Avec les membres de la troupe du chant religieux, Al-Inchad Al-Dini, qu’il dirige depuis 1998, il ne cesse de faire l’éloge de Dieu et de son prophète. Le musicien, compositeur et maestro Omar Farahat a aujourd’hui 81 ans. Normal qu’il soit témoin de plusieurs époques artistiques et qu’il se soit doté, au fil des ans, de l’expérience lui permettant de marier chant religieux et musique arabe classique, pour atteindre des moments d’extase.
« Formée de 50 chanteurs et chanteuses, la troupe jouera le 5 avril prochain un large éventail de compositions spirituelles, de litanies et de zikr (rappel d’Allah), signés par les cheikhs Morsi Al-Hariri, Abdel-Azim Mohamad, Ahmad Aboul-Hassan et du maître soufi Al-Naqchabandi. Au programme, il y a aussi des invocations divines tirées du Saint Coran et des tawachih (chant arabo-andalou). Et on va clôturer la soirée en égrenant les noms de Dieu, à la manière du grand compositeur Sayed Mekkawi », indique Omar Farahat, lui-même féru du grand interprète-compositeur Mohamad Abdel-Wahab. « Ce dernier est l’un des architectes du renouveau de la musique arabe. Son chef-d’oeuvre Mawkeb Al-Nour (procession de lumière) fait partie des oeuvres qu’on a prévues durant la soirée du 5 avril ». « La troupe du chant religieux de l’Opéra égyptien n’accepte que les diplômés des instituts de musique arabe et les récitateurs du Coran », ajoute-t-il.
Plein d’énergie et de vivacité, le maestro ne fait pas son âge. Farahat enseigne toujours au Conservatoire du Caire, il est professeur émérite de violon à l’Académie des arts depuis 1992. Sur scène, il est réputé pour sa grande précision, mais aussi pour la simplicité de son style. Son tempérament et sa technique font de lui un interprète hors pair, notamment lorsqu’il est question de chant religieux et de musique arabe. « Pour préserver le patrimoine du chant religieux, la troupe du chant religieux a été créée en 1972, sous Sadate, par décret présidentiel, en collaboration avec le maestro Abdel-Halim Noweira. Ce dernier a alors formé un orchestre complet regroupant, autre le duff traditionnellement d’usage, d’autres instruments tels la flûte, le violon, la cithare orientale … Il a sélectionné 12 cheikhs, de vrais maîtres du genre, pour rejoindre la troupe. Ceux-ci avaient été formés par le compositeur Abdel-Moneim Al-Hariri, à savoir : Sayed Moussa, Abdel-Samie Bayoumi, cheikh Mohamad Al-Fayoumi … Noweira a également changé le style vestimentaire des chanteurs ; au lieu de porter caftan, djellaba et turban, ils ont mis des vestes noires avec papillons pré-noués », se souvient Farahat, lui-même ayant fait partie de la formation musicale de Noweira entre 1972 et 1998. « Je suis fier d’avoir pris la relève en 1998 et de diriger cet ensemble prestigieux au sein de l’Opéra », estime Farahat. Sa gestion reste fidèle au cachet authentique de la troupe, tel perçu par Noweira, réputé pour « son orthodoxie ».
Mais cela n’empêche d’explorer aussi d’autres méthodes de travail et d’introduire de nouveaux instruments. « Qualifiés d’art sérieux, la musique arabe et le chant religieux sont étroitement liés. Même avant l’islam, la musique arabe a trouvé refuge dans le système traditionnel des corporations artisanales et au sein des confréries soufies et leurs cérémonies de samae (chant soufi et mawal improvisé). C’est au sein de ces groupes mystiques que la musique arabe a pris son élan. La récitation du Coran a commencé à l’aube de l’islam. En plus, l’appel à la prière a constitué le début des mélodies religieuses islamiques, avec le nachid Talaa Al-Badr Alayna, un chant traditionnel que les habitants de Médine ont chanté à l’arrivée du prophète Mohamad, après la fin de la bataille de Tabouk. Cette chanson, qui a plus de 1 450 ans, est toujours assez sollicitée ».
Pour rejoindre la troupe formée par Abdel-Halim Noweira, à l’âge de 28 ans, il a dû passer une audition en 1971 dans les anciens locaux de l’Opéra khédival, incendié peu de temps après. « Le jury regroupait de grands noms tels Mohamad Abdou Saleh, joueur de qanoun, Mohamad Hassan Al-Chogaï, fondateur du premier orchestre arabe, et le violoniste Ahmad Al-Hefnawi. C’est Noweira qui m’a appris comment jouer une note sur un violon ».
Farahat a réussi le test de sélection et a joué dans un premier concert en 1973, au Conservatoire du Caire, afin de célébrer la victoire de la guerre du 6 Octobre. Omar Farahat est simple, et il conduit aussi de manière simple. Il crée une ambiance bon enfant autour de lui, maintient de bons rapports avec les musiciens et les chanteurs. Il incarne l’image d’un père tendre, et non celle d’un chef d’orchestre sévère. Il parle très peu, sème la paix et semble vivre dans un monde vintage, selon ses propres règles et principes.
Dans son monde, il est le maestro, sans jamais tenir compte des rivalités qui figurent sur le marché. Son âge et son professionnalisme lui font gagner en respect et en justesse. En effet, il a beaucoup appris en travaillant avec les grands telle Oum Kalsoum, qu’il avait accompagnée au violon de 1965 jusqu’à sa mort en 1975. Puis il a travaillé avec la troupe Al-Massiya, dirigée par Ahmad Fouad Hassan, qui se produisait avec toutes les stars de l’époque. « J’ai vécu aux côtés de Abdel-Wahab, Abdel-Halim, Oum Kalsoum, Baligh Hamdi, Riyad Al-Sonbati, Nagat Al-Saghira … Je les accompagnais pendant les répétitions ici et ailleurs, mais aussi sur scène ».
A l’entendre parler, on a l’impression que la vie s’est arrêtée avec la fin de cette époque. « Ce qui me gêne de nos jours en Egypte c’est le chaos ; les rues sont très encombrées ». Il se rappelle sa première rencontre avec la diva Oum Kalsoum. « J’ai été la voir avec mon mentor le violoniste Ahmad Al-Hefnawi dans sa villa à Zamalek et ce, pour participer aux répétitions de la chanson Enta Omri (t’es ma vie), composée par Mohamad Abdel-Wahab en 1965. Elle devait la chanter pour la première fois sur les planches du théâtre Al-Ezbékiyeh », se souvient-il, avant d’ajouter : « Je touchais 10 L.E., c’était une belle somme pour un jeune homme dans la vingtaine. Oum Kalsoum est une véritable icône, un trésor national. Je ne peux me produire en concert sans insérer, dans le programme, un chant de la diva parmi le répertoire religieux. Au début de sa carrière, la dame a appris à chanter en psalmodiant le Coran et en interprétant des louanges. Elle chantait le Coran ».
Farahat se souvient de l’année 1967, celle de la défaite face à Israël. « La musique arabe a continué quand même à jouer un rôle de sensibilisation et de mobilisation. Le pays connaissait une effervescence artistique avec l’aide du ministre de la Culture, Sarwat Okacha. Aujourd’hui, il est quasiment impossible d’échapper à la musique de la rue, celle des Mahraganat (musique électro-populaire en vogue) ».
Farahat poursuit ses succès auprès d’Oum Kalsoum ; il l’accompagne sur scène en chantant Enta Al-Hob (t’es l’amour). « Très minutieux et très organisé, Abdel-Wahab est à mon avis le compositeur arabe le plus prolixe et le plus accompli. Il fait partie des grands réformateurs de la musique arabe ».
Né au gouvernorat de Gharbiya, dans le Delta du Nil, Omar Farahat a quitté sa ville natale à l’âge de 5 ans, en 1948 ; la famille devait se déplacer avec le père, un marchand de machines de tissage. Au Caire, il s’est inscrit plus tard à l’Institut de musique théâtrale en 1963 (aujourd’hui Institut de musique arabe). Puis, il a poursuivi ses études à l’Académie des arts, à Guiza.
A l’Institut de musique arabe, il a été initié par un professeur italien et par le grand violoniste Abdou Dagher. « J’admire la virtuosité de Dagher et sa technique conjuguée à un sens inné de l’’improvisation », précise Farahat, ajoutant : « Mon père a refusé au départ que je devienne musicien professionnel, mais face à ma passion, il a fini par baisser les bras. A la maison, on écoutait Abdel-Wahab, Oum Kalsoum et d’autres. Je jouais également au piano ».
Avec la troupe consacrée au chant religieux, il a fait le tour du monde entier, pour mieux faire connaître la musique spirituelle. En 1995, il a participé au Festival de la musique et de la culture du bassin méditerranéen à Marseille, remportant le premier prix. Idem au Festival national des arts populaires de Marrakech, au Maroc, en 1996. La liste est longue, le maestro octogénaire juge important d’exporter le chant religieux. « Celui-ci fait partie intégrante de la culture égyptienne et arabo-musulmane ».
Aujourd’hui, c’est à son fils de prendre la relève, de voyager un peu partout pour répandre la musique orientale. Il s’agit du maestro et violoniste Hany Farahat, devenu fort connu avec notamment les concerts qu’il dirige à la capitale saoudienne. « En novembre dernier, mon fils m’a invité à jouer sous sa direction à Riyad, durant un concert en hommage au grand compositeur Riyad Al-Sonbati. Si on m’invite pour rejouer là-bas, je le ferai avec grand plaisir », conclut-il.
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