Elle utilise le storytelling dans le but d’enseigner la langue arabe dans les écoles. Sur sa chaîne YouTube, elle présente une émission éducative dédiée aux enfants en jouant et en dansant. Isrâa Saleh vient de recevoir un financement de 1,5 million de L.E. pour développer son projet Super Abla (super enseignante). Cette personnalité charismatique résume, en quelques mots, son objectif de vie : « Mon seul but est d’apprendre aux enfants de 3 à 6 ans l’importance de la langue arabe dans notre quotidien, tout en liant l’alphabet à la culture, à l’histoire et à la géographie ».
L’idée du projet lui est venue à l’esprit lorsqu’elle a suivi Blippi sur YouTube, un programme éducatif amusant et attrayant pour les enfants, créé en 2014 par Stevin John, originaire de Washington. Quelque temps après, Isrâa Saleh prend le relais.
A chacune de ses émissions sur YouTube, elle choisit un thème tout à fait différent du précédent. Pour elle, il est possible d’allier éducation et divertissement en s’appuyant sur des idées créatives. Car une lettre de l’alphabet est parfois associée à un objet qu’on affectionne, à un endroit qu’on a l’habitude de visiter, à un son rigolo ou à un cri d’animal qu’on élève.
Pour familiariser en douceur les enfants à la lecture et à l’écriture, Isrâa utilise plusieurs techniques à la fois. Il y a d’abord l’ancienne méthode qui consiste à montrer à l’enfant que chaque caractère est associé à un mot qui commence par la même lettre. A titre d’exemple, « le mot Alexandrie commence par A, c’est la première lettre de l’alphabet ». Pour susciter l’intérêt de l’enfant, Isrâa lui donne des informations géographiques sur la ville d’Alexandrie : « Située à l’ouest du Delta du Nil, sur la Méditerranée ». Ensuite viennent les infos historiques : « Alexandrie a été construite par Alexandre le Grand en 331 avant notre ère ». Et pour que l’enfant saisisse un bon nombre de lettres au cours de l’émission sur le même thème, Isrâa se donne à l’art qu’elle adore depuis toute petite. Elle dessine sur de petits rondins de bois des choses que l’on a l’habitude de voir à Alexandrie : sayyad (pêcheur), samaka (poisson). « Ce sont des mots qui commencent par les lettres sad et sine de l’alphabet arabe. Ainsi, les enfants comprendront que cette combinaison de lettres familières forme des mots avec des significations bien précises. Facilement et avec amour, ils seront lancés dans la grande aventure de la lecture », dit cette enseignante aux cheveux frisés et aux lunettes rondes.
Isrâa est née dans une famille où la culture et la langue arabe détiennent une place particulière. Sa mère et sa grand-mère étaient institutrices et superviseures générales de langue arabe. Son grand-père était professeur de jurisprudence islamique à l’Université d’Al-Azhar. Les deux parents maternels et paternels ont encouragé la petite Isrâa à creuser ses connaissances en langue arabe, en poésie et en littérature. Donc, elle a de tout temps été avide de lecture.
Enfant, Isrâa était ravie de manipuler des objets en tissu ou en éponge. A partir de 6 mois environ, elle a commencé à saisir le sens des mots. Sa grand-mère, excellente conteuse, a familiarisé sa petite-fille à la collection Sésame, Qessas Al-Hayawane fil Coran (les histoires des animaux dans le Coran) d’après l’oeuvre d’Ahmad Bahgat Qessas Al-Insane fil Coran (histoires de l’homme dans le Coran) et Qessas Al-Gamad fil Coran (histoires des objets dans le Coran). Ses tantes et ses oncles lui lisaient aussi des livres dans les deux langues : arabe et anglais. La petite Isrâa s’est habituée à visiter les librairies Al-Kilani et Dar Al-Chaab, spécialisées dans les ouvrages pour enfants. « A l’école, pendant la récréation, tandis que mes collègues passaient, jouaient et mangeaient, je me rendais à la bibliothèque pour lire un bouquin important ». La petite dévoreuse de livres s’est éprise des oeuvres de Naguib Mahfouz. Elle a appris par coeur le poème Ommi (ma mère) du poète émirati Manë Said Al-Oteiba à l’âge de 9 ans, un poème qu’elle aime souvent réciter. Isrâa participait également à l’activité journalistique de l’école.
En 2020, elle a créé sa chaîne YouTube au nom de Super Abla. Comme la plupart des gens, Isrâa était confinée chez elle à cause de la pandémie de Covid-19. Tous les élèves d’Egypte étaient d’ailleurs confinés chez eux, obligés de faire l’école à la maison. Elle décide de leur apprendre l’arabe en partageant avec eux des vidéos amusantes en relation étroite avec la langue. Elle explique les mots à sa manière en ajoutant quelques blagues, un peu de mise en scène, ainsi que son large sourire. C’est elle qui écrivait les scénarios en se demandant comment rendre la vidéo intéressante, instructive et ludique. « Chaque jour, on postait de nouvelles vidéos ». Et la chaîne continue à gagner des adeptes. Ils étaient 6 000 lors du lancement de la chaîne, aujourd’hui, ils sont 17 500, après 3 ans de travail. Les enfants l’aiment et les adultes approuvent son style.
Isrâa a choisi d’enseigner l’arabe de cette manière pour des raisons particulières. « 75 % des élèves dans le cycle primaire sont faibles en arabe classique, selon une statistique publiée en 2016 faite sur 120 écoles », explique-t-elle. Et d’ajouter : « Dans cette tranche d’âge, les élèves n’aiment pas l’enseignant antipathique, comme celui incarné par la star Mohamad Héneidi dans le rôle de Ramadan Mabrouk Aboul-Alamein Hammouda, qui est le stéréotype du professeur obèse avec sa moustache noire et une canne à la main. L’élève n’aime pas non plus les cours d’arabe qui sont monotones et lourds. Et ce, en comparaison avec les cours d’anglais ou de français dans les écoles internationales qui sont interactifs et débordent de dynamisme. Tout cela a des répercussions négatives pouvant amener un bon nombre d’élèves à abandonner totalement l’apprentissage de cette langue ».
En novembre 2023, Isrâa a décidé d’aller un peu plus loin. A travers l’émission télévisée Shark Tank Egypt, dédiée aux petits entrepreneurs, elle a réussi à convaincre deux membres du jury (sur cinq), hommes d’affaires égyptiens, à lui offrir le financement nécessaire au développement de son start-up, soit un million et demi de L.E. C’est une somme en échange d’une partie de ses royalties sur les ventes à venir des bouquins éducatifs et des livres d’activités qui aident les élèves à développer leur apprentissage de la langue arabe. Ces investisseurs privés apportent leur expertise et partagent leurs idées sur le réseau. « J’étais ravie à l’idée qu’ils sont venus pour m’écouter. Pour moi, c’était le comble du bonheur », raconte-t-elle sur un ton passionné.
Mais quelles étaient les activités d’Isrâa Saleh avant de commencer sa carrière sur YouTube ? Elle a acquis une grande expérience après avoir exercé un certain nombre de petits boulots. Faute de moyens, à l’âge de 15 ans, elle est devenue éducatrice secondaire dans une crèche internationale. A l’âge de 19 ans, elle a compris la nécessité d’apprendre les bases du conte et l’art de la mise en scène. Quelque temps après, elle a acquis les premiers outils d’écriture à l’institut Nazra pour les études féministes. A 23 ans, Isrâa est devenue une conteuse au sein de l’atelier Mariem. Ensuite, elle est devenue enseignante d’arabe dans des écoles internationales. C’est là où elle a commencé à exercer ce qu’elle avait appris tout au long des années précédentes. Isrâa n’a jamais été une enseignante classique. Elle transmet sa passion pour l’arabe en dansant et en chantant. Elle n’a jamais fait de théâtre, mais elle improvise et joue en racontant des histoires. Elle sait capter l’attention des petits. Sa personnalité optimiste et chaleureuse, ainsi que son humour et sa popularité, lui ont donné un grand succès avec les enfants. « Je voudrais être la femme la plus renommée d’Egypte et la plus riche du monde », conclut-elle.
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