Son plus grand plaisir est de vivre, avec ses sculptures, dans son monde enfantin, en liberté totale, sans se soucier ni de la célébrité ni du gain. Isaac Danial est un bohème qui mène sa vie au jour le jour, loin de tout conformisme social. Installé en France depuis 1998, il y a tenu sa première exposition parisienne la même année, à la galerie Arbaca. Il continue d’ailleurs à y vivre jusqu’à présent, avec sa petite famille, à Ivry-sur-Seine, dans un vieux bâtiment construit au fer puddlé, à côté de l’école de la manufacture des oeillets. Mais en ce moment, il est en visite au Caire, où il expose à la nouvelle galerie Yassin, à Zamalek. Il en profite aussi pour préparer sa prochaine exposition de gravures et dessins inédits en noir et blanc, prévue du 11 au 25 octobre 2022, toujours à la même galerie.
Né en novembre 1952 à Béni-Soueif, au sud de l’Egypte, précisément dans le bourg de Béni-Hedeir, quatre mois à la suite de la révolution des Officiers libres, Isaac Danial est issu d’une modeste famille copte, les Inees. Les origines de celle-ci remontent d’ailleurs à Minya.
D’où la touche pharaonique caractérisant ses oeuvres, marquées aussi par plein d’histoires nostalgiques. Ses sculptures sont parfois inspirées des sites de Béni-Hassan, Antinoupolis, Tel Al-Amarna, etc.
Le père d’Isaac travaillait au temps du colonialisme anglais dans le secteur des chemins de fer, alors que sa mère a toujours été une femme au foyer, occupée par l’éducation de ses huit enfants. « La maternité prend souvent le dessus dans mon travail. Ma mère adorait me voir aller à la pêche, sur le lac d’Al-Ibrahimiya, juste en face de notre maison. Au bord du lac, j’aimais jouer avec de l’argile pour former des pâtes, modeler des figures et des animaux campagnards. Chez nous autres chrétiens, le poisson est un signe d’abondance, de vie et de bénédiction », explique Isaac Danial, fier d’être né dans une maison à proximité de la ville de l’intellectuel musulman Sayed Al-Qimni. « Dans le temps, les villages en Egypte avaient un charme complètement différent. J’ai connu le bon vieux temps, les liens familiaux, la camaraderie, le bon voisinage… Aujourd’hui, ces valeurs risquent de disparaître », estime Isaac.
Il aime lire Al-Qimni, Naguib Mahfouz, Alaa Al-Aswani… « Les écrits de Sayed Al-Qimni, ce fervent défenseur de la séparation entre l’Etat et la religion, sont assez intéressants », dit-il.
Sa vie en Egypte, notamment dans son village, l’a marqué au fer rouge. Certaines de ses oeuvres ne sont pas sans rappeler les ornements des portes antiques, les amulettes, les motifs du folklore, issus de traditions pharaoniques ou coptes. Et pour leur attribuer un air d’ancienneté, il a recours à des oxydes vert et marron. Voici un poisson, un cheval, un chat, une poule, un corbeau, une mariée, un enfant, une mère, des musiciens, des joueurs de cirque …
« Je me souviendrai tout le temps de nos rassemblements familiaux autour d’un même grand plat aménagé par terre. A présent, ma grande famille reste intimement liée. C’est sa manière de préserver ses habitudes, contre l’oubli et le trop de modernisme qui est venu ébranler la vie ». Et d’ajouter : « En 2017, quand j’ai exposé au Caire, à la galerie Al-Assema, sous le titre de Hikayat Masriya (contes égyptiens), je me sentais comme un grand enfant. Aujourd’hui, je me sens plutôt vieil enfant. Pendant mes études préparatoires à Béni-Soueif, j’ai vécu la défaite de 1967. A cette époque, la peine ravageait mon coeur. J’ai connu la même tristesse à nouveau en 2012, lorsque les Frères musulmans sont arrivés au pouvoir. En 1967, les fenêtres de notre maison étaient couvertes de collures bleues pour nous protéger contre les explosions. Je n’ai jamais été préoccupé par la politique. La vie sociale et les besoins de tous les jours prenaient toujours le dessus, mais aujourd’hui, tout le monde parle politique ».
Lui, il préfère vivre dans sa tour d’ivoire, dans le monde qu’il s’est inventé depuis qu’est née sa passion pour les arts plastiques.
Durant les cours de dessin, dans son école primaire Al-Dawawin, à Béni-Hedeir, il était gâté par ses professeurs. « Un joli petit garçon aux yeux bleus et aux joues roses. J’aimais griffonner des dessins sur les pages de mes livres scolaires », se rappelle-t-il.
Disciple du grand plasticien Salah Abdel-Kérim, le jeune étudiant a obtenu en 1976 un diplôme de la faculté des beaux-arts de Hélouan. « Salah Abdel-Kérim m’a poussé à sculpter sur le bois. Au début, c’était un peu difficile, surtout que je ne travaillais qu’avec de l’argile ou une toute petite pierre en calcaire blanc. Vient après ma passion pour la gravure que j’ai étudiée plus tard aux beaux-arts d’Alexandrie. La magie du noir et blanc, de l’ombre et de la lumière m’enchante. C’est la vie telle que je la conçois, une vie qui favorise le côté clair, franc et direct », affirme Isaac Danial, qui a obtenu en 1988 un master sur l’art sculptural copte, suivi d’un doctorat en 1996 sur l’influence de l’art mondial sur les artistes plasticiens arabes. Car lui-même admire particulièrement les oeuvres de Henry Moore, Giacometti et Brancusi.
« J’aime voyager de par le monde, ceci me permet de retrouver ma liberté, de partir à la découverte de nouveaux paysages, d’autres cultures, de rencontrer d’autres gens. J’ai visité par exemple l’atelier de Brancusi sur la piazza du centre Pompidou. Brancusi a poussé l’abstraction sculpturale jusqu’à un stade jamais atteint dans la tradition moderniste. A Amsterdam, j’ai découvert la maison de Rembrandt, la collection de toutes ses estampes et ses techniques graphiques m’ont ébloui ».
Les premiers pas d’Isaac Danial en Europe furent en 1991. Il a séjourné en Allemagne, pour une résidence artistique de trois mois, et a exposé des oeuvres de bronze et de résine à la galerie Rathaus.
Vers la fin de l’année 1998, il a voyagé pour Paris, grâce à sa participation à la 3e édition du Symposium international de sculpture d’Assouan. Celui-ci lui a ouvert la voie afin de rencontrer pas mal d’artistes étrangers lesquels lui ont éprouvé une grande sympathie. Au symposium, il avait montré 12 statuettes pharaoniques de gypse. « La sculpture représentant Horus a eu beaucoup de succès. Elle se dresse majestueusement, à présent, au nord de la sortie de l’aéroport d’Assouan », précise Isaac Danial.
Durant le symposium, il fut invité par des Françaises afin d’exposer à Paris, notamment à la galerie Arbaca, puis il a fini par s’y installer. Entre 2000 et 2019, ses sculptures sur bois étaient souvent montrées dans de différentes salles d’exposition à Paris et en particulier à Ivry-sur-Seine, en Ile de France.
« Mes sculptures en bronze, je préfère les créer en Egypte, sinon elles n’auraient jamais le même éclat. Je ne parle pas ici de technique, mais de sujet, voire de sensibilité, de cette émotion née du chaos cairote, de la nostalgie d’enfance … Ce n’est pas la même chose en France ».
Pourtant, il y est complètement intégré, marié à une Française d’une grande culture, avec qui il a eu son fils Adam. « J’aime vivre dans la campagne française, dans un écrin de verdure, que de vivre dans un luxe parisien». Et de conclure: « C’est ma petite famille qui me rend si attaché à la vie à l’étranger. Je rêve de fonder une petite maison avec un large jardin, de quoi me permettre d’installer toutes mes sculptures là dedans. Je souhaite que ma famille puisse garder mes oeuvres, ce sont mes héritiers ».
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