de son succès. Elle aide notamment les étrangers à obtenir des bourses d’étude spéciales. Et bien sûr, les Egyptiens ne font pas exception à la règle. Il faut savoir que les études au Canada coûtent environ 25 000 dollars canadiens par an. N’oublions pas non plus que ces boursiers étrangers aident le pays. Et le système profite de leurs efforts, puisqu’on parvient à résoudre les problèmes industriels à un prix dérisoire, au lieu de recruter des ingénieurs. Cette stratégie a contribué à faire évoluer l’industrie du pays. « Pendant 24 ans, j’ai appliqué cette logique sur 20 boursiers égyptiens qui m’ont coûté 2,2 millions de dollars canadiens, soit l’équivalent d’à peu près 70 millions de L.E. », précise l’universitaire qui a bien maîtrisé les règles du donnant-donnant.

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