Au siège de l’AFCA (centre des arts pour enfants) à Maadi, on retrouve un bureau simple, une petite salle de séjour pleine de pancartes révélant le programme de l’année et une équipe de six personnes. Mohamed El- Ghawy est le fondateur du centre, mais aussi du festival international pour enfants Hakawy (contes). Ce dernier résume la politique de l’AFCA en trois points bien clairs, affichés sur les pancartes tout autour : l’apprentissage par l’art, la production d’oeuvres d’art, ainsi que leur diffusion. « Durant la 12e édition du festival Hakway, en octobre dernier, on a accroché aux murs des bouts de papier rappelant les objectifs du festival. On les a ramassés à la fin, après le succès de cette édition qui a accueilli une dizaine d’ateliers pour enfants, d’autres réservés aux artistes, et ce, outre les spectacles qui ont été présentés dans plusieurs villes égyptiennes. Dès maintenant, on prépare la 13e édition, prévue en 2023 », souligne Mohamed El-Ghawy, sur un ton enthousiaste. Et de poursuivre : « J’aime faire du théâtre pour enfants ; ils sont fascinants et sincères. Les petits ne comprennent pas un spectacle par l’esprit, mais plutôt par le coeur. Un enfant peut tout de suite aimer un spectacle ou le détester et pleurer pour sortir de la salle, tellement sa réaction est spontanée ».
Pourtant, cet homme de théâtre n’éprouvait aucune passion pour les arts pendant son jeune âge. En fait, il suivait plutôt les pas de son père, qui a fait des études de droit constitutionnel à la Sorbonne. Francophone, ce dernier tenait à ce que ses quatre enfants reçoivent une éducation française et fassent des études de lettres françaises à l’Université du Caire. « A la maison, mon père m’apprenait l’alphabet français en chantant et en jouant de petits sketchs. Il était prévoyant et disait : l’avenir est à la technologie et aux langues. Puis, il ajoutait qu’il ne connaissait rien en technologie, mais que les langues étaient son terrain de jeu favori ».
Contrairement à ses soeurs plus brillantes, Mohamed, élève de l’établissement des Frères de Bab Al-Louq, avait un niveau plutôt moyen. Il réussissait mais n’a jamais été le premier de sa promotion. « A cette époque, je n’avais pas encore trouvé ma vocation. J’étais cependant l’un des meilleurs à organiser des voyages, des activités, etc. ».
A la faculté des lettres, le monde des arts et des activités estudiantines s’est révélé au jeune Mohamed. « Le théâtre était ma grande découverte ». Les professeures Haydi Zaki et Gusine Gawdat ont créé la troupe Nota bene pour inciter les étudiants du département français à s’exprimer en faisant du théâtre. « Je ne jouais jamais dans les spectacles, mais je m’occupais de l’éclairage, du décor et de la mise en scène. Je devais trouver des salles de répétition, acheter les accessoires nécessaires, etc. ».
Les quatre années d’étude ont constitué pour le jeune homme une période de foisonnement et d’enrichissement. Avec ses amis et collègues, il suivait des ateliers de théâtre avec le metteur en scène Khaled Galal, en profitait pour faire des répétitions au centre Hanaguer, dirigé à l’époque par la professeure de littérature française Hoda Wasfi, et participait aux compétitions théâtrales organisées par le Centre culturel français. « A celui-ci, j’animais des séances de contes pour enfants. Chose que j’aimais beaucoup faire. Et un jour, on m’a demandé de présenter une cérémonie tenue en hommage à la francophonie ».
Vers la fin de la cérémonie, une amie m’a parlé d’un poste vacant d’animateur de théâtre dans une nouvelle école privée à Maadi. « Je ne savais pas à l’époque ce que cela voulait dire, mais ça m’a semblé intéressant, car il s’agissait de théâtre et d’enfants. C’était juste quatre mois après avoir obtenu mon diplôme ». Par curiosité, El-Ghawy a posé sa candidature. Il a beaucoup lu pour chercher à comprendre. Et pendant plusieurs années, il a été animateur de théâtre à cette école, mais aussi il a travaillé en tant qu’assistant du metteur en scène et chorégraphe libanais Walid Aouni, qui signait souvent les spectacles de fin d’année. « J’ai suivi Aouni de près, ses mises en scène, les jeux d’éclairage, etc. J’étais censé apprendre aux élèves leurs rôles et leurs dialogues ». Cette expérience a mis El-Ghawy sur le bon chemin. Ce qu’il voulait réellement c’était de travailler avec les enfants, de faire du théâtre un processus d’apprentissage en continu. « Au-delà de l’éducation académique, je suis soucieux de fournir aux enfants d’autres moyens d’apprentissage par le biais de l’art. Cela permet de mieux développer leurs capacités, de leur permettre d’acquérir de diverses compétences », estime El-Ghawy, qui rappelle un de ses rêves anciens : « Je voyageais avec des amis à Assouan. Nous étions dans une excursion en bateau la veille du Nouvel An. Un de nos amis belges nous a montré une carte des étoiles et des constellations. Après, il m’a dit : si vous faites un voeu ce soir, il sera exaucé. Mon souhait était alors d’avoir un endroit pour apprendre pleines de choses aux enfants par l’intermédiaire de l’art. Mes amis m’ont alors encouragé et m’ont proposé le nom d’AFCA : Académie Francophone Cairote des Arts ».
Mon travail à l’école n’était pas en contradiction avec mon activité de conteur à l’Institut français de Mounira, tous les vendredis. Mais la médiathèque a dû fermer ses portes pour des travaux de rénovation. « Un jour, la mère d’un habitué de l’Heure du conte m’a demandé : pouvez-vous venir chez moi à Doqqi pour faire la même chose avec mon fils et ses amis ? Les autres mères sont prêtes à en payer les frais. Pendant quelques mois, tout allait bien. Puis, la dame m’a prié de tenir des activités pour les enfants, en français, dans son rez-de-chaussée. Un espace composé de deux salles et d’un jardin ». Les enfants se sont multipliés autour de Ghawy, lequel a fini par afficher à la porte de ses nouveaux locaux « AFCA, inscrivez vos enfants aux activités francophones ».
Quelques mois plus tard, il a pu achever les démarches administratives lui permettant d’officialiser son initiative. « J’ai dû louer le siège de Doqqi et les activités artistiques que j’y tenais ont été bien accueillies par les enfants. Je n’ai jamais géré mon projet à la manière d’un businessman, mais j’ai tout appris sur le tas ». En 2008, Mohamed El- Ghawy a obtenu une bourse en matière de gestion culturelle accordée par la fondation Al-Mawred Al-Thaqafi (ressource culturelle). En 2011, il a pu fonder le festival Hakawy dont la première édition s’est tenue au collège du Sacré Coeur d’Héliopolis. « C’était quelques mois après la révolution. Tout ce que j’avais économisé pendant des années de travail, je l’ai perdu du jour au lendemain dans cette année. J’ai financé les vols des troupes étrangères invitées et les résidences des artistes, et l’événement n’a pas pu se tenir. En gros, j’ai perdu 50 000 L.E. ». Frustré, Mohamed El-Ghawy accumulait les reproches. Cependant, il n’a jamais été défaitiste. Bien au contraire, il était toujours confiant de pouvoir se rattraper. « Une gestionnaire du British Council m’a aidé. J’ai fait alors la connaissance de Hossam Nassar, directeur du pôle extérieur des affaires culturelles. Il m’a aidé afin de voyager et d’assister à un festival de théâtre pour enfants, tenu en Angleterre, et m’a donné l’occasion de présenter les spectacles de la deuxième édition de Hakawy sur les planches des théâtres de l’Etat ». Une édition qui a eu un véritable succès auprès du public. Mohamed El-Ghawy a accumulé les expériences au fil des ans, notamment en matière de gestion culturelle, en suivant des stages de formation de par le monde. A l’Institut Devos aux Etats-Unis, il avait bénéficié d’une bourse qui lui a permis de changer sa façon de travailler, en appliquant des stratégies de long terme.
De succès en succès, il a pu élargir le public d’AFCA, dont les activités ne se limitent pas désormais aux francophones, mais s’adressent aussi aux enfants anglophones et arabophones. Il est même devenu aujourd’hui directeur artistique du festival international Brabants Kinder aux Pays-Bas.
Ghawy ne cesse de produire des spectacles en tournée dans les écoles et de développer les volets de son festival. « Ma vraie réussite est le chemin que j’ai choisi. C’est tout le processus de travail en continu », conclut le Chevalier des Arts et des Lettres.
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