Elle considère tout un chacun comme un être unique, maître de son sort, qui décide sa vie selon ses propres actions. C’est Faten Al-Nawawi, ingénieur, peintre autodidacte, critique d’art et poète. Elle est diplômée de l’Institut de la critique artistique de l’Académie des arts, de l’Institut supérieur du cinéma où elle a étudié la mise en scène. En outre, elle a décroché un master en NTC (Nouvelles Technologies de la Communication). Autant d’études et de disciplines, dans une tentative de découvrir le monde.
Pour sa dernière exposition en date, à la galerie Picasso au Caire, elle a choisi comme titre L’Odyssée et le cirque. Un sujet qui puise dans le symbolique, l’imaginaire et le mythique. Une manière de créer un art qui dépeint intelligemment le caractère humain, sans ébranler l’équilibre de la toile.
Enfant, Nawawi a dû suivre son père dans ses multiples déplacements. Il était fonctionnaire au ministère des Waqfs (biens religieux) et sillonnait le pays de long en large. Elle a passé ses premières années primaires dans une école catholique, chez les religieuses, à Al-Qanater Al-Khaïriya, au nord du Caire. Ensuite, elle a été au lycée gouvernemental de Choubra Al-Sanawiya, dans la capitale. Ces déplacements lui ont fait goûter à plusieurs coutumes. De quoi aiguiser sa curiosité et l’inciter à découvrir des univers très diversifiés. « Je suis une passionnée des sciences, avide de connaissance. Enfant, je m’interrogeais déjà comment une navette spatiale pouvait conquérir l’espace ! », souligne Nawawi, qui s’intéresse également à la philosophie, à l’Histoire … Elle a d’abord pensé faire des études en communication, et plus précisément en technologies de la télécommunication et multimédia. En 1975, elle obtient un master sur les échanges digitaux. « Faire des études en communication m’a permis de mieux comprendre l’angoisse de l’existence et la complexité de l’âme humaine », ajoute Al-Nawawi, qui a travaillé pendant 11 ans, dans les années 1970, au Centre des recherches agricoles, à Guiza.
L’adolescente, elle, lisait Naguib Mahfouz, Ihsane Abdel-Qoddous, Zaki Naguib Mahmoud, Mohamad Hassanein Heykal, mais aussi la littérature russe. « A la Foire du livre, les oeuvres russes étaient monnaie courante dans le temps. La littérature russe ouvre davantage la voie de l’âme humaine. Elle peint un tableau entier de la société. Une société d’oppression. C’est ce qui rapproche les sociétés orientales les unes des autres », estime-t-elle.
Et la peinture de Nawawi se réclame à son tour du miroir de cette société. Car l’artiste favorise l’homme, le plaçant souvent au centre de la toile. Ses protagonistes « maîtres de l’univers » sont toujours en état d’attente ; ils tiennent à la vie. Et se construisent eux-mêmes, en interaction avec la société. Homme, femme et enfant, le triangle éternel de la vie est présent à travers ses oeuvres, comme un jeu de cirque.
A ses yeux, le cirque est la vie. Un cocktail époustouflant d’enjeux sociopolitiques. Sur un ballon, un fil, un trapèze, ses protagonistes se livrent souvent à un jeu d’équilibriste. Ils multiplient les risques. L’homme, sur ses toiles, joue le rôle d’un clown, un échassier, acrobate ou jongleur … Il tente de garder sa stabilité face au chaos. « Le mouvement est à la base de la stabilité, alors que la stabilité est le début de l’effondrement et de la chute de l’homme. La question identitaire est une arme puissante dans la vie, il faut garder ses racines. Le local conduit au global, et non le contraire », déclare Al-Nawawi, laquelle n’aime pas être associée à une école artistique en particulier. Elle apprécie l’art de Picasso, Van Gogh, Gauguin, comme elle admire Hassan Soliman, Abdel-Hadi Al-Gazzar, Farghali Abdel-Hafiz, Omar Al-Nagdi et Mahmoud Mokhtar. « Je suis ouverte à tout, à condition d’être toujours dans une position d’égalité avec autrui. Je déteste la soumission », dit-elle qui, mariée en 1978 à son collègue également ingénieur en communication, a dû voyager en France, pour le travail de son époux.
De retour, deux ans plus tard, elle fait des études à l’Institut supérieur du cinéma. « J’ai voulu faire carrière en réalisation cinématographique. Bien que sociable, j’ai dû changé d’avis par timidité. Quand je ressens quelqu’un me regarder travaillant, je n’arrive pas à poursuivre », avoue-t-elle. Est-ce la raison pour laquelle Nawawi a préféré travailler seule, face à ses peintures ?
Artiste autodidacte, elle doit beaucoup à son père Ali Al-Nawawi. Ce dernier lui a fait découvrir le patrimoine archéologique, historique et culturel du pays. « Mon art est un mélange d’influence pharaonique, copte, islamique et autres. Il faut être fier de notre histoire, de notre civilisation. C’est grâce à ces gènes que l’on a pu échapper aux régimes des Frères musulmans, avec leurs idées sur la succession et le califat », souligne-t-elle.
Née en 1951, dans le quartier de Choubra, précisément à Guéziret Badrane, Nawawi se considère comme une « Fille de la Révolution de Juillet 1952 ». Justice sociale, enseignement gratuit … elle admire les acquis du nassérisme. « Notre génération a eu la chance d’avoir un bon enseignement gratuit dans les écoles gouvernementales. C’était très différent de tous ces établissements scolaires et universitaires à la mode en ce moment. Ceux-ci peuvent nous faire perdre notre identité », avance-t-elle. Et de poursuivre : « Par contre sous Nasser, on n’a pas pu avoir une vraie démocratie. Il est important de trouver un leader, à condition que celui-ci ne se transforme pas en dictateur ». Al-Nawawi estime le chef de l’armée égyptienne, le maréchal Al-Sissi, elle voit en lui un vrai salvateur, mais … : « Je voterais pour Al-Sissi, mais il faut aider chaque citoyen à être leader de soi-même. Il faut des citoyens armés de connaissance, de culture, d’éducation et d’équité. Il faut faire comprendre aux enfants de la rue le sens de la citoyenneté, dans une vraie démocratie. La régression était arrivée à son comble au temps de Moubarak ». Son premier recueil de poésie Ahlma al-tamy wal-fokhar (rêves de la boue et de l’argile), publié en 1990, comparait l’homme à l’état pur à l’argile ou pâte à modeler … On peut tout en faire, du bien comme du mal.
Un an après avoir sorti son premier recueil de nouvelles, Faten Al-Nawawi a voulu obtenir un diplôme en critique artistique de l’Académie des arts, en 1992. « Je suis chanceuse d’avoir eu comme professeur, la critique de théâtre Nihad Seleiha. Avec son époux Mohamad Anani, alors professeur de littérature anglaise, ils m’ont beaucoup encouragée. C’était le temps de la première guerre du Golfe. J’ai alors publié Bardiyat Al-Achaar (papyrus des poèmes), traitant de la question identitaire », raconte Al-Nawawi, qui n’a pas tardé à publier, en 1995, son troisième recueil de poèmes Séfr Al-Zohoul (le livre de l’étonnement).
En ce moment, l’auteur se prépare à publier un premier roman Raïssa, narrant l’histoire d’une vendeuse de poisson, au temps de l’infitah (ouverture économique sous Sadate). Selon l’écrivain, ces changements politiques et économiques ont favorisé les inégalités sociales. Et cela a continué sous Moubarak, avec le mélange pouvoir/business, la crise du dollar, la corruption, etc. « Raïssa, ma principale protagoniste a prévu, dans ses contes, le déclenchement de la révolution du 25 janvier », dit-elle. Et d’ajouter : « Mes écrits littéraires ne sont guère loin de la réalité sociopolitique du pays ». Comme pas mal d’Egyptiens, Al-Nawawi ne peut s’en détacher … Sur son balcon, le drapeau national fait partie du décor, depuis le 30 juin dernier.
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