Lorsqu’il parle, il a la voix d’un jeune homme enthousiaste qui déchiffre avec passion les secrets de l’Histoire, en décryptant les documents anciens. Professeur documentaliste, Magdi Guirguis enseigne à l’Université de Kafr Al-Cheikh et travaille en collaboration avec l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO) du Caire. Il vient de recevoir le prix Sawiris sur la critique pour son ouvrage paru l’an dernier aux éditions Al-Maraya, Al-Moallem Ibrahim Al-Gohari (Maître Ibrahim Al-Gohari). « Je ne savais pas que la maison d’édition avait soumis le livre au comité du prix. J’étais au Fayoum, sans téléphone portable. Personne n’a pu me joindre pour la remise des prix. Des amis ont réussi à me contacter vers 19h20 et m’ont prié d’y aller. J’y suis arrivé vers 21h, quelques minutes avant l’annonce du prix. J’étais content d’y être », raconte Magdi Guirguis en souriant. Et d’ajouter : « Ibrahim Al-Gohari était un prêtre, un homme de l’église. Mais il était aussi un dignitaire copte aisé et un homme d’Etat très apprécié par la société ».
L’universitaire fasciné par les archives ne cesse d’y fouiller, notamment pour mieux cerner le statut des coptes en dehors du cadre religieux sous l’Empire ottoman. « Je m’intéresse surtout à la représentation non religieuse des coptes en Egypte, à leur statut social. Dans le temps, on ne mentionnait presque rien sur l’aspect social de leur vie. Les archives de l’Eglise étaient plutôt liées à des situations religieuses. Les chercheurs, qu’ils soient européens, orientalistes ou historiens égyptiens, ont étudié les coptes d’Egypte jusqu’au IXe siècle, l’Eglise adoptait encore la langue copte ancienne. Après l’arabisation, les recherches ont négligé une importante phase de l’histoire sociale et économique des coptes. L’Eglise et le Centre national des documents ont en leur possession les vieux registres des tribunaux légitimes, écrits dans un arabe archaïque ». Magdi Guirguis considère ces registres comme un vrai trésor, qu’il essaye de nous faire découvrir à travers son nouveau livre, L’Histoire des coptes du Xe au XIXe siècles.
L’auteur n’est cependant pas présent à la Foire du livre : « Seuls mes bouquins y sont, cela suffit ». Il n’a pas le temps de faire des allers-retours, pour des soirées de dédicace. L’écriture étant une tâche difficile, donc il préfère s’y consacrer entièrement. « J’envie mes collègues qui publient plusieurs ouvrages et ont une production abondante. Moi, j’aime prendre mon temps. Je suis même assez lent, car j’associe l’écriture scientifique à l’écriture littéraire. J’attends d’être inspiré pour me lancer dans un texte, puis j’attends d’avoir tout le plan en tête avant de commencer à rédiger ».
Le besoin de raconter est une nécessité pour le professeur-documentaliste. « Malheureusement, le Centre national des documents en Egypte confond le rôle de la documentation avec celui des archives. Il n’est pas censé être un dépôt », déplore-t-il. Et de poursuivre : « En Egypte, les chercheurs souffrent afin d’accéder aux documents nécessaires à leur travail. Il y a beaucoup d’obstacles liés à la routine et à la bureaucratie. Aujourd’hui, beaucoup de chercheurs préfèrent étudier les documents relatifs au Moyen-Orient en Tunisie ou en Turquie, pour éviter les complications ». Etant un habitué des archives nationales ou du Centre national des documents, depuis les années 1990, il peut renouveler facilement son permis d’accès, ce qui n’est pas le cas d’autres collègues. « L’année prochaine, j’aurai 60 ans ».
Au lycée, il était l’enfant prodige qui aimait les mathématiques et la physique aussi bien que l’Histoire et la philosophie. « Dans ma famille, on pensait que j’allais faire médecine ou polytechnique. J’avais les notes qu’il fallait. Contre toute attente, j’ai rejoint la faculté des lettres, section documentation et bibliothéconomie ». Originaire du Fayoum, Guirguis voyait dans Le Caire un nouveau monde. « Mon père était mécanicien de moulin. Il réparait des moteurs de 4 mètres de diamètre dans les grands moulins. J’en suis fier. Mon grand frère travaillait au Caire et j’avais l’habitude de passer mes vacances d’été chez lui. Quand je me suis installé au Caire, la ville m’a accueilli à bras ouverts. J’ai été logé dans le quartier de Aïn-Chams, donc très loin de l’université située à Guiza. Je prenais le bus avec des amis de la même promotion. A l’université, j’étais épris de la bibliothèque centrale et je participais à beaucoup d’activités étudiantes. Tout se passait au Caire, le cinéma, la culture, etc. ».
Pourtant, il avoue ne pas pouvoir s’éloigner du Fayoum pendant longtemps. « Je ne peux pas m’absenter pendant un mois ou deux. Je tiens à visiter ma mère et retrouver la vie d’autrefois ». Une fois dans sa ville natale, il éteint son portable pour avoir la paix, se consacrer à sa famille et savourer ses souvenirs.
« A la faculté, ma professeure Salwa Ali Milad nous emmenait au registre des actes administratifs, pour permettre aux étudiants de relire et revoir les documents originaux des tribunaux légitimes, avant que ceux-ci ne soient déposés aux archives nationales. Consulter un ancien document, le tenir entre les mains, toucher le papier jaunâtre et poussiéreux … c’est comme résoudre une énigme. J’aime faire et refaire ceci. Je peux déchiffrer l’écriture du démon ! », ironise-t-il.
Son master était sur l’histoire du patriarcat en Egypte de l’ère mamelouke à celle ottomane. « A la Cathédrale, j’ai découvert des archives gigantesques et des milliers de documents. Les formules des textes de ces documents m’ont permis de relire et de réinterpréter les rapports entre les coptes différemment et de soulever tant de questions ».
Spécialiste des documents de l’Empire ottoman, il explique : « L’ère ottomane est pleine de mystères. Elle est toujours vue comme une période de décadence pour l’Egypte. Mais en fait, il y avait des personnes remarquables qui ont influencé l’histoire du pays et qui ont pavé le chemin pour la modernisation entreprise par Mohamad Ali, telles que Ibrahim Al-Gohari et son frère Guirguis, de qui je parle dans mon oeuvre primée. J’essaye de rédiger un livre sur ce dernier. Je débuterai en mars prochain ».
Après avoir effectué son service militaire, Magdi Guirguis avait hâte d’approfondir ses connaissances. « Durant le service militaire, j’ai eu la chance de rencontrer des jeunes venus de toute l’Egypte. L’histoire sociale d’un pays est aussi importante que son histoire politique. Celle-ci est souvent écrite et dictée par les hommes du pouvoir, alors que l’histoire sociale est celle du peuple et de son évolution ».
Ses responsabilités en tant que professeur-documentaliste ne lui laissent pas beaucoup de temps afin de mener à bien ses projets d’écriture. Et il n’aurait pu parvenir à publier sans obtenir des bourses d’études et de résidence à Berlin, qui lui ont permis de bénéficier d’une année sabbatique. « C’est le seul moyen de pouvoir travailler sur une recherche ou un livre », dit-il. Et d’ajouter : « Je ne suis pas quelqu’un de riche. J’ai voulu que mes enfants s’éloignent du travail académique. Mais ce n’est pas évident, mon fils est devenu professeur de littérature anglaise ! Et ma fille est en dernière année à la faculté de tourisme et d’hôtellerie ».
Embauché à l’IFAO comme collaborateur scientifique en 2016, Guirguis a initié un programme d’ateliers et de cours d’arabe, ouverts aux jeunes et aux spécialistes en documentation et en paléontologie. « Mon objectif était de lancer un programme qui soit utile pour les étudiants dans toute l’Egypte : des ateliers permettant de déchiffrer des documents, un cours sur les cadres théoriques et un séminaire de mise en pratique », indique Magdi Guirguis. Ajoutant : « Je travaille sur un projet concernant l’histoire des couvents en Egypte pendant l’ère ottomane et sur un livre autour des coptes non dhimmis de l’ère ottomane (ndlr : dhimmi est un terme historique du droit musulman qui désigne les sujets non musulmans d’un Etat sous gouvernance musulmane) ». Des milliers de projets fourmillent dans sa tête.
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