Plutôt mignonne, yeux verts et brillants, cheveux blancs et courts, au sein de la Fondation de la Femme Nouvelle, elle est entourée de ses disciples, ses amis et ses collègues qui apprécient son parcours en tant qu’activiste et féministe. Lors d’une une séance de dédicace de son livre Wa Agmal Al-Zékrayate Sataëti Hatmane (les plus beaux souvenirs viendront certes), Nawla Darwiche est la star au milieu de ses fans, femmes et hommes. Selon ses propres termes, « c’est un livre de mémoires et non une autobiographie ». Elle y retrace son parcours, celui de la fille du grand avocat égyptien Youssef Darwiche, femme et féministe acharnée. Un parcours très attaché à l’histoire de l’Egypte et à son changement sociopolitique depuis les années 1950 jusqu’à l’après-Révolution du 25 Janvier. « Mon point de départ n’était pas d’écrire un livre de mémoires. Au contraire, j’avais des articles parus dans des revues et des journaux que je voulais rassembler dans un ouvrage. Pour ce faire, j’ai contacté Seif Salmawy, PDG de la maison d’édition Dar Al-Karma. Il m’a franchement dit que les gens ne vont plus s’intéresser à des anciens articles. Vous menez une vie bien remplie. Pourquoi ne pas travailler sur vos mémoires ? », raconte-t-elle. Six mois durant, la féministe a travaillé sur son ouvrage. Elle y adopte un langage à mi-chemin entre l’arabe classique et le dialectal. « Je ne suis pas une écrivaine académique. J’écris comme si je pense tout haut », souligne Nawla Darwiche.
Dans ses mémoires retracés se dessine un va-et-vient entre le général et la vie personnelle, entre l’histoire de l’Egypte et celle d’une citoyenne très attachée au centre-ville cairote. Ecrit-elle pour tout avouer ? « Non, puisque je procède à une sélection de mémoires. Toute personne a le droit de dissimuler certains épisodes de sa vie, ou cacher l’identité de certaines personnes par courtoisie, par confidentialité et pour ses propres raisons. J’écris en pensant aux nouvelles générations qui ne connaissent pas l’histoire des simples gens, comme moi, qui est tout à fait loin de l’histoire officielle », lance-t-elle.
Fille de l’avocat Youssef Darwiche, un défenseur acharné des droits des ouvriers et un des dirigeants communistes les plus en vue à l’époque de Nasser, elle était toujours touchée par sa carrière, son militantisme et sa solidarité. « Mes parents étaient à l’origine des juifs appartenant à deux courants religieux différents. Ils se sont convertis à l’islam pour mieux s’approcher du peuple égyptien », raconte-t-elle. Pourtant, sa famille était une sorte de melting-pot. Des juifs, des musulmans, des chrétiens, mais tous des Egyptiens de coeur.
Son enfance était marquée par des visites en prison pour voir son père. « A l’âge de deux ans, ma mère me prenait voir mon père détenu en prison pour des raisons politiques. Tout au long de la route, elle décrivait mon père comme un homme beau, élégant et gentil. Nous nous sommes trouvés dans la salle de visite mais au lieu de courir vers mon père, je me suis jetée dans les bras de l’officier présent ».
La mère disait à la petite fille que son père était détenu pour avoir défendu un petit enfant pauvre attaqué par la police. En grandissant, la jeune fille touchait de près la vérité. Le père défendait des causes plus sérieuses et plus cruciales. « Mon père était l’un des fondateurs de Dar Al-Khadamate Al-Niqabiya wal Ommaliya (centre des services syndicaux et ouvriers). Différentes branches du centre ont été fermées en 2007. Les membres du centre ont intenté un procès au Conseil d’Etat pour contester les procédures engagées à leur encontre. Je voulais leur exprimer ma solidarité. Je restais seule dans le hall du Conseil d’Etat parce que je ne connaissais personne. Puis soudain, un des ouvriers est venu me saluer parce que je suis la fille de Youssef Darwiche. J’étais très émue et j’avais même les larmes aux yeux parce qu’encore quelques années après la mort de mon père, les ouvriers se souviennent de lui et de ses efforts », se rappelle la dame qui garde aussi cette passion innée de défendre les causes humaines, les droits de l’homme et des ouvriers et, plus particulièrement, ceux des femmes. Un féminisme inné ?
Au bac, Nawla Darwiche a suivi un programme scientifique. Et par la suite elle a joint la faculté de sciences à l’Université du Caire. « J’avais toujours éprouvé une grande passion pour les lettres. Mais à cette époque, j’ai voulu prouver à moi-même et à tout le monde que je suis capable de briller dans ces domaines ». Est-ce un féminisme latent contredisant les clichés disant que les lettres sont pour les femmes et les sciences sont pour les hommes ? A cette époque, Nawla ne le savait pas encore. « A la faculté de sciences, j’ai assisté au cours de la dissection de grenouilles. Je regardais la grenouille sur le plateau et subitement cette dernière a sauté. Je me suis donc cachée sous la table. A la fin, j’ai appris que le prochain cours serait celui de la dissection de la blatte. A la maison, j’ai dit à mon père que je ne vais pas continuer mes études ». Son père l’a aidée à transmettre son dossier à une autre faculté de sciences humaines. Nawla étudiait les lettres françaises pour devenir enseignante. Après la première année d’études, cette branche s’est déplacée à la faculté de Aïn-Chams sous le titre de la faculté de pédagogie.
Son diplôme en poche, elle s’est rendue en Algérie pour enseigner. Puis de retour en Egypte, elle a continué à le faire au Centre culturel français. « Je faisais de petits boulots et ensuite je me suis lancée dans le domaine du développement ».
Son parcours politique allait de pair avec son travail, en adoptant la pensée marxiste et en joignant les partis communistes. Mais elle souffrait toujours de l’impact de la société patriarcale. « Même dans ces partis, je travaillais souvent comme secrétaire, messagère ou je donnais des cours de français », dit-elle avec ironie. « En 1988, j’ai abandonné le travail politique. J’en avais assez », souligne-t-elle. « Je suis devenue féministe plus tard. Le féminisme était toujours dans mon esprit sans m’en rendre compte ». Et ce, parce que Nawla Darwiche rejette toute sorte de discrimination, notamment celle du genre. « Après avoir abandonné la vie politique, mon père m’a proposé un jour d’acheter la revue de la Femme Nouvelle. Il m’expliquait que c’était un nouveau groupement de femmes qu’on doit soutenir. J’ai acheté la revue par solidarité envers ces femmes sans vraiment m’intéresser à la lire ». Quatre ans plus tard, elle a reçu un coup d’appel de Azza Kamel, membre du groupement, qui lui demandait de venir assister à une réunion évoquant le financement étranger. Au siège du groupement, les membres étaient partagées entre l’acceptation et le refus des fonds étrangers. « Dans l’absolu, je ne suis pas contre le financement étranger. Mais il y a des critères : ne pas intervenir dans la politique du groupement et ne pas lui imposer d’agenda ». Après cette réunion, Nawla Darwiche a joint de plein gré la Fondation de la Femme Nouvelle, déclarée comme une compagnie civile non commerciale.
En 2003, la Femme Nouvelle cherchait à bénéficier du nouveau statut d’ONG. Le ministère de la Solidarité sociale a refusé de le faire parce que les services de sécurité s’y opposaient. « Nous avons eu en main une lettre avec ce genre de prétexte. Nous avons lancé une campagne sur le plan national aussi bien que sur le plan international. Au Conseil d’Etat, le juge m’a invoquée : Nawla Youssef Darwiche. Toutes les personnes présentes dans la salle se sont levées pour m’accompagner. C’était une forte image de solidarité ». En mai 2004, la Femme Nouvelle est enregistrée comme une ONG.
Depuis 2003, Nawla Darwiche choisit de devenir traductrice indépendante de l’anglais et parfois du français vers l’arabe. A un moment donné, elle est passée par une phase de stagnation. « A cette époque, j’ai souvent trouvé sur la toile des astuces pour dépasser ces périodes de déception. Ecrire un livre m’était intéressant. Je cuisine uniquement pour les gens que j’aime, j’ai donc pensé à lier dans un livre mes recettes à mes souvenirs. Fi Sohbate Al-Taam (en compagnie de la nourriture) est donc sorti en 2018 ». Se réchauffe-t-elle de ses souvenirs ? Oui, certainement, sans nier ses joies et ses peines.
Célébrant encore Wa Agmal Al-Zékrayate Sataëti Hatmane, paru en janvier 2024, par des séances de dédicace ici et là, Darwiche préfère s’éloigner un peu de l’écriture. Elle ne cherche pas à trouver le sujet du prochain livre, mais à avoir le temps pour réfléchir afin de ne pas tomber dans le piège de la répétition. Peut-être qu’elle jouirait de la bonne humeur pour cuisiner quelques repas pour sa fille, la star Basma, et sa petite-fille Nadya.
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