Affiches et dépliants portant sa photo, des marque-pages à la disposition des visiteurs. Des gens dont on ne voit pas le visage font la queue afin que Kenzy Madbouly leur dédie son nouvel ouvrage, dans l’un des nombreux pavillons de la Foire internationale du livre au Caire. Il s’agit d’un public jeune et socialement diversifié. Les autres visiteurs, de passage près de cet espace encombré, ne savent pas pourquoi il y a tellement de monde. Et hop, le secret de ce rassemblement hors pair commence à se dévoiler ! Ce sont les fans de Kenzy Madbouly, jeune auteure de 27 ans, qui vient de publier son premier roman, Forsa Min Zahab (une chance en or), paru aux éditions Hamza.
Elle a voulu tenir une séance de dédicace durant cet événement afin d’aller à la rencontre de ses lecteurs en dehors du monde virtuel. Donc c’était vraiment pour elle une chance en or, absolument à saisir.
Et effectivement, en dépit de son jeune âge, l’écrivaine en herbe a réussi à attirer une large audience durant la rencontre-débat qui lui a été dédiée, en évoquant la vie des personnages de son roman qui décrit une ambiance de violence familiale, où les parents agressent leurs enfants.
Influenceuse, blogueuse et créatrice de contenu, Kenzy a utilisé tous ses canaux (site Internet, page Facebook, Twitter, TikTok ou compte Instagram) pour annoncer la date et les horaires de sa séance de dédicace. Et ses admirateurs étaient au rendez-vous, après avoir fait circuler les informations concernant leur idole sur les réseaux sociaux. Sous leurs regards, la jeune écrivaine se contentait d’écrire « avec toute mon amitié », suivi d’un paraphe. Elle déployait des efforts pour mieux faire connaître son livre et multiplier ses chances de vendre le maximum de copies.
« Je rêvais d’une journée pareille depuis ma tendre enfance. Je souhaitais devenir comme les écrivains américains Christopher Paolini, qui a écrit sa première oeuvre à l’âge de 19 ans, et Alec Greven, qui a publié son premier livre à neuf ans. Ce dernier a signé trois ouvrages à succès sur Comment parler aux filles, Comment parler aux mamans et Comment parler aux papas, offrant des leçons de vie à ses lecteurs », dit Kenzy qui essaie de suivre les pas de ces deux auteurs américains célèbres.
Kenzy Madbouly a commencé à lire dès l’âge de huit ans. Elle avait l’habitude de visiter la Foire internationale du livre avec sa mère pour acheter toutes sortes d’ouvrages, notamment les romans d’Ihsane Abdel-Qoddous, de Naguib Mahfouz et de Sarwat Abaza.
A un âge plus avancé, sa mère l’a initiée à lire les poèmes de Bayram Al-Tounsi. Francophone, cette ancienne élève de Saint-Vincent de Paul était éprise de tout ce qui relève de la mythologie égyptienne, des pyramides et des images à colorier.
Dès la maternelle et l’école élémentaire, Kenzy s’est révélée être multipotentielle. Ses professeurs l’ont vite remarquée et compris qu’il suffit de lui fournir l’environnement adéquat pour qu’elle développe ses compétences. Elle faisait du théâtre, jouait des rôles importants sur scène, rédigeait des scénarios pour ses compères et leur fournissait toutes les notes nécessaires pour créer une ambiance donnée. « Quand on me demandait ce que j’aimerais faire à l’âge adulte, je répondais spontanément que je voudrais devenir actrice ou réalisatrice », raconte-t-elle.
Mais n’ayant pas trouvé d’opportunité pour jouer dans des films ou des séries TV, elle a cherché à devenir une star de la blogosphère, une influenceuse et créatrice de contenu, comme on se plaît à le dire de nos jours.
Kenzy a commencé à se faire remarquer sur TikTok en mars 2020, l’année du confinement dû au Covid-19. Pour surmonter les mesures de confinement et de distanciation sociale, elle a créé une première vidéo et a rejoint la communauté des créateurs en ligne. En 2022, elle a créé une page Facebook vite suivie par des milliers, puis des millions de personnes.
Son style pop lui a valu de nombreux adeptes. Aujourd’hui, elle cumule plus de 3,8 millions de followers sur Facebook et sa chaîne TikTok est suivie par 2,2 millions d’abonnés, alors que son compte Instagram attire 3,3 millions.
Etre productrice de contenu numérique ne se limite pas à prendre des selfies avec les parents ou les amis et à les poster au fur et à mesure. Lorsqu’elle se réveille à 10h, elle désactive son mode avion, consulte son mail et les notifications sur son téléphone. Ensuite, elle décrit ses débuts de journée, épluche les commentaires sous ses photos Instagram et essaye de comprendre pourquoi une telle photo a récolté moins de « j’aime » qu’une autre.
Après, elle jette un coup d’oeil sur les questions qu’on lui a posées sur TikTok et sur les commentaires sous ses vidéos YouTube … C’est carrément sa routine quotidienne. « Mon métier nécessite que je sois très organisée », dit-elle avec détermination.
Comme n’importe quelle personne active au travail, Kenzy Madbouly a des horaires et un emploi de temps assez chargé, c’est l’une des raisons de son succès.
Sur les réseaux sociaux, elle poste des vidéos un peu partout. Et a commencé à mettre en ligne des vidéos humoristiques, parfois assez critiques. Mais sa principale intention est de donner une énergie positive à tous ceux et celles qui la suivent.
Parfois, elle publie des vidéos en lien avec l’éducation des enfants. « Je donne des conseils aux nouvelles mamans, en leur demandant de ne pas permettre à leurs enfants de regarder toutes sortes de séries. Car la quantité de violence à la télévision est en hausse. Des milliers d’études confirment qu’une exposition massive à la violence télévisuelle accroît les comportements agressifs chez les personnes de sexe masculin ». En vue d’enrichir ses connaissances et de pouvoir être une source fiable d’informations, Kenzy développe constamment son bagage culturel, en assistant à des séminaires, des conférences et des workshops sur des thèmes très différents.
Parfois, elle poste des contenus sur la dépression et la santé psychique, notamment sur les troubles de la personnalité obsessionnelle compulsive. L’une de ses vidéos sur cette maladie évoque une histoire touchante, inspirée d’une expérience personnelle. Elle explique qu’elle a mené un combat intense à son enfance et qu’elle est parvenue à apprivoiser cette maladie du cerveau à l’âge de 23 ans. Plusieurs de ses admirateurs ignoraient les détails de cette maladie, qui se présente sous la forme d’obsessions, donnant lieu à des comportements irrésistibles. Parfois, ceux-ci sont accompagnés d’une dépression qui se manifeste différemment selon les personnes. Pour Kenzy, cela a commencé à l’âge de neuf ans. Elle entendait une voix dans sa tête. Cette voix lui demandait de faire des choses. « Je regarde plusieurs fois si la porte est bien fermée ou si le gaz est éteint. Je lave mes mains plus de 15 fois en 10 minutes. Je pensais qu’un malheur allait arriver à ma mère et j’avais souvent l’impression qu’elle allait mourir », dit-elle sans avoir honte, ou sans chercher à dénigrer la réalité de sa maladie psychique.
Bien au contraire, Kenzy voulait que tout le monde connaisse les symptômes de cette maladie, pour ne pas en souffrir comme elle. Au début, ses parents ont pensé qu’elle essayait d’attirer leur attention avec ses comportements bizarres, mais peu de temps après, elle a réussi à les convaincre qu’elle avait besoin de se faire soigner et d’être suivie par un psychiatre, qui lui a prescrit des antidépresseurs.
Aujourd’hui, elle est bien entourée, même si elle travaille en solitaire, aidée par son fiancé Firas. Diplômé en polytechnique, ce dernier se produit en duo avec elle sur TikTok. Ensemble, ils ont tourné des vidéos qui sont devenues ultra-populaires. « Les problèmes de couple, on en parle souvent », dit-elle.
Comme plusieurs autres créateurs de contenu, Kenzy se lance dans la publicité, en profitant du fait qu’elle a un large public. Cela lui permet de gagner correctement sa vie ? La réponse de Kenzy est négative, avançant qu’elle est très sélective quant aux sujets qu’elle traite. Elle choisit par exemple de traiter des thèmes qui lui tiennent à coeur comme les activités des ONG pour personnes handicapées ou non-voyantes. « Si de grandes entreprises ou des boutiques de mode me demandaient de faire de la publicité pour elles, je répondrais par Non ! Car ce n’est pas mon métier », conclut la jeune star.
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