Toute petite et mince, elle est venue de la campagne pour s’installer en ville et a réussi à se faire un nom dans le monde des arts dès son jeune âge. La plasticienne, poète et critique d’art Fadwa Ramadan vit seule depuis plusieurs années, avec ses chats, à Haram City, au 6 Octobre, à la périphérie de la capitale. Et ce, dans une petite maison traditionnelle entourée de verdure, pour lui rappeler les champs de son village d’origine, Damrou, au gouvernorat de Gharbiya, où elle est née et a grandi. En même temps, elle détient un atelier dans le Vieux Caire fatimide, précisément à Wékalet Al-Ghouri.
« C’est moi qui ai planté les arbres fruitiers qui entourent ma maison à Haram City. J’aime vivre en pleine nature, sans artifice. Dans mon exposition actuelle à la galerie Yassine, à Zamalek, j’essaye de suivre les étapes de la transformation d’une fleur en fruit. J’ai eu recours à des formes florales abstraites, en usant du jeu d’ombre et de lumière. Les cercles sont synonymes d’infinité, de beauté et de perfection. C’est un peu le cercle où nous vivons tous, une ligne droite qui revient à son point de départ. Dans la nature, tout est lié à des cycles : cycles lunaires, de marées, d’accouplement … », souligne Fadwa Ramadan, 50 ans.
Son voyage en 2014 à l’oasis de Siwa, afin de travailler dans des ateliers dépendant de l’Organisme général des palais de la culture, était assez inspirant. « Mes collègues travaillaient notamment sur des sujets tournant autour des bédouines, du désert, etc., ce qui n’était pas mon cas. Rien ne m’avait vraiment frappée. Puis, le jour où l’on devait rentrer au Caire, on est passé par le marché local de l’oasis. J’étais éblouie par la langue amazighe que parlait l’un des marchands. Depuis, j’ai inclus l’amazigh dans mon art, essayant de restituer son lyrisme poétique. J’admire la culture amazighe, stipulant qu’il faut parcourir un long chemin avant d’être accepté et reconnu. Cela s’applique à mon chemin d’artiste ». Ainsi, elle a tenu trois expositions autour du même thème. D’abord, en 2014, au musée Mahmoud Mokhtar, puis en 2015 à l’Académie égyptienne des arts à Rome. Et en 2016 dans la salle Al-Bab, à l’Opéra du Caire.
Fadwa Ramadan est issue d’un milieu rural modeste. Son père est un commerçant de prêt-à-porter. Sa mère, couturière. « A l’âge de 5 ans, j’étais une enfant relativement calme, qui sait exprimer librement ses opinions. J’adorais dessiner. C’est la raison pour laquelle j’admirais les designs vestimentaires que créait ma mère pour les élites du village, dont la femme du maire. Elle confectionnait des modèles modernes différents des djellabas traditionnelles de femmes. Je récoltais le reste des tissus pour en faire des oeuvres d’art, du patchwork. Malheureusement, à présent, dans mon village, l’art est rejeté par la majorité de la population. Qu’en est-il alors d’une fille qui rêve d’en faire son métier ? J’ai dû relever tant de défis, briser tant de tabous ».
Ses parents ont insisté sur le fait qu’elle intègre, dès son plus jeune âge, une école coranique. « J’adorais dessiner, j’aidais ma soeur dans tous ses projets artistiques à l’école. J’esquissais des croquis de fêtes foraines, de noces rurales … Quand la professeure de dessin de ma soeur avait découvert que c’était moi qui les dessinais, elle a demandé à me voir. Elle était étonnée de découvrir que j’étais toute petite. Elle a pris mon dessin et a plié le papier en deux, ce qui m’a vraiment attristée. Et je n’ai pas hésité à le lui faire comprendre. L’estime pour moi-même me donne jusqu’à présent beaucoup de liberté. Je dis ce que je veux en toute dignité ».
Fadwa Ramadan a toujours exprimé clairement son refus face au mariage de mineures dans son village. Elle tenait à ce qu’on prenne ses ambitions au sérieux. Et a fini par quitter son village et s’installer au Caire après avoir été admise à la faculté de commerce extérieur de l’Université de Hélouan. Elle a vécu à la cité universitaire jusqu’à avoir obtenu son diplôme en 1999.
Depuis, elle n’a pas cessé de participer aux diverses éditions du Salon des jeunes, dont elle a décroché de multiples prix. « J’ai tout fait pour atteindre mes objectifs. Je fréquentais presque tous les jours la faculté des beaux-arts avec des camarades. En prenant le ferry-boat, pour effectuer la traversée de part et d’autre du Nil, j’étais fascinée par le voyage. Je venais d’arriver au Caire et je me perdais dans les rues. Puis, j’ai fini par m’habituer », raconte Fadwa. Et d’ajouter : « J’ai fait connaissance du grand artiste-peintre Ahmad Fouad Sélim en 1998, au Centre des arts. Il a manifesté une grande admiration vis-à-vis de mes dessins réalisés à l’encre. Il m’a beaucoup soutenue, à un moment où je n’avais pas le sou. Etant directeur du Centre des arts à Zamalek, il m’a proposé d’y exposer mes petits objets dans le cadre d’un événement collectif ».
En 1998, à l’Atelier du Caire, elle a tenu sa première exposition en solo, Tagalliyat Waraqiya (manifestations sur papier) et a tout vendu. Ses confettis abstraits suggéraient la forme de poupées vaudoues. Un énorme succès. « Le papier a une place de taille dans mes oeuvres. Vu la bureaucratie qui domine nos vies, c’est difficile d’imaginer notre quotidien sans papier ». Plus tard, l’éminent critique d’art Kamal Goweili lui conseille de poser sa candidature pour obtenir le prix de l’Etat sur la créativité artistique, offert par l’Académie égyptienne des arts à Rome. Elle a connu tout le beau monde du milieu culturel à l’époque, l’écrivain Ibrahim Aslan, le poète Gamal Al-Qassass, l’éditeur de Dar Al-Hilal, Moustapha Nabil, et le rédacteur en chef de la revue Akhbar Al-Adab, Gamal Al-Ghitani.
Ces derniers ont encouragé Fadwa Ramadan à publier ses poèmes en prose, par lesquels elle expose ses idées de manière très dense. Elle publie alors dans des revues littéraires telles Akhbar Al-Adab et Ibdae. Ensuite, elle obtient une bourse de résidence artistique entre 2003 et 2005 à l’Académie égyptienne des arts à Rome. « J’ai soumis un projet intitulé Explorer le corps humain, étude comparée sur la représentation du corps en Egypte et en Europe. Je me suis servie d’exemples de Kandinsky, Dali, Paul Klee, Bharti Kher, Matisse, Modigliani, Mahmoud Saïd, Hassan Soliman … J’ai beaucoup profité de mon travail pendant trois ans auprès du grand peintre Hassan Soliman. Je révisais ses articles à paraître chez Dar Al-Hilal ; je l’ai vu travailler dans son atelier avec des modèles nubiens sublimes. Le corps humain ne diffère pas d’un pays à l’autre, ce qui diffère, c’est l’oeil que l’on pose sur lui », indique Fadwa Ramadan.
Cette dernière a profité de sa présence en Italie, afin d’étudier l’histoire de l’art et de s’ouvrir davantage sur le monde. « Si l’on veut gagner vraiment sa vie, il faut faire ce qu’on aime », conclut l’artiste, devant ses peintures-collages exposées à la galerie Yassine. Des fleurs qui peuvent paraître comme des étoiles, des lunes, des astres solaires, des cercles.
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