D’habitude, il refuse les prix attribués par les sociétés de production à un tel ou tel comédien. Il ne se montre pas très chaud, lorsqu’il s’agit d’assister à des festivals ou de grands événements artistiques, célébrés en grande pompe, préférant toujours garder un profil bas. Mais cette fois-ci, il s’est laissé tenter par l’hommage que lui a rendu le Festival national du théâtre à sa 16e édition (du 29 juillet au 14 août). « Ceci célèbre plus de 40 ans de carrière, et non pas un rôle précis, il récompense l’ensemble de mes oeuvres ».
Le comédien Rouchdy Al-Chamy, qui a récemment brillé dans le rôle du vieux pêcheur à travers la série télévisée Taht Al-Wissaya (sous tutelle) durant le mois du Ramadan, mais aussi dans d’autres rôles qu’il avait tenus dans les séries Al-Sandoq (la boîte) et Azmet Montassaf Al-Omr (crise de milieu de vie), est avant tout un homme de théâtre. Il en est fier et répète souvent : « Le théâtre m’a formé, il m’a tout donné. Je suis devenu comédien grâce à ses planches ; j’ai cumulé les expériences au fil des années. Un comédien de théâtre peut facilement réussir au cinéma et à la télévision. Car sur les planches, on apprend à vivre dans la peau du personnage pendant deux heures d’affilée, tous les soirs. On maintient l’humeur du personnage, son intonation, ses émotions devant le public présent en salle. A la télévision comme au cinéma, la même scène est tournée en deux ou trois minutes, et peut-être plusieurs fois », estime-t-il.
Conscient de la valeur de sa profession, Al-Chamy a toujours bien préparé ses rôles, même s’il est question d’une apparition silencieuse. Il se rappelle son rôle comme figurant dans la pièce Al-Magazib (les fous, 1979) au théâtre Al-Talia. « J’ai alors acheté des accessoires et des habits pour incarner le personnage d’un fou, traversant simplement la scène. J’exerçais d’autres métiers le matin et venais me plaire au théâtre, le soir. Je dépensais tout l’argent que je gagnais afin de préparer mes rôles au théâtre », raconte-t-il.
A 9 ans, il a accompagné un ami de sa famille au Théâtre national. Il s’agissait du metteur en scène Mahmoud Al-Alfy qui célébrait son projet de fin d’études, en 1967. « Quand j’avais franchi le seuil du théâtre, mon corps a frissonné et j’ai eu des palpitations. Les décors, les planches, tout me séduisait », se souvient-il. Depuis, il voulait se livrer à toutes sortes de petits métiers pour économiser de l’argent et assister aux spectacles de théâtre.
Aux cycles préparatoire et secondaire, il a travaillé comme percussionniste dans différents espaces culturels et avait le plaisir de fréquenter le Palais de culture de Qasr Al-Nil comme amateur. Il avait le sens du rythme, et outre les percussions, il excellait aussi à jouer les instruments à cordes, tels le violon, le oud, la contrebasse et le violoncelle, ainsi que des instruments à vent, comme le nay et la kawala (flûtes orientales). « J’ai acheté mon premier oud à 39 L.E. à la rue Mohamad Ali. A l’époque, j’avais travaillé comme assistant de production dans un film. C’est l’échelon le plus bas des métiers de la production. On m’a offert une récompense de 40 L.E. », précise-t-il. Et d’ajouter : « Je suis un autodidacte. J’apprends par essai et erreur. Le concept est le même pour tous ces instruments. J’ai même appris le solfège. Je demandais l’aide d’un ami, ou observais un musicien jouer. Tout ceci m’a aidé dans mon métier de comédien ».
Rouchdy Al-Chamy a rejoint la faculté de commerce de l’Université de Hélouan. Il était complètement absorbé par les activités théâtrales à l’université et séchait ses cours, mais parvenait tout de même à réussir à la fin de l’année. « Mes parents avaient expérimenté avec moi le pire. Donc, pour eux le théâtre était une passion louable. Ma mère insistait simplement sur le fait que j’obtienne mon diplôme en gestion ». Mais le théâtre a fini par prendre le dessus. « Je finissais mon travail et je me dirigeais au théâtre. Le travail dans le domaine commercial était simplement un gagne-pain, surtout qu’à l’époque, j’étais marié ».
Plus tard, il a refusé de faire autre chose à côté et a décidé de s’adonner corps et âme au théâtre et à la télévision. « Vers la fin des années 1990, le Théâtre national a fait appel à candidature pour embaucher des comédiens et sélectionner de nouveaux membres pour sa troupe. J’étais déjà connu parmi les hommes de théâtre. A l’époque, Hoda Wasfi était la directrice du Théâtre national et c’est elle qui m’a choisi, en inscrivant sur mon dossier : le Théâtre national a l’honneur de recruter Rouchdy Al-Chamy ».
Ses rôles se multiplient au théâtre, ayant joué dans des pièces telles Al-Sett Hoda (madame Hoda), Zaki Fi Al-Wizara (Zaki au ministère), Le roi Lear et autres. Sa belle performance dans le rôle du cheikh non voyant dans la pièce Une maison de chair, donnée à la Maison de Zeinab Khatoun, lui a permis de décrocher un rôle dans la série télévisée Oum Kalsoum, réalisée par Enaam Mohamad Ali. Il y a interprété alors le rôle du compositeur Sayed Mekkawi. « Un bon comédien doit être apte à tout faire. Il doit être sur la même longueur d’onde que le metteur en scène, sinon le jeu est raté ».
Rouchdy fait toujours de son mieux afin de se distinguer. « Lorsque le spectacle débute à 21h, j’arrive au théâtre vers 13h, je prends une petite boisson et me dirige vers ma loge pour me préparer, quelle que soit la taille de mon rôle sur les planches », indique-t-il.
En tant que metteur en scène, il s’intéresse toujours aux détails les plus infimes. « Je ne me considère pas comme un metteur en scène. Je suis simplement une personne qui a un point de vue sur la vie et qui cherche à le communiquer. J’avoue être un dictateur avec les comédiens ; je ne fais aucune place à la coïncidence. Tout est bien calculé dans ma tête ». Al-Chamy a signé en l’an 2000 la mise en scène d’une soirée poétique, au Théâtre national, intitulée Conçu en Palestine, d’après un recueil de poésie de Fouad Haddad. Des extraits de poèmes servaient à dénoncer l’assassinat de Mohamed Al-Dorra, de manière dramatique.
Toujours sur les planches du Théâtre national a été donnée sa dernière mise en scène, Min Al-Qalb Lil Qalb (coeur à coeur, 2016), une adaptation du Petit Prince de Saint-Exupéry. Peu de temps après, il était un peu mis à l’écart, il ne jouait presque plus sur les planches. « La veille de la Révolution de Janvier 2011, c’était la dernière représentation du spectacle Al-Mataam (le restaurant) d’Akram Moustapha. J’avais décidé de quitter le pays et je voulais voyager en Allemagne. J’en avais assez des frustrations et des moments difficiles ! J’étais complètement déprimé, mais au lendemain de la révolution, je me sentais renaître. Je suis resté en Egypte, de bon gré ».
Sa rencontre avec la réalisatrice Kamla Abou-Zekri, quelques années plus tard, dans Wahet Al-Ghoroub (oasis du couchant, 2017) a constitué un tournant dans la vie d’Al-Chamy, qui a excellé dans le rôle du chef de tribu. Sa prestation était surprenante, et depuis, il ne cesse de nous surprendre par ses rôles variés dans les séries télévisées.
Actuellement, il est en train de tourner une nouvelle série au Liban, Al-Gawla Al-Akhira (le dernier tour), devant la star Ahmad Al-Saqqa. Et en octobre prochain, il prendra congé pour s’occuper un peu de lui-même et effectuer quelques tests médicaux. « Aujourd’hui, ce sont surtout les drames télévisés qui m’occupent. Le théâtre est un travail exhaustif, ma passion pour les planches ne s’éteindra jamais », conclut-il.
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