Le terrain est son lieu de jeu favori. De ce dernier émanent les lignes, les perspectives, les volumes et la lumière. Tout un ensemble qui fascine l’architecte passionné. « Elève, j’aimais beaucoup dessiner et faire de la calligraphie. Un jour, j’ai vu mon collègue de classe en train de dessiner des lignes et faire des angles : il m’a expliqué qu’il faisait un exercice de perspective, car il comptait s’inscrire en architecture à la faculté des beaux-arts, à l’instar de sa soeur aînée. C’était une vraie découverte ! », dit-il avec un grand sourire. « J’ai été ravi de découvrir le département d’architecture aux beaux-arts, car on y faisait l’architecture tout au long de cinq années et non pas quatre années seulement comme c’est le cas en polytechnique. Et on se trouvait entouré par une vraie ambiance artistique, puisqu’on côtoyait ceux qui font de la peinture, de la sculpture, etc. », raconte Wessam comme si c’était hier.
Ebloui, le jeune qu’il était décide d’en faire carrière. C’était en 1974. L’Egypte de l’après-guerre devait reconstruire les villes sinistrées dans l’urgence, résoudre la crise du logement et relancer l’économie. Durant ces années de fac, se rendre sur le terrain n’était pas une chose facultative. Et, pour ne pas oublier certains détails, la photographie s’imposait pour défier la mémoire. A force de prendre des photos, réussir et échouer dans la prise des vues, l’architecte devient photographe. « Je me souviens du jour où j’ai pris en photo la célébration du Mouled Al-Nabi (l’anniversaire du prophète Mohamad), des milliers de personnes inondaient les rues de la mosquée Al-Hussein jusqu’à celle d’Al-Réfaï. J’ai été ravi de cette photo que j’ai montrée à mon cousin, photographe professionnel. Il m’a dit qu’elle était bonne, mais m’avait demandé par la suite où j’en étais de cette photo? Et comme je n’avais pas compris sa question, il m’a expliqué que photographier n’est pas uniquement presser sur un bouton. La personnalité du photographe et sa manière de voir doivent se présenter derrière ». Une leçon en photographie qui l’a bouleversé. « Il faut un oeil avisé pour voir les relations spatiales dans un bâtiment. L’histoire que racontent les photographes d’architecture est double. L’une est la vision de l’architecte et l’autre est ce que l’on ressent lorsque vous vous tenez dans cet espace ».
Ainsi, les cadrages, les compositions ou encore les différentes lumières traduisent ce qui est ressenti par le photographe-architecte. Une véritable passion qui a conduit Wessam à décrocher plusieurs prix. En outre, avec des amis égyptiens et étrangers, il a fondé le Cairo Camera Club. Un club à but lucratif favorisant des ateliers, des séminaires, des concours et un voyage mensuel pour les photographes novices.
La photographie était toujours présente côte à côte avec l’architecture. Diplôme en poche, le jeune architecte se lance dans un projet avec un ami : Cairo from A to Z. « Il s’agissait de dresser les plans des quartiers cairotes avec tous les sites patrimoniaux, et les endroits à ne pas manquer. Nous avons commencé par le quartier de Zamalek. C’était au début des années 1980, avoir accès à un plan de poche n’était pas évident ».
Or, le projet s’est arrêté avec l’émigration de son ami pour qu’une nouvelle aventure s’annonce et dure à jamais: un travail acharné pour les bâtiments de l’Eglise copte catholique, qui a duré plusieurs années, de quoi lui avoir mérité trois certificats d’appréciation de la part de différents papes du Vatican, en reconnaissance de son travail assidu.
« Je suis l’oeil de l’église copte catholique lors de la réalisation des projets: je la représente dans les contrats architecturaux. On fait exprès de mentionner mon nom complet qui montre que je suis musulman », indique-t-il. Faire de l’architecture catholique, tout en étant musulman, pourrait-il avoir des répercussions sur son activité professionnelle ? « L’architecture est un langage universel. Et puis, si vous mettez de côté les cultes, vous découvrirez qu’il existe beaucoup de ressemblances. Les lieux de culte sont des bâtiments orientés. Une mosquée est en revanche très strictement orientée en direction de La Mecque ou la qibla. La niche du mihrab indique aux fidèles comment se placer pour faire la prière. C’est l’élément le plus important du bâtiment. L’appel à la prière est un point sur lequel les deux religions se confrontent. Les églises, qu’elles soient orthodoxes ou catholiques, sont pourvues de cloches. Les mosquées sont, sans exception, pourvues d’un minaret, du haut duquel le muezzin (de nos jours remplacé par des haut-parleurs) lance l’appel à la prière cinq fois par jour. La voûte avec ses différentes formes représente le ciel », explique Wessam El-Sharkawy dont la génération n’a pas vraiment connu de distinction entre musulmans et chrétiens.
D’ailleurs, son histoire avec l’Eglise copte catholique a débuté, il y a des années, grâce à un ami catholique. « Il y a quarante ans, Magdi et moi étions partenaires. Ensemble, nous avions fondé notre bureau d’architecture. En 1991, il a décidé de quitter le domaine pour rejoindre son frère chimiste, en train d’établir une boîte pour importer des substances aromatiques ».
Magdi étant lui-même catholique, l’Eglise lui demandait de fournir des services d’ingénieurs-conseils. Alors, il n’a pas hésité à solliciter l’aide de son ami Wessam, en soulignant aux responsables religieux : « Wessam et moi, nous sommes frères, on ne fait qu’un ! ». Et c’est vrai, jamais il n’était question de discrimination. « Je n’y ai connu que toute amabilité et tout respect », confie l’architecte.
Le premier projet dont il s’est chargé était celui d’un dispensaire et d’un couvent à Guiza. Puis, on lui a demandé de réaliser le projet de l’archidiocèse du Guiza, dans la cité du 6 Octobre. « Je me suis mis à étudier de manière plus approfondie l’architecture catholique. Et évidemment, grâce à l’aide de mon ami Magdi, et les demandes de l’archevêque, on a réussi à mettre en place un bon bâtiment », affirme-t-il, tout fier de son achèvement.
Qu’est-ce qui distingue l’architecture copte catholique de l’architecture catholique en général? « L’identité égyptienne avait toujours un grand impact sur la religion. Certes, il y a toujours des éléments de base en lien avec le sacerdoce, mais le style est muni des retouches égyptiennes telles les icônes par exemple. La cathédrale de Louqsor en est un bon exemple ».
A l’aube du 21 avril 2016, un incendie, dont l’origine n’est toujours pas élucidée, dévora par ses flammes l’ensemble de l’édifice religieux, causant des dommages matériels considérables et irréparables. La reconstruction a permis alors aux coptes catholiques de se rassembler à nouveau dans un lieu digne: des rencontres avec les familles, rencontres avec les jeunes, formation de catéchistes, grandes messes solennelles … « L’architecture des lieux sacrés est pensée de manière à faire plonger les fidèles dans une atmosphère de sérénité, où toute l’attention spirituelle converge vers un centre, soit l’espace de la célébration ou des rites ».
Chaque architecture résulte d’un mélange entre la norme de l’époque et les aléas spécifiques au projet. Ainsi, même si le design de la cathédrale de Louqsor a été conçu en Italie, des retouches locales ont été ajoutées, afin de confirmer l’identité copte de l’espace. C’est la compréhension de cette architecture qui permet, en effet, d’identifier les différents éléments qui la composent, de restituer leur destination et leur articulation, mais aussi de reconnaître le style architectural et l’histoire des lieux de culte chrétiens.
Un rapport intime se tisse alors entre le paysage et l’architecture. Il en est de même pour la démarche photographique, où l’observation et la patience sont de rigueur. Viennent ensuite le choix du sujet et de son contenu informatif.
C’est dans une optique de découverte permanente qu’il n’hésite pas à faire une communication harmonieuse avec le paysage. Ainsi, Wessam a décidé un jour de parcourir la distance entre Louqsor et Assouan à vélo. « C’était aussi un moyen de redécouvrir les temples d’Esna et d’Edfou, d’être plus en contact avec les gens ».
Grâce à l’empathie, à une compréhension précieuse et à une pensée critique, l’architecte réussit à entretenir des liens avec son environnement. Si la photo agit en qualité de sauvegarde de la réalité, l’architecture l’est aussi. Ainsi a-t-il mis en place volontairement un programme bien établi de soutien pour sauver l’île Heissa. « Située à l’est d’Assouan, l’île baignait dans la misère. Un taux élevé de chômage, à cause du recul du tourisme, une détérioration du niveau de vie, etc. Au début, avec ma famille et des amis, nous nous sommes attelés à leur apporter une aide financière. Or, nous avons découvert que ce n’est pas la bonne solution et qu’il fallait absolument avoir des perspectives de viabilité à long terme ».
Cela étant, il fait un plan-guide détaillé de l’île avec ses hameaux et ses allées. Le revenu de la vente de ce plan est versé pour le développement de l’île. En outre, sa fille Nelly et ses amis, jeunes architectes, se sont mis à repeindre les maisons… l’île est devenue aujourd’hui un must pour les touristes.
Wessam El-Sharkawy sait sans doute laisser son empreinte là où il est de passage.
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