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Réda Abdel-Rahman : Héritier d’Akhenaton

Névine Lameï , Samedi, 12 août 2023

De retour en Egypte après avoir vécu plusieurs années aux Etats-Unis, le plasticien Réda Abdel-Rahman prépare une nouvelle exposition au Caire autour de la nostalgie. Un sentiment qui a toujours habité ses peintures, notamment pendant la période passée à l’étranger.

Réda Abdel-Rahman

Le plasticien égyptien Réda Abdel-Rahman qui enseigne depuis trois ans les anciennes techniques picturales à l’Art Lab, Staten Island, au collège de Binghamton, à New York, vient de rentrer en Egypte. Et ce, après avoir séjourné aux Etats-Unis depuis 2014. Il a prévu une nouvelle exposition, du 22 août au 12 septembre, à la galerie Yassin, à Zamalek, sous le titre de Nostalgie.

Il y montre de petits formats, réalisés à l’aide de sa technique favorite, la tempera, fondée sur une émulsion qu’elle soit grasse ou maigre. Fidèle à l’héritage particulièrement riche de ses ancêtres, Réda Abdel-Rahman se pare d’une certaine contemporanéité, à cheval entre tradition et modernité. Son ambition est de jeter un pont entre les cultures du monde, de s’ouvrir au dialogue interreligieux, de contribuer au rapprochement des peuples, au respect des valeurs de l’Autre, etc.

Né en 1966, c’est-à-dire un an avant la défaite de 1967, à Ismaïliya, l’une des villes du Canal de Suez, Réda avait un an lorsque sa famille s’est déplacée pour vivre dans la ville d’Al-Tell Al-Kébir, dans le Delta du Nil. « Al-Tell Al-Kébir, ce premier endroit où a été cultivé le coton, selon la légende égyptienne, était un admirable camp de l’armée égyptienne et un foyer des résistances populaires. Son désert a été témoin de la bataille épique d’Al- Tell Al-Kébir qui s’est déroulée, en 1882, entre l’armée égyptienne dirigée par Ahmad Orabi et l’armée britannique », raconte Abdel- Rahman.

Avec sa famille, ils y resteront jusqu’en 1974, avant de regagner leur ville natale. Ayant grandi auprès d’un père pro-nassérien, travaillant dans le domaine de l’éducation, l’enfant a acquis un sens aigu du patriotisme et de la fierté nationale. « La victoire de 1973 nous a enchantés. Je lisais, dans la bibliothèque de mon père des romans d’Ihsan Abdel-Qoddous, Youssef Al-Sébaï, Naguib Mahfouz … Contrairement à nos jours, le salafisme et le wahhabisme n’avaient pas envahi la ville ».

Doué pour les arts, l’enfant passait des heures à dessiner avec des crayons de couleurs. « Dessiner, c’était une manière de fuir les raids et les bombardements aériens qui frappaient la ville. Mon père rêvait de me voir un jour comme Salah Taher et Bicar. Et son rêve est devenu réalité. Diplômé des beaux-arts de Minya en 1990, j’ai participé à une exposition collective côte à côte avec Bicar, à la galerie Salama, au Caire », indique Réda Abdel- Rahman.

Lors de ses visites temporaires au Caire, il habitait souvent une petite maison rurale à Guéziret Al-Dahab (l’île d’or), en face de Maadi. « En 2007, j’ai choisi de tenir mon atelier à l’île d’or, afin de vivre dans le même environnement que l’Ancien Egyptien, loin des contraintes urbaines. Cette île est habitée essentiellement par des pêcheurs et des paysans ; elle m’inspire beaucoup de par ses légendes et ses beaux paysages. Sur mes peintures, on retrouve pélicans et hérons, huppes et aigles, martins-pêcheurs et lotus, tiges de roseaux et palmiers … ».

La fascination de Abdel-Rahman pour l’Egypte Ancienne remonte à ses années d’études aux beaux-arts dans les années 1980. Il a par la suite obtenu un master et un doctorat, la décennie suivante, portant sur la peinture murale dans les établissements éducatifs. « Enseigner les arts dans les établissements scolaires est beaucoup plus important à mes yeux, plus important même que de réaliser son propre travail d’artiste. Or, en Egypte, on y accorde très peu d’intérêt », estime-t-il.

Ainsi, il a enseigné de 1990 à 1996 à la faculté d’éducation artistique de l’Université de Ménoufiya. Et de 1996 à 2000, à la faculté d’éducation artistique de l’Université du Canal de Suez. Et entre 2001 et 2005, aux beaux-arts de Louqsor. « Pour mon projet de fin d’études en 1988, j’ai créé une immense peinture murale, montrant la grande scène théâtrale égyptienne, avec ses stars, ses danseurs, ses rideaux et ses décors ». Et d’ajouter : « Vivant à Minya, pour faire mes études, je me sentais au coeur de l’ancienne civilisation égyptienne. La ville est cernée par les monuments pharaoniques ; ses peintures murales ont constitué l’une de mes principales sources d’inspiration. J’éprouvais un plaisir inouï à visiter la nécropole de Béni Hassan, la ville de Tell Al-Amarna, les ruines laissées par Akhenaton, la tombe d’Isadora ... Leurs paysages nourrissaient constamment mes sketches », précise l’artiste. Ajoutant : « Akhenaton a déclenché une véritable révolution culturelle et religieuse. Celle-ci a eu des échos sans doute dans le domaine de l’art. On a commencé à montrer les détails de la vie quotidienne de la famille gouvernante, une sorte de naturalisme naïf régnait à cette époque ».

D’où aussi son exposition phare, tenue en 2020 au Snug Harbor Cultural Center, à Staten Island, New York. Celle-ci regroupait cinq thèmes : Nostalgie. Le Caire-New York. Feuilles sacrées. Mutilations génitales féminines. Je suis tout un chacun. « Ce dernier thème est inspiré de mon livre préféré : The Dawn of Conscience (l’aube de la conscience) de James Henry Breasted ».

Pour Réda Abdel-Rahman, les obstacles sont là afin de les surmonter. Au lendemain de la Révolution du 25 Janvier 2011, et la montée des Frères musulmans au pouvoir, l’artiste engagé a décidé de partir aux Etats-Unis. « Je voulais vivre en paix, peu importe la formule ! Je voulais simplement bien vivre, selon mes critères », dit-il.

Au temps du coronavirus, il a pensé différemment les masques sanitaires en les transformant en peintures novatrices. Il a créé des masques sous la forme de dollar, de livre égyptienne, de boîte de lait, de sac de chips … « Ce sont des produits de consommation qui m’entouraient durant le confinement, chez moi à New York. Partout, on a vécu la même angoisse existentielle. Ni l’argent, ni la nationalité américaine ne peuvent servir en ces temps ; il faut seulement se montrer plus solidaire, plus humain ». Et de poursuivre : « Aux Etats-Unis, les droits des femmes se taillent une place de choix. Ceci s’est reflété sur mon art. Désormais, la femme est au premier plan sur mes toiles, et l’homme n’est qu’un spectre ou un fantôme, une silhouette sans détails. En Egypte Ancienne, on parlait de la femme déesse et reine, symbole de la croissance, de la survie et de la fertilité. Aujourd’hui, les femmes sont plus ligotées dans nos sociétés arabes ».

Souvent, on est perplexe face à ses tableaux. S’agit-il du visage de Néfertari, de Hatchepsout, d’Isadora, de Balqis, d’Isis …, ou d’une femme mondaine en face du dieu Thot ? « Je suis chanceux d’avoir une épouse dévouée, Rasha Taher, spécialiste des besoins éducatifs particuliers à Binghamton City School District. Je suis tellement reconnaissant de l’avoir dans ma vie ».

L’artiste qui vit depuis quelques années aux Etats-Unis visite tous les lieux en lien avec l’Egypte : le Métropolitain, les musées des facultés artistiques … « Nostalgique, j’écoute les chansons d’Oum Kalsoum, de Mohamad Fawzi … j’ai envie de manger des plats égyptiens, etc. », exprime Réda Abdel- Rahman, PDG depuis 2019 d’une association culturelle arabo-américaine, basée à New York.

En Egypte, il avait créé un premier magazine mensuel d’art visuel, intitulé Portrait, de 2005 à 2011. De 2007 à 2017, il a été secrétaire général de l’Association des amis des beaux-arts. Et directeur général du secteur des beaux-arts, auprès du Fonds de développement culturel, de 2006 à 2012. En effet, l’artiste tient à assumer charges administratives et activités multiples, lui permettant de laisser son impact sur la scène culturelle de façons variées.

Dans ce même esprit, il a participé à la fondation, en 2012, de l’association Caravane qui a organisé une exposition internationale à l’église Saint-John à Maadi, ayant pour thème l’âne. « Nos événements visaient à rapprocher les cultures et les croyances religieuses, par le biais de l’art. On a également tenu une autre exposition en 2013, autour de la prière, qui a été donnée à la cathédrale Saint-Paul à Londres, à Saint- John the Divine à New York et à la Cathédrale nationale de Washington DC. Nous pensons sérieusement à faire vivre le festival annuel de Caravane, dans l’objectif de faire évoluer les mentalités, à la recherche de terrains de rencontre et de dialogue », conclut Réda Abdel-Rahman.

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