C’est samedi, un peu avant minuit. La cathédrale maronite du quartier de Daher grouille de fidèles. A l’instar de toutes les églises du Caire, la messe de Pâques y est célébrée. Dans son homélie, Monseigneur Georges Chihane tranche d’une voix claire en mettant l’accent sur la dernière syllabe : « Pâques est une nouvelle naissance. C’est une transformation de fond en comble, un passage de la mort à la vie. Les disciples prêchaient Pâques et la résurrection du Christ, non pas sa nativité qu’ils n’avaient pas vécue ».
Homme de foi très actif, il a de nombreuses obligations. Ce n’est que quelques jours avant d’aller à Minya, pour animer des journées de prière chez les coptes catholiques avant la semaine sainte précédant Pâques, qu’il nous accueille dans le salon de son bureau, au troisième étage de l’évêché. La façade de cet ancien bâtiment est revêtue de cercles architecturaux connectés. Adjacent au jardin d’enfants et à l’école primaire, l’évêché fait face à la cathédrale, attenante à l’école Saint-Joseph. Au salon, un tableau représentant la Sainte Famille aux pyramides durant son voyage en Egypte et un autre représentant l’évêque avec son bâton pastoral ornent le mur. Nommé 7e évêque de l’Egypte et du Soudan et visiteur apostolique au nord de l’Afrique en 2012, il quitte la Jordanie après 15 ans de présence fructueuse. « J’ai choisi comme slogan pour cette nouvelle phase un ordre donné par Jésus à Pierre : Avance en eau profonde. J’ai considéré que j’aurais des difficultés et des risques et que je devrais déployer des efforts supplémentaires, étant donné que je suis parti loin de mes racines, de ma région natale, les pays du Levant, mais sûrement ceci porterait ses fruits, à l’exemple de Pierre qui a attrapé beaucoup de poissons après avoir obéi à Jésus ».
Sa famille n’est pas étrangère à l’Egypte, puisque le cousin germain de son grand-père, Haydar Chihane, a contribué à la construction de la cathédrale maronite du Caire. Il avait émigré en Egypte suite aux incidents sanglants de 1860, les massacres des maronites par les druzes, avait travaillé dans le commerce du coton et acheté des terrains agricoles près de Mansoura (dans le Delta du Nil). Plus tard, les biens de ses fils, ainsi que ceux d’autres parents, ont été nationalisés. « L’origine du nom vient du chih (l’armoise, une plante aromatique). En Jordanie, je me suis rendu à la montagne portant ce nom ».
Originaire de Haret Sakhr, au nord de Beyrouth, un village parmi 5 régions qui composent Jounieh, dont Sahel Alma et Maameltein, le jeune Georges a été encouragé à entrer au séminaire par un séminariste à l’Université des pères jésuites, Pierre Khalifa, qui rassemblait les jeunes de la région. « Je l’accompagnais et je priais avec lui ». En effet, son enfance s’est déroulée calmement dans une ambiance religieuse entre des mouvements comme la Légion de Marie, les Pionniers et la Fraternité mariale. A l’école, il faisait du découpage de bois et dessinait sur des plats. D’ailleurs, il aime l’art jusqu’à maintenant. « Pendant ma jeunesse, un festival annuel était organisé et je tenais des rôles dans des pièces de théâtre inspirées du folklore libanais, traitant de sujets historiques et sociaux importants », dit-il. Et d’ajouter : « Au village, on accourait à l’église dès qu’on entendait le son de la cloche pour être présents avant le début de la messe. J’étais habitué à servir et à participer régulièrement à toutes les cérémonies religieuses. Grâce aux relations de mon papa, j’ai passé un an avec l’ordre des Capucins à Batroun, faisant connaissance avec la vie du monastère. Je me suis trouvé en harmonie avec cette vie communautaire entre les prêtres. Me voyant attaché à cette vie religieuse, mais que je serais, par conséquent, prêtre et moine dans un ordre latin, mon père avait un autre avis. Il voulait que son fils soit au service de sa paroisse et de sa communauté maronite. Il a donc parlé avec feu l’évêque Choukrallah Harb, car s’inscrire au séminaire de Ghazir pour des études secondaires n’était pas facile. Un test d’admission était nécessaire ». Le jeune Georges a donc poursuivi ses études philosophiques et théologiques à l’Université du Saint-Esprit à Kaslik, jumelée plus tard avec les universités pontificales.
« Les événements de la guerre entre les Palestiniens et les Libanais ont commencé en 1973 avec le début de mes études. Des circonstances difficiles, mais qui nous ont permis de fournir une assistance sociale aux déplacés de la guerre. Le grand séminaire accueillait certains étudiants de l’école catholique de Hikma (sagesse) et les habitants de Damour qui ont été délogés. Nous prenions soin de ceux qui avaient perdu leurs proches et leurs maisons. C’était une période pleine de tiraillements et une atmosphère confuse dans un pays instable. Mais ma vocation ne s’est pas déstabilisée et je n’ai jamais pensé à abandonner », se souvient-il.
Ayant gravi les différents grades sacerdotaux, il est ordonné prêtre dans son village natal en août 1979. « J’ai choisi pour cette période la prière de Charles de Foucauld que je récite chaque jour jusqu’à maintenant : Mon Dieu, je m’abandonne à Toi, faites de moi ce qu’il Vous plaira. Quoi que Vous fassiez de moi, je Vous remercie ». En automne de la même année, l’évêque le nomme prêtre assistant dans le village avoisinant Sahel Alma, car son prêtre était vieux. Après son décès en novembre, Abouna Georges est responsable de la paroisse. Dix ans plus tard, il obtient une bourse à Paris où il a été prêtre étudiant pendant 4 années, servant dans une paroisse latine. « En 1996, le père Boulos Sayyah est nommé évêque de Haïfa, des Terres saintes et de la Jordanie. Comme il n’y avait pas de prêtre maronite dans ce pays, j’ai été choisi pour remplir cette mission. En fait, après 17 ans à Sahel Alma, j’aspirais à un changement, mais j’ai exaucé la demande de maman, cancéreuse, de rester auprès d’elle au Liban, surtout que mon père était décédé ». En 1997, après la mort de sa mère, il se dirige vers la Jordanie. « Je me suis inspiré de la phrase dite à saint Paul : Ma grâce te suffit. J’ai donc loué une maison près des soeurs de la congrégation latine du Saint Rosaire à Amman, la capitale. Elles m’ont permis de célébrer la messe à l’église de l’école où j’ai également enseigné, ainsi que chez les Frères. J’ai commencé à rassembler les fidèles et des activités ont été organisées telles des fêtes, rencontres et excursions ».
Plus tard, il propose à l’évêque de présenter une demande au roi Hussein pour construire une église, sachant que le roi Abdallah, fondateur du Royaume de Jordanie, était accueilli par l’ancien patriarche maronite Antoine Arida à chaque fois qu’il se rendait au Liban. « Après une médiation de l’ambassadeur du Liban en Jordanie, un terrain sur la route de l’aéroport, au milieu d’une forêt de pins et de sapins, a été consacré à l’église maronite, et les plans de construction ont été aussi offerts ». Le responsable lui a indiqué que cette région, le Parc national d’Amman, serait très importante dans l’avenir. La maison d’accueil est construite d’abord, puis en 2003, on commence à bâtir l’église Saint-Charbel.
Plus tard, la mairie lui offre 30 cèdres et lui accorde le privilège de nommer la rue. « A Manchiya, à Alexandrie, se trouve la rue de l’église maronite. Idem au Vieux Caire, dans la rue abritant notre première église, Mar Elias. Pour être original, j’ai choisi l’appellation de la rue du Cèdre », se souvient-il avec un léger sourire. Et d’ajouter : « Un jeune, Khaldoun Hassan, a offert une belle somme pour la toiture de l’église, l’habillage des pierres rocheuses et le dallage. Les dons ont représenté environ 90 % des coûts ayant atteint un million et demi de dollars. Pendant sa visite en 2005, l’ex-patriarche maronite, Nasrallah Sfeir, accorda une somme pour les revêtements des murs qui ont été exécutés par des ouvriers égyptiens de Minya ». Ornée de vitraux représentant saint Maron et sainte Rafqa, l’église est solennellement inaugurée en 2010.
Cet homme d’action poursuit sa mission en Egypte avec un grand enthousiasme. Il a entrepris des restaurations à la cathédrale de Daher, à Ismaïliya, à la maison de l’évêché à Héliopolis, ainsi qu’à l’école maronite Saint-Joseph. Après l’aménagement de l’église d’Alexandrie, il a un projet pour restaurer la villa qui sera nommée Maison du patriarche Hoyek pour les cultures et les civilisations. « Je trouve que ces monuments sont des chefs-d’oeuvre grâce à leur histoire, et ils représentent le parcours de la communauté maronite en Egypte ».
Outre ses articles au journal Watani, il inaugure le Centre culturel maronite et publie un bouquin sur la première église maronite en Egypte, à Damiette, ainsi qu’un autre sur les prières dédiées à saint Joseph. En plus, il rédige la préface d’un livre sur les articles de l’écrivaine libanaise May Ziyada, rassemblés par un journaliste d’Al-Ahram. Dévoué corps et âme à la vie pastorale, il est toujours là pour aider.
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