« Ô Seigneur! Je reviens devant vous humble, repentant et résigné. Ô Allah! Acceptez mes supplications. Pardonnez mes péchés ». Chaïmaa Al-Noubi répète cette litanie en s’adressant au Bon Dieu, dans une voix mélodieuse. Au mois de mars, elle a fait beaucoup parler d’elle, à l’occasion de la Journée mondiale de la femme. Selon un sondage effectué par le journal égyptien Al-Dostour, elle a été choisie parmi les cinq femmes égyptiennes les plus influentes, sur le plan social. Et en 2016, elle a été célébrée par la BBC comme étant une figure marquante du chant religieux dans le monde arabe.
Chaïmaa Abdel-Alim Al-Noubi compte aujourd’hui parmi les rares récitatrices du Coran; elle est pratiquement la seule à chanter des litanies islamiques, ibtihalate, partageant ses supplications avec d’autres, en dehors des cercles purement religieux. « Je suis heureuse que mon travail porte ses fruits, ayant des échos un peu partout dans le monde arabe », dit-elle.
Originaire de la ville de Louqsor, Chaïmaa Al-Noubi a grandi dans le quartier populaire de Sayéda Zeinab, réputé pour sa fête foraine réservée à la petite-fille du prophète et les soirées de zikr (invocations) dans différentes mosquées. Elle avait donc l’habitude de voir défiler les chanteurs religieux et les fidèles dans les ruelles avoisinantes. Et dès l’âge de 6 ans, on a découvert qu’elle avait du talent. « Mes parents n’ont jamais essayé de me dissuader. C’est grâce à eux que j’ai pu accéder au domaine du chant religieux et me faire une place. Je leur dois toute ma réussite ».
Sa maman l’a toujours soutenue dans ses rêves, elle l’accompagnait, depuis toute petite, à la société de production musicale Sawt Al-Qahira (la voix du Caire) pour acheter des disques et des pochettes de CD. Elle l’incitait à écouter les grands cheikhs, invoquant les noms de Dieu ou faisant l’éloge du prophète. Elle suivait des rencontres et des séminaires autour du chant religieux, pour s’y connaître davantage. Et son père lui répétait souvent qu’il fallait suivre la radio, passant des sourates coraniques et des programmes religieux. Un peu plus tard, elle a essayé de lire des ouvrages traitant de la vie des cheikhs ou des livres à thématique spirituelle tout court, lesquels garnissaient la bibliothèque de son père.
Vers 11 ans, sa soeur aînée a fait de son mieux pour lui apprendre le générique du feuilleton La Ilaha Illa Allah (il n’y a de Dieu qu’Allah), interprété par Yasmine Al-Khayyam. Et sa soeur cadette l’emmenait à l’Opéra et aux vieilles maisons du Caire pour assister à des soirées musicales qui resteront gravées dans sa mémoire à jamais.
Encore étudiante en primaire, elle participait souvent au théâtre scolaire avec des chansons religieuses, ainsi que d’autres plus classiques de la diva Oum Kalsoum et recueillait l’appréciation du public. En même temps, elle s’entraînait à bien réciter le Coran et apprenait en autodidacte les règles d’une bonne lecture. Ainsi, elle essayait d’acquérir la diction du cheikh Moustapha Ismaïl, célèbre récitateur du Coran, de connaître par coeur les louanges interprétées par le cheikh Taha Al-Fachn et de s’initier aux supplications à la manière du cheikh Nasreddine Tobar. Et ce, sans oublier l’influence de l’interprétation grandiose et émouvante du cheikh Sayed Al-Naqchabandy. Tout ceci a sans doute contribué à son évolution professionnelle. « J’apprenais une chose différente de chacun d’entre eux. Aujourd’hui, je possède ma propre personnalité », dit-elle, en étant fière d’avoir fait ce parcours en autodidacte, puisqu’elle a commencé par emprunter quelque chose à ces grands noms jusqu’à se faire une place dans un domaine majoritairement masculin. Car sous l’effet du fanatisme, les voix des femmes sont de plus en plus étouffées, voire considérées comme illicites.
Chaïmaa Al-Noubi préfère chanter des textes accessibles. A l’âge de 16 ans, elle a réussi à toucher les coeurs de ses auditeurs. L’un de ses tout premiers concerts s’est déroulé au Centre de la science et de la technologie, à Hadaëq Al-Qobba; le public l’a acclamée très fort. Plus confiante, elle a repris ses litanies de plus belle en 2014 sur les plateaux de la télévision. A 23 ans, elle a eu droit à la célébrité et a fait connaissance avec le cheikh Zein Mahmoud, vite devenu son mentor. Chaïmaa l’avait contacté sur Facebook, lui envoyant quelques enregistrements d’elle et le cheikh Zein l’a réconfortée : « Tu peux vraiment assurer ce métier. Tu es également la bienvenue dans ma troupe, dès maintenant si tu veux. Tu possèdes une voix rare ! ». Une voix sans genre, qui lui a permis de s’imposer dans un milieu masculin.
« A partir de cette date, j’ai fait partie de son groupe, et j’ai participé, avec lui, à plus de 50 concerts, dans des endroits divers, dont l’Opéra du Caire », indique Chaïmaa, dont le répertoire comprend des supplications du cheikh Naqchabandy, comme Seigneur, accordez-moi la sérénité, et des chants religieux comme celui de Yasmine Al-Khayyam La mère du prophète. A vrai dire, Chaïmaa Al-Noubi a osé franchir les barrières pour embrasser une profession essentiellement réservée aux hommes. « Il est souvent reproché aux femmes de ne pas se positionner par rapport à ce genre de carrière », avoue-t-elle.
Or, en principe, la voix de la femme n’est pas une « awra » ou chose à dissimuler. Les femmes se plaignaient au prophète et l’interrogeaient au sujet des matières religieuses. Elles ont agi de la sorte aussi avec les califes bien guidés et ceux qui les ont suivis.
Par contre, son chemin n’était pas du tout facile. Aidée par sa famille, appréciée du public, ce sont ses collègues masculins qui lui donnaient du fil à retordre. Ils n’arrêtaient pas de lui dire qu’elle ne serait pas capable de faire carrière dans le domaine du chant religieux, que sa voix ne portait pas assez, que la voix des femmes est illicite en islam… Par conséquent, elle était parfois attaquée sur les réseaux sociaux. « Cette chanteuse viole les moeurs et les traditions de la Haute-Egypte dont elle est issue », disaient les uns sur un ton humiliant.
Cependant, elle n’y prêtait pas attention. Au contraire, ce genre d’attitude la poussait à aller jusqu’au bout et à faire ses preuves. « J’ai toujours eu une tête de bois ! », lance-t-elle, ajoutant: « C’est le métier que j’ai choisi, je l’aime ! », avec un grand sourire sur les lèvres.
En 2016, Chaïmaa Al-Noubi a commencé à donner des cours pour former les enfants dès l’âge de 8 ans, mais aussi des adultes ayant 60 et 70 ans. Et ce, à travers l’Association du patrimoine artistique, qu’elle a elle-même créée. Elle donne aussi des cours particuliers aux étrangers (Soudanais, Marocains, Algériens, Jordaniens, Français et Russes) afin de leur faire découvrir les mille et une ficelles du métier. « J’ai l’impression que ce métier est en voie de disparition. La formation que j’offre peut, d’une part, aider les étrangers à apprendre la langue arabe et, d’autre part, elle sert à répandre les chants islamiques ».
Et ce n’est pas tout. En 2019, Al-Noubi a entamé un projet visant à mêler musique occidentale et folklore égyptien. « On joue le rabab ou le oud, avec de la flûte ou du saxophone, au sein d’une même formation musicale ». Ceci va peut-être lui attirer des tranches d’âge et des catégories de gens très différentes.
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