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Sarah Ben Hamadi : La révolution autrement

Houda Belabd, Lundi, 11 novembre 2013

Porte-drapeau de la révolution tunisienne, militante digitale à l’ère du tout-cliquable et fervente défenseuse du journalisme citoyen, Sarah Ben Hamadi est tout cela à la fois. Par le biais de son blog et de sa plume, elle défend les revendications des révolutionnaires de son pays, non sans dévouement.

Sarah Ben Hamadi
Sarah Ben Hamadi.

Voir un lendemain meilleur en Tunisie. Sarah Ben Hamadi y croit dur comme fer. En quelques années seulement, cette jeune femme, qui respire l’opti­misme à pleins poumons, est deve­nue une figure de proue du militan­tisme révolutionnaire dans son pays. Son étiquette de journaliste correspondante pour divers médias internationaux ainsi que sa cas­quette de blogueuse invétérée lui valent ce positionnement dans la vie active. Son blog Un OEil sur la planète témoigne de sa ténacité débridée et de sa plume bien affû­tée. A travers des vaillants billets qui sont publiés dans cet espace électronique — qu’elle a lancés bien avant l’éclatement de la révo­lution tunisienne — se cache une rebelle de haut acabit, une grande amoureuse de la littérature et des mots, mais aussi une native de la génération du tout-cliquable qui fait honneur à ses semblables. Et ce n’est pas rien si la célèbre chaîne Arte l’a choisie comme collabora­trice en 2011 pour éclairer l’opinion publique mondiale sur les événe­ments d’une Tunisie qui a décidé de crier haro sur l’injustice.

Sarah fait partie de ce que l’on appelle communément chez elle « les révolutionnaires digitaux ». Une appellation dictée par l’inter­minable révolte populaire tuni­sienne de janvier 2011. Cette espèce d’insurrection que l’on qualifiait poétiquement de « révolution du Jasmin », il y a près de 3 ans et qui a fini par prendre des airs d’amer­tume, selon les dernières nouvelles. Toutefois, même si le climat poli­tique de ce pays n’est pas à envier, Sarah ne fronce pas les sourcils. Elle sait qu’une bonne partie de la trajectoire a déjà été franchie et que le meilleur est, certainement, gardé pour la fin. Aussi sait-elle que la bataille qui subsiste encore est des plus rudes, voire des plus immenses. D’ailleurs, l’adage bien sage prédit que « plus la bataille est dure, plus la victoire est belle » et ce n’est pas cette jeune femme qui dira le contraire.

« Il est clair que tout n’est pas heureux », dit-elle, avant de préci­ser que désormais « une liberté de ton existe, malgré les tentatives de contrôle, notamment à travers des procès contre des rappeurs. Mais plutôt que de parler des acquis, je pense qu’il faudrait parler des revendications, principalement sociales, qui n’ont pas été satis­faites. La conjoncture est certes difficile, mais on ne peut pas nier l’incompétence qui sévit dans la gestion des affaires par le gouver­nement. Ajoutée à cela, l’ivresse du pouvoir ». Récemment, deux rap­peurs tunisiens, à savoir Weld 15 et Klay BBJ, ont été mis derrière les barreaux, pour avoir critiqué Ennahda, le parti qui tient, d’ores et déjà, les rênes de la Tunisie. Ce qui pousse Sarah à se poser mille et une questions sur l’état d’avancement de la démocratie dans son pays.

Certainement, la jeune femme met à l’index la méga­lomanie des élus à la tête du pays. Ceux-ci, « n’ont plus envie de repartir », fait-elle remarquer, avant de poursuivre sur le même ton : « C’est contre cela qu’il faut, maintenant, résister. On ne peut pas prétendre être une démocratie sans qu’il y ait d’élections, une alter­nance au pouvoir et un pluralisme politique ». Dans cette optique, le temps fera-t-il son affaire ? « Non seulement on aurait besoin de temps, mais encore les mentalités doivent changer », renchérit-elle, en faisant allusion aux personnes qui ont voté pour le parti islamiste d’Ennahda.

Faire changer les mentalités est une bataille qui ne rebute pas Sarah Ben Hamadi. De même, son par­cours dans la vie est une belle boîte à merveilles. Au lendemain d’une maîtrise en gestion à l’Institut supé­rieur de gestion de Tunis et un master en gestion touris­tique à l’Institut des hautes études commerciales de Carthage, elle n’a pas réussi à couper le cordon avec sa bonne vieille passion d’antan, à savoir l’écriture. De même, elle a mis son grain de sel dans le monde de la lecture digitale. « J’ai parti­cipé au lancement de la première librairie en ligne en Tunisie », se souvient-elle, non sans modestie. En même temps, elle gérait son blog Un OEil sur la planète, qui est aujourd’hui l’un des blogs les plus connus et les plus lus au niveau du Maghreb arabe. Les lecteurs y trou­vent de tout. De l’actualité tuni­sienne, en passant par l’actualité régionale sans oublier ce qui se passe aux quatre coins de la pla­nète. Le tout est analysé avec brio grâce à une liberté de ton sans pré­cédent en Tunisie.

Au lendemain de la chute de Ben Ali, Sarah Ben Hamadi a basculé dans le journalisme. Un domaine qui l’a toujours séduite. Plus préci­sément, elle se retrouve dans le journalisme citoyen. Le même qu’elle a toujours défendu dans son blog. Par la suite, elle a rejoint l’as­sociation Cahiers de la liberté. Une association de veille politique, dont l’objectif est d’informer et de sensi­biliser les citoyens à travers des publications et des débats, et ce, en dehors de toutes considérations par­tisanes. « Aujourd’hui, je suis membre du conseil d’orientation du Labo démocratique, une associa­tion tunisienne, à caractère scienti­fique qui a pour but de contribuer à l’instauration et à l’enracinement d’une démocratie innovante et vivante, à travers la recherche, l’analyse et les débats », conti­nue-t-elle.

Cependant, une question s’impose : Comment pourrait-on concrétiser les attentes et les reven­dications des révolu­tionnaires tunisiens de 2011 ? Pour Sarah, une révolution n’est pas une date limitée dans le temps, mais tout un processus. Seulement voilà, ce dernier risque de jouer les pro­longations. Le hic ? Certains béné­ficient encore des privilèges de l’ancien système. « Les revendica­tions sociales n’ont pas été satis­faites, le processus de la justice transitionnelle est encore en panne. Les blessés de la révolution atten­dent encore une reconnaissance, les familles des martyrs désespèrent. Mais pour se maintenir au pouvoir, certains sont prêts à tout, au détri­ment de ceux qui ont donné leur vie pour voir un changement quel­conque dans leur pays », dit-elle, et d’ajouter : « Il faut donner les signes d’une réelle volonté de chan­gement, et ceci, on ne le voit pas. Un peuple qui s’est révolté contre une dictature ne peut plus avaler les beaux discours, il a besoin d’ac­tions ».

Mais force est de s’interroger sur la faisabilité de la chose. Selon Sarah, le féminisme tunisien n’est pas à minimiser. L’Histoire contem­poraine est le principal témoin de leurs victoires. « La femme tuni­sienne a toujours été de tous les combats. D’ailleurs, je dis tou­jours : si ce pays tient encore c’est grâce à ses femmes ». En d’autres termes, le code du statut personnel promulgué par Bourguiba en 1956 est le principal garant des libertés de la femme tunisienne dans tous les champs de la vie sociale. Aussi est-il le moteur des activités poli­tiques et associatives de toute femme tunisienne. De plus, il est toujours en avance par rapport aux autres pays arabes.

Pour beaucoup, le scénario poli­tique tunisien rappelle, d’une manière ou d’une autre, le résultat des dernières élections législatives et présidentielles en Egypte. Selon les mots de Sarah, le processus révolutionnaire en Egypte a été interrompu à partir du moment où l’armée a décidé de (re)prendre les commandes du pays. « La gouver­nance des Frères musulmans a certes été catastrophique, mais si nous voulons réellement bâtir une démocratie, nous ne pouvons pas écarter du pouvoir un parti élu par les urnes et essayer de l’exterminer par la suite. En Tunisie et encore plus en Egypte, les islamistes sont une partie intégrante de la société. Ne pas être d’accord avec l’idéolo­gie qu’ils prônent, c’est une chose. Tenter de les éliminer, c’est une autre », compare-t-elle. Et d’ajou­ter : « Malheureusement, agir de cette manière avec les Frères musulmans d’Egypte ne fera que les radicaliser. Ce n’est pas un hasard si les islamistes ont gagné les premières élec­tions des deux pays. Force est de consta­ter qu’ils ont été opprimés pendant de longues années par les dictatures. Mais une fois libérés, c’est vers eux que les peuples se sont tournés en un pre­mier temps ».

Les desseins de la démocratie ne seraient pas impénétrables. L’avenir de l’Egypte et celui de la Tunisie nous en diront plus. « Je crois qu’il faut analyser ce qui se passe dans ces deux pays afin d’en tirer les conséquences. Le but est, plus concrètement, de ne pas refaire les mêmes erreurs. Il ne faut pas se poser dans un schéma binaire : dictature ou théocratie. Une troi­sième voie existe, à savoir celle de la démocratie, où toutes les ten­dances sont représentées », ajoute-t-elle.

Jalons :

2003 : Maîtrise à l’Institut supérieur de gestion de Tunis.

2009 : Master à l’Institut des hautes études commerciales de Carthage.

Mai 2011 : Participation à une session de formation en tournage, mon­tage et mise en ligne de web-documentaires, lancée par Canal France International (CFI).

Septembre-décembre 2011 : Elle dissèque pour la chaîne Arte, la société tunisienne avant, pendant et après les élections législatives.

Mai 2012 : Elle fait partie de la rédaction internationale de la 65e édi­tion du Festival international du film de Cannes.

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