Plasticienne et critique d’art, Magda Saadeldin est férue de culture et de tout ce qui s’y rapporte. Professeure émérite à l’Académie des arts, précisément à l’Institut de critique artistique, elle est aussi une voyageuse itinérante, qui cherche constamment à enrichir ses connaissances. Ceci se reflète clairement sur la qualité de ses analyses, s’étendant à des champs divers. Celles-ci font le lien entre peinture et littérature, à titre d’exemple, dans la plus grande sensibilité.
Saadeldin vient de sortir un nouvel ouvrage, Safar Al-Wogoud (le voyage d’être, édition AR Group, 2022), et de parachever le travail de documentation et le texte explicatif du livre Mémorabilia (édition El-Karma, 2022), sur la collection privée d’art de l’écrivain Mohamed Salmawy et son épouse, l’artiste-peintre Nazli Madkour.
« Safar Al-Wogoud est un carnet de voyage, où je parcours le monde, écrit dans un style littéraire et évoquant de grandes questions existentialistes et philosophiques, sur la vie, la mort, le chagrin, l’attente… Quant à Mémorabilia, réparti en 9 chapitres, mes textes tant artistiques que littéraires révèlent les secrets de cette collection d’art, nous trouvons des peintures et des sculptures mondiales du XIXe siècle, de grandes figures de la peinture égyptienne, des lithographies, des poteries, des photographies, des tapisseries historiques, des portraits, des cannes sculptées… De quoi dresser un panorama du mouvement artistique égyptien. C’est un livre-musée servant à conserver la mémoire », souligne Magda Saadeldin.
Sa peinture que l’on retrouve dans Mémorabilia montre un bateau à voile, sous le jeu d’ombre et lumière. Un style cher à Saadeldin, qui se distingue par l’austérité des couleurs et la force des lignes, inspirées de l’art de l’Egypte Ancienne, mais aussi des paysages locaux: le Nil, les palmiers, les pyramides, la mer. D’ailleurs, elle a consacré toute une oeuvre à celle-ci, laquelle a été traduite en français, Le Splendide et le beau émergeant de la mer et du Nil (édition Al-Nahda Al-Arabiya, 2004).
Dans ce recueil de poèmes en prose, Magda Saadeldin décrit sa ville natale, Chébine Al-Kom (dans le Delta), évoquant ses voiliers et ses beaux paysages. Née le 26 juillet 1952 dans une grande maison surplombant le fleuve, appelé la mer de Chébine, le Nil est toujours présent dans ses travaux. Le roi Farouq a quitté l’Egypte le jour de sa naissance, au lendemain de la Révolution des Officiers libres. « Je n’aime pas parler politique, cependant, je dois avouer que j’aime l’époque monarchique. Je suis une passionnée de l’histoire de la famille de Mohamad Ali, le fondateur de l’Egypte moderne ».
Saadeldin apprécie l’élégance naturelle, le calme, la discipline, le raffinement, la courtoisie. Bref, elle aime vivre en paix. « Le gazouillement des oiseaux, l’air frais du bon matin, l’odeur du gazon, les chants des pêcheurs, les campagnardes portant leurs jars, tout ceci me rend nostalgique du bon vieux temps, chez moi. Enfant, je me promenais à vélo, pratiquais du sport, jouais au piano et suivais à la radio l’émission présentée par Hussein Fawzi sur la musique classique. Puis, ultérieurement, j’ai pris plaisir à visiter les galeries d’art et les musées. Mais au lendemain de la Révolution de Janvier 2011, j’avais peur d’assister à des spectacles à l’Opéra du Caire et rentrer seule la nuit », raconte Saadeldin, qui aime lire Taha Hussein, Abbas Mahmoud Al-Aqqad, Zaki Naguib Mahmoud, Abdel-Rahman Badawi et autres.
Elle se souvient toujours du premier livre qu’elle a lu, encore enfant, et qu’elle a emprunté à l’immense bibliothèque de son papa, propriétaire d’une usine de textile. « C’était Ehyä Oloum Al-Dine (le renouveau des sciences religieuses) de l’imam Al-Ghazali », précise-t-elle. Aujourd’hui, elle habite dans l’un des complexes immobiliers de luxe, sur la route désertique Le Caire-Alexandrie, et assume tranquillement son célibat, accueillant ses hôtes sur rendez-vous. Son atelier est annexé à la maison, abritant sa collection privée qui regroupe des oeuvres d’art de Salah Taher, de Nazek Hamdi et d’Adham Wanli, entre autres. « Vivre seule ne signifie pas être solitaire. Discrète, je n’aime ni m’imposer, ni demander à un galeriste d’exposer chez lui en solo. Tout au long de ma carrière, je n’ai jamais couru derrière les hommages ». Sa dignité l’empêche de le faire. Malgré ceci, elle a été nommée à plusieurs prix, dont celui de la Pensée arabe en 2007, le prix du roi Fayçal en 2015 et celui de l’Encouragement de l’Etat égyptien en 2013.
Car l’universitaire n’a de cesse enrichi son parcours, depuis ses études aux beaux-arts d’Alexandrie entre 1970 et 1975. Elle a effectué une étude comparative entre les arts classiques gréco-romains et ceux des temps modernes, qui lui a valu un master en 1985, puis elle a obtenu son doctorat en 1990 sur La Créativité artistique contemporaine. En Egypte, elle s’est toujours contentée de tenir des expositions collectives, alors qu’à l’étranger, elle a tenu des expositions solos, à Rome, à Florence, et surtout à Paris.
Magda Saadeldin s’est rendue à la capitale française dans les années 1990, à l’instar de ses idoles Taha Hussein, Mohamad Abdou et Tewfiq Al-Hakim. Là-bas, elle a habité à Créteil, a exposé en solo, à la galerie Etienne de Causans, au siège de la Mission de la Ligue arabe, au centre d’accueil des étudiants du Moyen-Orient et au Centre culturel égyptien. Elle en a profité pour faire des études à l’Ecole du Louvre, portant sur l’art du portrait au XXe siècle, mais aussi pour suivre des cours sur l’arrangement floral japonais et la création de bijoux. « Avec le nombre impressionnant d’événements culturels, la France était en mesure de combler les besoins d’une personne avide de culture comme moi. L’opéra Garnier, à titre d’exemple, fut un joyau architectural qui me transportait dans le Paris fastueux de la Belle Epoque ».
Très ouverte d’esprit, Magda Saadeldin s’est prêtée ensuite à une nouvelle aventure. En 1992, elle a fait un tour en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique, au Portugal et en Espagne, notamment en Andalousie. Elle voulait absolument découvrir d’autres cultures, d’autres horizons. Puis en 1999, elle a été nommée professeure assistant de critique, à l’Académie égyptienne des arts, mais quand même elle a réussi à séjourner à Paris pendant six mois.
Son passage par l’école des Arts de la Sorbonne, Paris IV, lui a inspiré deux bels ouvrages : Madaën Al-Tawhid (les villes du monothéisme) et Al-Emara Al-Diniya Fi Europa (l’architecture religieuse en Europe aux XVIe et XVIIe siècles). « J’étais très nostalgique. En France, j’ai touché à la grandeur de la civilisation égyptienne grâce aux musées », admet Saadeldin, qui a approfondi ses connaissances sur la civilisation égyptienne à travers quatre mois d’études, passés à la faculté d’archéologie à l’Université du Caire, en 1991.
« J’ai pris le train, avec mes professeurs à la faculté d’archéologie, à destination de la Haute-Egypte, et ce voyage a eu un grand impact sur moi. J’étais très marquée par le jeu de lumière, du clair-obscur, tout au long du trajet. C’est un peu à l’image de la dualité de la vie: la vie et la mort, le beau et le laid, le noir et le blanc, l’été et l’hiver, le jour et la nuit. J’aime la vie étant animée toujours par l’espoir d’un avenir meilleur, mais en même temps, j’ai très peur des fins », confie Saadeldin, qui a signé une liste d’ouvrages, écrits d’une plume poétique et sensible. Citons-en Nihad Bahgat We Hams Al-Gamad (Nihad Bahgat, les murmures des objets, 1997), Al-Galal Wal Gamal Fi Madaën Al-Sahara (splendeur et esthétisme des villes du désert, 1999), Mahmoud Mokhtar Wa Hassiss Al-Ahgar (Mahmoud Mokhtar et le sifflement des pierres, 2000), Al-Galil Wal Gamil Fi Al-Bahr Wal Nil (le splendide et le beau émergeant de la mer et du Nil, 2001), Mahmoud Saïd Bayn Al-Maddiya Wal Rohaniya (Mahmoud Saïd entre matérialisme et spiritualité, 2002), Zakariya Al-Khonani Zogag Wa Diaä (Zakaria Al-Khonani: verres et lumières, 2004).
« Les arts plastiques égyptiens sont peu connus à l’étranger. C’est à nous de les mettre en valeur. J’admire l’initiative prise par Christie’s Dubaï afin de traduire vers l’anglais Le Livre résonné de Mahmoud Saïd. Je suis fière d’avoir contribué au travail éditorial de ce livre. L’idée de créer une école spécialisée dans la formation d’une nouvelle génération de critiques d’art en Egypte me préoccupe vraiment ces jours-ci », conclut-elle.
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