C’est une aventurière qui ne cesse d’explorer de nouveaux champs. Guidée par son amour pour le patrimoine égyptien, la professeure de lettres françaises à l’Université de Aïn-Chams Hala Foda a lancé un projet qui vise à préserver l’art du tally, tulle fin brodé à l’aide de fils d’or ou d’argent, répandu en Haute-Egypte et servant à confectionner des robes traditionnelles ou des châles. « J’ai toujours aimé acheter les habits faits au tally, mais je ne trouvais pas de nouveautés sur le marché, notamment à travers les foires réservées à l’artisanat. En bavardant avec l’une des femmes de Sohag (en Haute-Egypte), je me demandais : Pourquoi il n’y avait pas de nouveaux modèles où le tally est utilisé ? Pourquoi il n’y avait pas plus de robes, de pantalons, bref des habits de tous les jours ? Afaf Aref, cette dame originaire de Sohag, prêtait attention à mes questions. Avec elle, nous avons voulu donner au tally un nouvel élan. Elle et moi, nous partagions les mêmes intérêts », raconte Hala Foda.
Afin de mieux préparer son aventure, elle a commencé par se documenter, a fouillé un peu partout pour comprendre le fonctionnement de cet art de la broderie, a découvert ses motifs traditionnels, et ce, avant de fonder sa marque de vêtements. « Mon but est de présenter des modèles contemporains qui permettent de renouveler cet art. Je m’occupe du design et l’atelier à Sohag est géré par Afaf Aref, qui supervise le travail d’une équipe de femmes toutes originaires de la Haute-Egypte. J’utilise des tissus en coton et en lin, fabriqués à la ville d’Akhmim. C’est aussi une manière de revivifier l’art des textiles manuels dans cette région ».
Hala Foda crée des designs simples et élégants. Elle fait aussi des modèles pour hommes et d’autres unisexes. Dans ces derniers, le tally tient un rôle ornemental, sans outrance. « La première collection de Tallyna était belle. Mais il n’y avait pas de mannequins pour porter ma collection et poser pour une séance photo. Alors, je l’ai fait moi-même, avec l’aide d’un ami qui m’a proposé de prendre les photos », se souvient-elle.
L’universitaire s’aventure ainsi dans le champ du design et le business de la mode. Elle ne manque pas d’idées pour la promotion de sa marque et celle des textiles traditionnels tout court. « J’essaye par exemple d’associer le tally et le crochet. Je préfère fabriquer les fils métalliques du tally en Egypte au lieu de les importer de l’Inde », ajoute-t-elle.
Ses collections sont diffusées sur les réseaux sociaux : habits, accessoires, etc. en vente sur Internet, notamment à travers sa page Facebook et son compte Instagram. Hala Foda cherche à autonomiser les femmes discrètement, sans grande pompe. Entre 2011 et 2019, elle a été parmi ceux qui ont cru fort au changement, au lendemain de la Révolution du 25 Janvier. « J’étais à New York pendant la révolution. Et j’ai décidé de retourner définitivement en Egypte. Dès mon retour en 2012, j’ai rejoint le Parti social-démocrate égyptien ».
Ses articles publiés dans le quotidien Al-Masry Al-Youm défendaient la liberté des jeunes activistes, abordaient certains articles de la Constitution … « Le travail politique est épuisant, surtout durant des phases charnières de l’Histoire. J’ai alors décidé de l’abandonner en 2019 pour me consacrer à d’autres activités. A travers la création de Tallyna, j’ai eu la chance de pouvoir appliquer les concepts de justice sociale, en soutenant les femmes ».
Enfant, la petite Hala a effectué ses études à l’Institut Notre-Dame des Apôtres de Zeitoun, ce qui lui a permis d’être parfaitement bilingue. « Ma mère était aussi professeure de lettres françaises. A la maison, mes parents avaient une grande bibliothèque. Je passais mon temps à lire des ouvrages de Taha Hussein, d’Al-Manfalouti et de la comtesse de Ségur ». Plus tard, à la faculté des lettres, au département de la langue française, elle a vite brillé.
Toujours avide de découvrir son pays natal, elle consacrait une belle partie de son temps à explorer ses trésors archéologiques et les méandres de son histoire. D’ailleurs, elle cherche toujours à déchiffrer les codes de sa civilisation.
Au cours des dernières années, elle a multiplié les visites guidées au Caire historique organisées par l’initiative Sirat Al-Qahéra (la biographie du Caire). « Ce genre de visite m’excite ; il me permet de mieux comprendre mon Egypte. Lors de ces tournées, j’ai rencontré l’architecte, urbaniste et historien Nizar Al-Sayyad qui m’a demandé de participer à l’écriture de l’ouvrage qu’il a codirigé Al-Qahéra Moärakha (chronique du Caire). C’était une chance de puiser dans mes études relatives à la littérature française et de retrouver l’image de l’Egypte dans les écrits de Gérard de Nerval. Pour cet écrivain, Le Caire n’était pas l’exemple d’une ville exotique que les Orientalistes européens regardent avec supériorité, mais plutôt une ville refuge. Il préférait vivre avec les Egyptiens, se familiariser avec eux ».
L’universitaire avait l’habitude de rédiger des papiers de recherche, des essais, etc. mais écrire un roman ou un récit biographique était quelque chose de complètement différent. Une nouvelle aventure. Ainsi, elle a publié en octobre dernier Fi Qalbi Réda (mon coeur est satisfait), qui retrace le parcours de son père, le major général Mohamed Réda Foda. « Le roman contemporain et la littérature comparée sont mes domaines d’étude. Ma spécialité est les écrits autobiographiques. Mais ce n’était pas du tout facile de commencer à écrire cet ouvrage sur l’histoire de mon père, qui a participé à la guerre et qui a de tout temps défendu le pays ». En fouillant dans les archives de famille et en demandant des informations le concernant à ses proches, Hala est tombée sur un dossier écrit à la main par son père, où il raconte en détail ses sentiments sur le champ de bataille. « La guerre d’Octobre 1973 est donc racontée autrement. Les séquences où il livrait ses sentiments, ses observations et les préparations avec ses collègues m’étaient complètement inconnues. L’idée même d’écrire ce texte était très bizarre pour moi. J’ai voulu le rédiger sous la forme d’une lettre adressée à mon père. Cette façon de faire m’a rassurée, mais petit à petit, le récit s’est transformé en un roman autobiographique ».
Elle était ravie d’apprendre que son livre a encouragé d’autres lecteurs à fouiller dans leurs archives familiales, révélant tant d’histoires relatives à la guerre et à l’histoire de l’Egypte. Les photos, les textes et les lettres constituent pour Hala Foda de véritables trésors qu’il faut mieux exploiter pour documenter la vie sociale en Egypte durant la deuxième moitié du XXe siècle.
Les deux dernières années se sont vite écoulées entre le travail académique et l’engagement pour sauver le patrimoine et l’écriture. « L’essentiel est de bien s’organiser. Et ce, sans oublier le soutien que m’apportent mes deux fils jumeaux Yéhia et Youssef. Je partage avec eux tous les détails concernant mon travail et mes préoccupations. Ils m’encouragent beaucoup. Récemment, ils ont participé à la promotion de ma marque de vêtements, l’un a joué au mannequin et l’autre nous a pris en photo », dit-elle en souriant. Et de conclure : « J’aspire à inscrire l’art du tally au patrimoine culturel de l’Unesco. Et pour ce faire, je tente de bien documenter ce genre de travail manuel et de présenter un dossier complet à l’Unesco ». Hala Foda ira jusqu’au bout pour concrétiser son rêve.
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