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Basem Darwisch : Un musicien sur un tapis volant

Névine Lameï, Mercredi, 17 avril 2024

Compositeur et luthiste virtuose, Basem Darwisch vit entre l’Egypte et l’Allemagne. Fondateur du groupe musical Cairo Steps, il mélange les genres et les étiquettes, se plaisant à transcender les frontières.

Basem Darwisch
(Photo : Rene Van der Voor)

Il n’aime pas qu’on parle de « fusion musicale » pour décrire ses compositions et préfère les définir comme étant le fruit d’un métissage culturel, nourri par ses multiples voyages. Le compositeur, producteur et luthiste autodidacte égypto-allemand Basem Darwisch est le fondateur de la troupe Cairo Steps. Depuis sa création en 2002, cette formation musicale entrecroise des sonorités d’inspirations diverses, tissées de grooves traditionnels égyptiens et orientaux, avec de l’improvisation jazz moderne, de la musique classique et ethnique spirituelle, coptes, soufis, nubiens, bédouins …

Ces dernières années, Darwisch se produit moins en Egypte et plus en Europe, notamment en Allemagne, le pays où il réside depuis 1990. Les fans de ce musicien polyvalent apprécient son répertoire riche en tournants fascinants ; ils lui demandent de se produire plus fréquemment en Egypte.

Durant le mois de mars dernier, il a diffusé sur les plateformes de streaming musical un nouveau single intitulé L’Imam, inspiré du poème Daa Al-Ayam Tafaal ma Tachaä (laisse les jours faire comme bon leur semble) de l’Imam Al-Chafeï, fondateur de l’école de jurisprudence islamique chaféite. Ce single est réalisé en collaboration avec le chanteur-compositeur égyptien Hany Adel, l’un des fondateurs de la troupe de musique underground West Al-Balad. « Ensemble, Hany au chant et moi au luth, nous avons revivifié le magnifique poème de l’Imam Al-Chafeï, selon un nouveau format musical mêlant musique soufie et jazz », explique Darwisch.

Durant ses séjours en Egypte, comme en décembre dernier, ce dernier se produit à l’Opéra du Caire. Il devait tenir un concert, le 29 mars, à l’Université américaine du Caire, mais il a fermement décidé de l’annuler. « Inviter des musiciens étrangers à jouer en Egypte avec Cairo Steps, cela exige un permis syndical et un autre sécuritaire. Il faut passer par la censure. Il nous faut aussi des sponsors. Ces procédures bureaucratiques m’étouffent, m’épuisent. Les frais à payer pour faire venir un musicien étranger sont énormes. On a besoin d’être un peu plus flexibles, surtout lorsqu’il s’agit de concerts basés sur le métissage musical, visant à transcender les frontières entre les cultures. Nous sommes préoccupés par l’exportation de notre musique arabe vers le monde extérieur, il faut aussi se soucier d’aller voir la culture des autres pays. Sans contact entre musiciens, comment pouvons-nous se faire connaître ou connaître l’Autre ? », s’interroge le musicien. Et d’ajouter : « Je ne suis pas obligé de jouer la musique que les gens veulent écouter. Je pense que la musique commerciale, dite les Mahraganat (électro-populaire), provoque de l’atrophie musicale ».

Basem Darwisch a un grand savoir-faire en technologies de l’information qu’il a développé en travaillant auprès de compagnies aériennes étrangères. Et ce, après avoir obtenu un diplôme en administration des affaires, avec une spécialisation en gestion de l’aviation. Son expérience professionnelle préalable l’a aidé à mettre à marche ses projets musicaux, avec la fondation du groupe Cairo Steps.

Basem Darwisch est né dans la ville de Bani Mazar, à Minya, d’un père bancaire cairote et d’une mère enseignante de sociologie, originaire de la Haute-Egypte. Il a été influencé par l’héritage musical de sa ville natale, notamment les sons du mizmar, du tabla et de la rababa. « Le fait d’avoir grandi à proximité de Tel Al-Amarna, la ville d’Akhénaton, m’a permis d’assimiler tous les éléments disparates qui ont façonné mon identité. Je suis égyptien et copte, né en Haute-Egypte et élevé dans un milieu rural, musulman et soufi, riche de par sa diversité culturelle et religieuse », affirme Basem Darwisch, très reconnaissant à l’égard de son église copte orthodoxe de Minya, où il a appris les plus beaux chants liturgiques coptes, les « alhans ». « La musique fait partie du culte ; les familles coptes à Minya tiennent à inscrire leurs enfants pour participer aux activités de l’église. C’était mon seul moyen d’apprendre la musique ».

Il se souvient du premier luth que lui a offert, à l’âge de dix ans, son mentor, père David, le professeur de musique à son église de Minya. « Facilement transportable, le luth est un instrument très populaire en Egypte, dans le monde arabe comme à l’étranger. Il est capable d’interpréter différentes mélodies orientales et de s’habiller d’harmonisations occidentales », souligne Darwisch.

En 2014, il revivifie les Gnossiennes d’Erik Satie, en les remixant avec des mélodies copte et soufie, accompagné de la voix du cheikh Ehab Younis. Vient ensuite le duo dans Adagio en 2017. Puis, Malek Al-Molk en 2020. « La musique soufie promeut les valeurs de l’amour et de la coexistence entre les peuples. Ce qui rapproche la musique soufie du jazz, c’est l’improvisation libre. Il en est de même pour la musique arabe du maqam et le jazz. Et ce, même si les mélodies orientales et occidentales s’inscrivent dans des séquences et des règles harmoniques très différentes ».

A l’âge de 12 ans, Basem forme un premier groupe musical, jouant un peu partout à Minya. Il se fait connaître dans sa région natale, en donnant un premier concert au Palais de la culture de Minya. Après avoir obtenu le baccalauréat en 1982, il participe à un camp d’été à Alexandrie ; là-bas, il fait connaissance avec le compositeur Waguih Aziz, également originaire du sud. « La musique de Waguih Aziz est une musique qui bouge ; ses mélodies sont à la fois simples et complexes. J’ai beaucoup travaillé avec lui, au théâtre Al-Talia. Lui, au oud, et moi, à l’accordéon et à la guitare. Il a de tout temps chanté les soucis des petites gens ».

Un an plus tard, il part à destination du Caire et étudie à la faculté des langues (Al-Alsun), Université de Aïn-Chams, département de la langue allemande. Entre-temps, il anime de petits concerts à droite et à gauche, jouant essentiellement de la musique classique. « Chanteuse d’opéra, c’est mon épouse allemande Katharina, décédée il y a quelques années, qui m’a fait découvrir le monde du chant lyrique et de la musique classique de Bach, Mozart … », avoue-t-il.

Pour gagner de quoi vivre, Darwisch joue au luth avec des bandes musicales dans des hôtels et des boîtes de nuit. Il sort du cocon de son monde conservateur, très lié à l’église, et opte pour un environnement culturel complètement différent. Le jeune luthiste se lance alors dans l’aventure, lui qui aime vivre en toute liberté selon ses propres lois.

En 1987, il obtient du syndicat égyptien des Musiciens un permis d’exercer en tant que professionnel et participe aux premières éditions du Festival du théâtre expérimental du Caire. En passant son service militaire, à peu près à la même époque, il joue au luth la nuit afin de calmer son esprit. Entre-temps, il décide d’étudier l’égyptologie à la faculté de tourisme et d’hôtellerie à l’Université de Hélouan. Et il travaille en tant que guide touristique autour de 1988. « Les temples de Dendérah et d’Abydos sont les sites que j’aime le plus. A Dendérah siège le temple d’Hathor, la déesse de la musique. Les dessins sur les murs de ces temples documentent la vie quotidienne des Anciens Egyptiens. Etudier l’égyptologie, c’est étudier les secrets cachés de l’histoire de mes ancêtres. C’est renforcer ma culture égyptienne, mon identité. Cela a beaucoup enrichi mon travail musical pour Cairo Steps ».

Son travail en tant que guide lui a permis de faire quelques économies et pouvoir voyager en Allemagne vers 1989 afin de poursuivre son parcours en égyptologie et en études islamiques à l’Université de Heidelberg. A la demande de son professeur Jan Assmann, un grand nom de l’archéologie, le jeune disciple joue en 1991 sur le roof de Heidelberg. Il capte l’attention avec une musique aux différentes gammes et tonalités mariant l’oriental à l’occidental. « Une cérémonie commémorative pour rendre hommage à Jan Assmann se tiendra en février 2025 à l’Institut archéologique allemand du Caire. J’espère avoir le temps d’y assister et de jouer à sa mémoire ».

Dès l’âge de 20 ans, Basem Darwisch, maîtrisant l’allemand, l’anglais, l’arabe et le hiéroglyphe, vit à la lisière de deux pays, l’Egypte et l’Allemagne. Ce dernier est le pays qui a pu répondre à ses attentes, notamment en matière d’ordre et de discipline. « Tous ceux qui travaillent avec moi savent très bien que je suis une personne ponctuelle, stricte et disciplinée ». Résider en Allemagne lui a également permis de nouer contact avec des jazzmen de renommée internationale et d’explorer la scène du jazz de par le monde.

Et le 19 avril 2018, Cairo Steps reçoit le prestigieux Prix allemand de jazz, lors d’une cérémonie à Berlin, pour son album Flying Carpet (tapis volant), créé en collaboration avec le groupe allemand Quadro Nuevo. Puis, avec son fils Sam Shure, il passe à une autre aventure, celle de la musique électronique en 2020. « Le parcours de Cairo Steps compte six albums dont Oud Lounge (2004), Silk Road (2007), Arabiskan (2013), Flying Carpet (2018), Café Groppi (2020), Diwan Café (2021) et beaucoup de singles partagés sur les plateformes de streaming musical », conclut Darwisch, qui prépare ses prochains concerts à Bonn, en Allemagne, prévus aux mois de mai et de juin prochains.

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