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Gamal Elkheshen : L’humaniste du XXIe siècle

Lamiaa Alsadaty , Samedi, 08 juillet 2023

Maître de conférences et graphiste de formation, Gamal Elkheshen est un artiste polyvalent DERNIER MOT qui met le corps humain au centre de toutes ses oeuvres. Il vient de recevoir le Prix d’encouragement de l’Etat.

Gamal Elkheshen
(Photo : Lamiaa Alsadaty)

La pensée, la culture, l’art. Ce sont les trois fondements sur lesquels s’appuie son parcours d’artiste. Et si l’on ajoute que le corps humain est son médium d’expression ? Ne devient-il pas ainsi la définition de l’humaniste par excellence ? « Je conçois le corps humain comme le leitmotiv de toutes mes oeuvres. Mis à part ses normes esthétiques, la représentation du corps porte en elle des interrogations sur son existence, son lien par rapport à autrui, etc. C’est un élément de réflexion ouvrant des problématiques politiques, sociales, et culturelles », explique Gamal Elkheshen. « Tous les axes de l’art sont essentiellement inspirés de la littérature et de la religion, où le corps humain occupe une place importante. A titre d’exemple avec La Création d’Adam, figure centrale du plafond de la chapelle Sixtine, Michel Ange représente ce lien direct entre l’Homme et Dieu. Or, il aurait pu se contenter de dessiner une croix ou un poisson pour évoquer le christianisme ». Selon lui, un artiste est un conteur qui a ses propres modes d’expression. « Je ne me suis jamais considéré comme un communicateur fort avec les mots. Au lieu de cela, je me suis appuyé sur le pouvoir des impressions visuelles pour transmettre mes idées. Cependant, une nouvelle période d’évolution a commencé dans ma pratique lorsque j’ai commencé à travailler sur des projets artistiques après avoir participé à des résidences d’art avec d’autres artistes, où nous avons collaboré à l’écriture de projets artistiques. Cela m’a amené à expérimenter avec différents matériaux et techniques, et j’ai trouvé que l’écriture, avant de commencer une oeuvre, m’avait aidé à générer des idées à partir de ma mémoire et de mes sentiments ».

Graphiste de formation, Gamal est un professionnel de l’image qui ne voit pas de frontières étanches entre les différentes disciplines artistiques. Ainsi il opte parfois à combiner plusieurs disciplines, afin de pouvoir transmettre le message désiré ou d’autres fois de passer d’un style à un autre. Par exemple, dans son exposition tenue en 2020-2021 et portant le titre « La Sortie du paradis », il a eu recours à une peinture acrylique grand format, un art vidéo et une installation. « L’art est avant tout de l’expérimentation. Avant de me lancer à la réalisation de mon oeuvre, je me donne le temps de foncer dans l’idée à travers la lecture. Et à force de lire, le concept se cristallise et les disciplines et les techniques toutes confondues s’imposent », dit-il. Les murs de son atelier tapissés par ses oeuvres éclectiques témoignent de cette tendance de libération. Une libération qui n’est pas, toutefois, absolue. Ce, puisqu’en fin de compte, lorsque le graphiste fait de la peinture, à l’encontre du peintre, il doit toujours suivre certaines règles : le graphisme vient de la planification et des études sémiologiques et esthétiques. Le graphiste se trouve toujours soumis au message qu’il cherche à transmettre. Le peintre, par contre, reconstruit le message à sa guise, loin de toutes règles. Par ailleurs, selon Elkheshen, le graphisme doit avoir cette composante humaine, intéressante et créative. Le graphisme ne doit pas se passer de l’art, de la sensibilité intellectuelle et émotionnelle. « Le graphisme doit être provocateur, éveiller les interrogations du public. Dans cet aspect se trouve l’intersection entre le graphisme et l’art ».

Enfant, Gamal était très attaché à l’art et au sport. A l’instar de toutes les familles de la classe moyenne, sa mère l’accompagnait, après son travail, avec ses deux frères, pour passer leur entraînement de waterpolo au club. « Au club Al-Zohour, j’ai passé mon enfance à m’entraîner, faire mes devoirs, mais aussi à dessiner en attendant que mes frères terminent à leur tour leur entraînement ». Son père, général à l’armée, voulait que son fils suive ses pas, en s’inscrivant en polytechnique militaire. Mais, le bac en poche, le jeune tient fortement à son rêve. « J’ai décidé depuis toujours que j’allais faire du dessin mon métier. Et comme j’ai eu un coup de coeur pour la communication et la technologie, j’ai décidé de joindre le département du graphisme ». Ce n’était pas évident pour une famille qui n’entretient aucun rapport avec l’art. « Ma mère m’a toujours soutenu. Mais mon père était choqué. Il s’attendait même à ce que j’échoue et quitte les beaux-arts. Au contraire, j’étais classé le premier de ma promotion les cinq années d’études. Moi-même j’étais surpris, car je travaillais par amour et je n’avais pas en tête cette question de classement ».

Diplôme en poche, Elkheshen a tout de suite travaillé pour une agence de publicité. « J’ai tenu fort à ma passion. Et ça a marché du tonnerre. Par pure coïncidence, en 2015, j’ai pris connaissance de l’organisation de la Biennale de Venise. J’ai été enthousiaste d’y prendre part. Mes collègues et moi avons créé un projet intitulé Can You See ? (pouvez-vous voir ?) avec un message caché pour découvrir la paix. Cette expérience m’a inspiré d’explorer de nouvelles idées pour mon art, et j’ai commencé à travailler sur des oeuvres technologiques qui m’ont aidé à exprimer mes pensées et mes émotions plus rapidement. A l’âge de 25 ans déjà, j’ai eu la chance de représenter l’Egypte dans l’un des événements artistiques les plus importants à l’échelle mondiale ».

Il s’agissait d’une installation qui se compose de 5 formes tridimensionnelles qui forment les lettres du mot « paix » couvert d’herbe. Et ce, parce que la paix représente un équivalent sémantique arabe du paradis qui est lié à la plantation et le vert aussi bien que la paix intérieure pour l’être humain. Ainsi, le public cherche le chemin qui réalise le mot paix et représente l’état que les humains visent. A cet égard, le spectateur peut établir un programme de réalité augmentée sur son cellulaire avant d’entrer dans le hall, et lors de l’application de ce programme sur l’écran du téléphone ou ordinateur portable ou écran d’affichage à l’intérieur du hall, verra deux options, un négatif et un positif de la même image numérique, puis le spectateur en choisit un, et observe les cinq lettres basculer à dix scènes différentes. Une interaction est mise en place entre l’utilisateur et l’oeuvre en touchant l’écran par exemple, en essayant d’éteindre le feu à la main, ou en fuyant la peur en touchant l’animal. « Cette application programmée avait comme concept : la connaissance de l’être humain qui affecte sa vision de la vérité et sa vision de la paix ».

Dans sa dernière exposition, Dermis Crust (le derme et la croûte), le public a été emmené dans un voyage imaginaire à travers les transformations des corps humains et leur rapport à la terre. « La différence entre ma première et ma dernière expositions est que dans cette dernière, c’est le minimalisme qui prend la relève ». Le mois dernier, Gamal Elkheshen a remporté le Prix d’encouragement de l’Etat pour son livre d’artiste. Dans ce dernier, il a illustré L’Enfer de Dante Alighieri à la lumière de son inspirateur le plasticien américain Robert Rauschenberg, qui a été lui-même inspiré par le Français Gustave Doré qui avait illustré L’Enfer de Dante en 1861. La différence ? « C’est la réception de l’oeuvre et l’emploi de la technique. Gustave Doré a illustré sa conception sur bois, Rauschenberg a eu recours à la sérigraphie (technique d’imprimerie sur métal), alors que j’ai eu recours à la technique dite Computer to plate (ordinateur vers plaque) à partir d’un fichier envoyé d’un ordinateur, l’illustration est gravée sur une plaque ». Le corps humain, dans sa totalité ou une partie, y est toujours présent. Expérimentales et expressives, ses oeuvres sont divisées en projets, chacun avec son propre concept, caractère, sa technique et ses matériaux. « Je privilégie l’interaction entre le projet, le spectateur et moi-même, en octroyant à mon travail un esprit vivant. Expérimenter avec l’art vidéo, la peinture et les installations, et explorer des projets qui expriment différents aspects de mon oeuvre par le mouvement, le son, les solutions visuelles et le langage, me permet de communiquer mes idées et mes émotions d’une manière qui transcende le langage et de parler au spectateur à un niveau plus profond », conclut-il.

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