Portant un jean et un gilet fluorescent avec un sac à dos sur les épaules, Khadija Mansour voyage en solo. Elle lève son pouce pour faire signe aux automobilistes. Hop, un camion s’arrête : « Bonjour monsieur, merci de vous arrêter, où allez-vous ? ». L’autostoppeuse, âgée de 28 ans, a décidé de partir à la découverte de l’Afrique en trimballant sa « maison » sur son dos.
Elle a décidé d’explorer une quinzaine de pays avec pour seul bagage un sac à dos. Elle a parcouru plus de 15 000 km à travers l’Afrique, à commencer par Louqsor, puis Assouan et Abou-Simbel, avant d’entrer au Soudan, puis en Ethiopie et au Kenya. Elle traverse ensuite l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie, le Malawi et franchit la Zambie, le Zimbabwe, le Mozambique et le Botswana. La jeune femme, en solitaire, a l’intention d’achever son périple en Afrique du Sud.
Cette backpacker a commencé son parcours du continent africain il y a quatre mois. Un voyage qui a débuté en janvier 2023 à Louqsor, en Egypte. Son projet fou visait alors à sillonner les routes de l’Afrique en 18 mois.
Pour interviewer Khadija, il était difficile de la contacter. Le service Internet était tout le temps interrompu. On ressentait fortement les vibrations de sa voix lorsqu’elle était au Soudan, le 15 avril, c’est-à-dire au début des affrontements opposant l’armée du général Abdel-Fattah Al-Burhan aux forces paramilitaires du général Mohamed Hamdan Daglo. On a fini quand même par réaliser péniblement notre interview via Instagram.
La jeune brune aux cheveux frisés présente ses excuses. « Je n’arrive plus ni à parler ni à envoyer des messages vocaux, car il n’y a pas moyen de se connecter à Internet. Et quand le réseau fonctionne, les frais sont énormes », expliquait-elle.
Pour une femme seule, faire une randonnée en solo et voyager en autostop est une aventure dangereuse. Au Soudan, juste avant les dernières escalades, elle ne pouvait plus fermer les yeux à cause du vrombissement incessant des avions et des combats de rue au fusil automatique ou à la mitrailleuse lourde. Elle n’a pas pu non plus respecter son itinéraire de base et quitter le pays à temps. Raison : aucun véhicule ne pouvait relier Khartoum à ses banlieues. Les trains venant des autres provinces faisaient demi-tour à l’approche de la capitale. Les ponts et les grands axes routiers ont été barrés par les forces armées.
Khadija a dû s’entraîner pendant un an et demi avant de commencer cette tournée époustouflante. Car, l’ascension des montagnes n’est pas une mince affaire, elle nécessite une bonne condition physique. Pour relever le défi, elle a dû exercer un mélange de plusieurs sports : course à pied, randonnée, vélo, natation, et ce, pour développer l’endurance et améliorer le souffle. Car elle savait qu’elle aurait dû grimper le Kilimandjaro, en Tanzanie, le plus haut sommet d’Afrique, à une altitude de 5 891 m. « Mon plan était de faire de l’alpinisme sur le toit de l’Afrique entre juillet et octobre, où la météo est favorable. En dehors de cette période, il est fortement déconseillé de s’aventurer là-bas car la saison des pluies rend l’ascension dangereuse ».
Sachant que le sport n’a jamais fait partie de sa vie, la routarde s’est limitée à 12 entraînements hebdomadaires de course à pied. Elle démarre à 11 km/h pour accélérer progressivement et finir à une allure de 21 km/h. Elle l’a fait à Alexandrie, à Gouna, aux pyramides de Guiza, à Louqsor et à Assouan. « Je faisais de la natation 3 fois par semaine. Je m’entraînais sur une large gamme de treks et je faisais des randonnées à une altitude de 3 000 m et plus », dit-elle.
Avant de commencer sa tournée, Khadija a escaladé les montagnes les plus difficiles d’Egypte : le mont Sainte-Catherine à une altitude de 8 625 pieds, Gabal Al-Chayeb à 7 175 pieds dans le désert oriental, Gabal Elba culminant à 4 708 pieds et Gabal Rimhan, l’une des plus difficiles du Sinaï.
Beaucoup redoutent de faire ce périple en backpack. Cependant, avant de partir, Khadija n’avait aucune appréhension et ne voyait que le côté aventure « comme les enfants », dit-elle. Son entourage a été surpris par sa décision. Et sa famille n’a pas du tout encouragé ce projet. Mais Khadija avoue que sa vie a commencé lorsqu’elle a osé s’y lancer toute seule.
Enfant, elle était très timide. Une fille et trois garçons, issue d’une famille conservatrice, elle a passé sa scolarisation dans une école islamique. Elle portait même le voile intégral (niqab) à l’âge de 6 ans. Elle a obtenu son diplôme de psychologie à l’Université d’Al-Azhar. « Khadija n’avait pas le droit de se balader avec ses copines ou de faire un séjour avec elles au bord de la mer », témoigne son père.
A l’époque, elle n’exerçait aucune activité comme tous les enfants et adolescents de son âge et, par conséquent, elle ne se sentait pas bien dans sa peau. Ensuite, à 16 ans, elle a décidé de ne plus porter le voile. Assoiffée de vie et de découvertes, elle a dû quitter la maison de ses parents à l’âge de 20 ans et a loué un appartement pour y loger seule. Et ce, malgré les protestations de ses parents.
Plus tard, la jeune fille a déployé de grands efforts pour convaincre ses parents des énormes bienfaits d’un tel périple. « Voyager permet de changer notre regard sur les choses, nous aide à découvrir de nouvelles choses et à mieux nous comprendre », leur répétait-elle.
En 2014, Khadija a participé à des excursions à Alexandrie et Port-Saïd. En 2016, elle a effectué un premier séjour de quatre jours au mont Sainte-Catherine, dans le Sinaï. Et en 2021, elle a passé deux mois en Ethiopie. « C’était un voyage réussi. Quelques mois après mon retour, j’ai décidé de me préparer afin d’effectuer une tournée dans toute l’Afrique ».
Dans le but de comprendre les sociétés humaines, Khadija Mansour a fait des études en anthropologie en 2020. Ensuite, elle a commencé à adresser des messages aux étrangers désireux d’apprendre l’arabe et leur offrait des leçons en ligne. C’est grâce à ses étudiants qu’elle a réussi à poursuivre son rêve. Car elle espérait être un jour comme eux et sillonner le monde. « Mais comment faire une tournée pareille sans dépenser énormément d’argent ? », c’était la question qu’elle se posait constamment.
Avant de débuter sa tournée, Khadija a collecté les informations nécessaires par l’intermédiaire du site Hitchwiki (Wikipedia de l’autostop). A travers ce guide gratuit, mis à la disposition des autostoppeurs, elle a trouvé des articles et des conseils précieux.
Faire le tour de l’Afrique exclusivement en stop est une idée qu’elle trouvait géniale. Car chaque voiture constitue un petit univers unique. « En m’acceptant à leurs côtés, les automobilistes m’ont appris des tonnes d’informations sur leur culture, leur mode de vie et ceux des pays voisins ».
Mais, voyager en stop lorsqu’on est de sexe féminin n’est pas sans risque. Khadija a été victime de harcèlement en se rendant au Soudan. « Viens ! On va aller dans un hôtel tout près ! », lui dit un inconnu. Elle a dû, elle et son amie, porter plainte.
Khadija raconte, aussi, qu’elle voyait les autres randonneuses essayant d’éviter le harcèlement. Elles prenaient une photo de la plaque d’immatriculation du véhicule dans lequel elles montaient et envoyaient le numéro par SMS à un ami. Et ce, sous les regards du conducteur et au risque qu’il se vexe.
D’ailleurs, Khadija ne voyage jamais sans son carnet et son stylo pour noter des infos importantes ou quelques mots dans la langue du pays d’accueil. Par exemple, « sampurasun sadayana » veut dire « bonjour » en dialecte soudanais, dit-elle en éclatant de rire.
Comme la plupart des trekkeurs qui font des plans pour voyager pas cher, Khadija était logée chez les habitants des zones qu’elle traversait à titre gratuit. Elle fait la connaissance de pas mal de locaux par le biais du site Couch Surfing. Ce type d’hébergement est basé sur le principe du partage et de la découverte de l’autre. « En Ethiopie, un hébergeur allemand a proposé de me fournir un toit, un lit et des repas pendant mon séjour de deux mois. Il ne recevait aucune somme d’argent à condition de lui rendre service, d’assurer l’entretien de son jardin et de s’occuper de ses animaux de ferme ».
Au cours de son séjour au Kenya, elle était logée chez une famille issue d’une des plus grandes tribus du pays, les Kikuyus, avec qui elle a beaucoup sympathisé. Bien qu’ils ne parlent pas la même langue, ils arrivaient à se comprendre et à tisser des liens entre eux, même dans le domaine de la culture alimentaire. « Le nyama choma est leur plat national : de la viande grillée, quelques morceaux de chèvre passés au barbecue et accompagnés de maïs et de bananes plantains. Les Kényans les attrapent avec la main et les mélangent avec des légumes dans une sauce », raconte Khadija qui espère servir de modèle à d’autres personnes.
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