Il existe des femmes écrivains qui ne jurent que par la littérature féministe engagée. Celles qui se cantonnent dans le féminisme dans tous ses états, de sa forme la plus tacite à l’apogée du patriarcat. Il en existe d’autres qui mènent une lutte sans merci contre les préjugés socioculturels, ceux, à titre d’exemple, qui abusent notamment des faux panachages à l’égard des sociétés arabo-musulmanes. Et puis, il y a celles qui faisaient ou font partie de la classe dorée d’une société donnée et qui, contrairement aux apparences, se fondent très bien dans la masse, celle du peuple, voire de la « populace ». Celles-ci ne lésinent pas sur les plaidoiries pour devenir les porte-paroles d’une classe sociale qui n’est pas forcément la leur. Mais elles la chérissent tant qu’elle fait partie de leur mère patrie. Parmi cette dernière catégorie, nommons Amina El Alami Alaoui. L’auteure du roman Ombres sur l’amandier, qui se vend ces derniers temps comme de petits pains dans les librairies marocaines. « Ce livre est une occasion, voire une tentative de comprendre la vie des familles marocaines du siècle dernier, leur psychologie, leurs états d’âme, leurs bonheurs et malheurs », lance d’emblée l’écrivain Amina El Alami Alaoui, en parlant de son nouveau-né qu’elle porte très haut dans son coeur.
Fille d’un signataire du Manifeste marocain de l’indépendance (ndlr : signé le 11 janvier 1944), elle a su garder, avec amour, une approche perçante de cette période historique du Maroc contemporain. Si elle connaît Fès comme elle connaîtrait ses poches, elle porte Casablanca au tréfonds de son coeur. D’ailleurs, elle vit avec sa famille dans l’un des plus beaux quartiers de cette grande métropole.
Mais lorsque vous lui demandez de vous parler des événements qui ont profondément marqué sa vie, elle préfère vous parler des années qui ont marqué l’histoire de son pays : « Etant la fille de Mohamed Benlarbi El Alami, l’un des signataires du Manifeste de l’indépendance, il m’est impossible de rester insensible à cette page de l’Histoire. Depuis ma tendre enfance, mes parents me parlaient des événements trafiques et des vies brisées du Maroc des années 1940 et 1950. Cette histoire était également alimentée d’anecdotes et d’heureux événements. Comme toutes les périodes de l’Histoire du monde d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, ces années qui ont précédé ma naissance sont le véritable élément déclencheur de mon oeuvre, aussi modeste soit-elle », raconte-t-elle. Soucieuse de relater les histoires des familles de cette époque historique qui ont toujours tenu à leurs traditions islamiques, à leurs tenues pudiques, ainsi qu’aux voisinage et entourage. « A cette époque historique, les hommes se permettaient tous les excès en matière d’histoires de coeur. Le niveau de la polygamie était élevé. Certains hommes fréquentaient inlassablement le quartier des prostituées espagnoles aux yeux de biches et aux formes généreuses, voire les prostituées marocaines issues des familles pauvres avides de quelques poignées de dirhams. Quant aux femmes — les leurs, les filles de bonnes familles — elles n’avaient pas le droit à l’erreur. Chez elles, même l’amour était un sujet tabou … », relate-t-elle.
« Il est vrai que j’ai frôlé le travail de l’historien et celui du journaliste en interrogeant plusieurs Marocains de la génération de mes parents et en lisant des dizaines de livres d’histoire, mais chacun son fief, comme on dit, et chacun sa spécialité dans cette vie. Je refuse de faire dans le charlatanisme littéraire. Cela ne m’intéresse pas ».
« Analyser la portée sociale et son influence sur toutes les classes du Maroc des années 1910 permet de mieux cerner cette période cruciale de ce pays du monde », continue-t-elle. Ainsi, l’écrivain a préféré renvoyer ses lecteurs au 30 mars 1912, à la convention de Fès, ce « coup de tonnerre qui a réveillé les consciences », comme elle le dit si bien. « Dans mon livre, je souhaite immortaliser cette période de l’Histoire. Parce qu’il fut un temps où beaucoup de Marocains ne pouvaient pas en parler. C’est, en quelque sorte, une forme de résistance prolongée, si j’ose dire ».
Les faits historiques de ce livre sont passés à la loupe. Son auteur a même daigné les vérifier auprès de la fille du défunt combattant marocain Abdelkrim El Khattabi.
« Mon roman est une fiction tirée de faits historiques avérés et vérifiés. A travers le vécu de la famille bourgeoise dont je décris le houleux quotidien, les souffrances, les espoirs et les rêves, je fais allusion aux peurs de tous les Marocains qui rêvaient de l’indépendance de leur pays lors du siècle écoulé. Le personnage principal, à savoir Lalla Joumanah, est une personne exceptionnelle qui a certainement existé dans la réalité. C’est, pour moi, une manière de faire renaître toutes ces femmes presque effacées, condamnées à garder le silence pour rester en vie ainsi que toutes celles qui, malgré leur opulence financière, n’avaient le droit ni à la parole, ni à la rébellion », additionne-t-elle.
Cette écrivain à l’allure juvénile, au verbe et au sourire faciles, est avant tout une grande amoureuse de la vie. Une bonne vivante qui ne cache pas ses péchés mignons. « Les voyages et la lecture permettent à l’être humain de s’offrir une deuxième, voire une troisième jeunesse », se plaît-elle à dire.
Née à Casablanca, Amina poursuit ses études universitaires en France où elle décroche, haut la main, un diplôme d’études supérieures en littérature française. Mariée et mère de quatre enfants, elle respire à pleins poumons les bonnes expériences de la vie. Cette année, au grand bonheur de ses lecteurs, elle publie sa troisième oeuvre littéraire, et ce, après le franc succès rencontré par ses deux nouvelles parues dans le Magazine Littéraire du Maroc et qui s’éloignent du contexte historique du Maroc.
Amina El Alami Aloui a toujours le goût de l’écriture. « J’écrivais assez régulièrement mais pour moi-même. Cependant, un jour, j’ai décidé de publier des nouvelles dont deux publiées dans la Revue littéraire du Maroc. Il est important qu’une pièce, une oeuvre quelle qu’elle soit, circule dans un espace disons public, afin de lui donner vie, d’amener une réflexion, et éventuellement, des remarques. Une pièce ne prend son sens que si elle s’expose à la critique », précise-t-elle lors d’un entretien dans la presse marocaine. L’Histoire, elle la garde toujours en elle-même et se nourrit au fil des années de ses rencontres et de ses recherches. Une fois le matériau semble être rassemblé, elle signe son roman. N’est-ce pas un tournant dans sa carrière ? Certainement.
Amina jubile à l’idée de dédier son oeuvre à toutes ces Marocaines de cette bonne vieille génération qui en a vu de toutes les couleurs avec le colonialisme. A celles qui ont perdu leur mari, frères et fils sous les tirs des colons, et à toutes celles qui ont préféré se muter dans un long silence pour protéger les leurs. « Je me suis dit que je devais leur rendre cet hommage à cause de l’injustice qu’elles ont subie au quotidien », renchérit-elle.
Récemment, lors de sa dernière conférence de presse donnée à la Villa des arts de Casablanca, Amina El Alami Alaoui a annoncé que son dernier roman n’est que le début d’une trilogie. Décidément, un seul livre ne suffit pas pour relater toutes les péripéties de la bourgeoisie marocaine du siècle dernier.
Jalons
2011-2012 : Publication de deux nouvelles parues dans le Magazine Littéraire du Maroc.
Février 2013 : Sortie de son roman Ombres sur l’amandier chez les éditions Casa Express-Magellan & Cie.
Septembre 2013 : Ombres sur l’amandier est sélectionné pour le prix littéraire de la Mamounia.
Lien court: