Elle habite au centre-ville cairote depuis une dizaine d’années. Dans un ancien immeuble de la rue Al-Chérifein, elle se contente de loger dans un vaste appartement, avec les décorations d’antan: un parquet ancien, des carrelages antiques et un goût nostalgique et agréable. La salle de séjour constitue son propre studio. Sur un grand bureau, un ordinateur et un clavier. Une guitare se repose sur un canapé. Et sur un tableau blanc, des notes en feutre résument ses recherches et son travail. Tam Tam, sa chatte, est aussi là et l’accompagne comme une proche et fidèle amie… la multi-instrumentiste, compositrice et arrangeuse alexandrine Nancy Mounir est fière de son monde. Derrière cette ambiance contradictoire et chaotique, un travail acharné et une étude détaillée de la musique d’antan et d’aujourd’hui s’effectuent. « En travaillant, je n’aime pas être classée dans un genre particulier. Je ne travaille pas selon les genres. En arrangeant une chanson ou un morceau, je réfléchis simplement à ce dont cette pièce a besoin pour être bien écoutée », explique Nancy Mounir. Mignonne, avec un teint brun et des traits égyptiens, cette jeune femme nous surprend par ses approches mélodieuses et son talent versatile bien qu’elle n’ait pas fait d’études académiques en musique.
Dès son tendre âge, elle éprouvait une passion pour la musique. A l’école, en troisième primaire, Nancy jouait de la flûte et participait au salut du drapeau tous les matins avant le début des cours. Elle était aussi membre de la chorale de l’église et se contentait de temps à autre de jouer sur le grand piano présent dans cet espace saint. « Toutes mes contributions musicales à cette époque étaient par l’écoute. Nous avions aussi à la maison un piano ». La musique était-elle une passion innée? Oui, mais Nancy ne pouvait pas étudier la musique du point de vue académique. Son père ne l’encourageait pas à le faire et préférait que sa fille obtienne un diplôme universitaire « classique ». « J’ai opté pour le tourisme et l’hôtellerie. Mais un an après, j’ai tout abandonné pour la musique ». Elle choisit alors de faire des études alternatives en musique: suivre des ateliers de formation ici et là, pratiquer la musique avec différents musiciens, écouter des morceaux et les jouer par coeur, apprendre à travailler avec des logiciels musicaux, etc. A Alexandrie, elle a débuté par différents ateliers avec Fathi Salama. Sa première rencontre avec le public était en jouant à côté de la pianiste alexandrine Héba Soliman à la Bibliothèque d’Alexandrie.
Parallèlement à ces ateliers, Nancy était membre de la troupe féminine de Metal Mascara (Massive Scare Era). Une troupe alexandrine de musique underground. Trois jeunes filles jouaient de la musique en portant des masques et avec un maquillage outré et sombre qui cache leur identité. « Dans Mascara, nous ne cherchons ni à prouver quelque chose, ni à défier la société. Nous étions simplement de jeunes filles voulant nous exprimer et jouer notre musique. En arrangeant les chansons de Metal en anglais ou en arabe, j’introduisais le violon avec un air oriental et arabe. Les activités de la troupe s’arrêtent de temps en temps à cause de l’installation de la fondatrice Chérine Amr au Canada. Mais jusqu’à décembre dernier, Mascara a donné plusieurs concerts. Ma rencontre avec Chérine a eu lieu après mon concert avec Héba Soliman ».
A Alexandrie, l’ambiance des musiciens est bien accueillante, voire encourageante. « La scène musicale alexandrine est petite. Tout le monde se connaît. La troupe Massar Egbari a donné un coup de main à notre troupe. En plus, le claviériste de la troupe Ayman Massoud est mon voisin et agit souvent comme mon grand frère », explique-t-elle. « Au Caire, la situation est différente. La scène musicale est beaucoup plus large et plus versatile. Il y a beaucoup d’espaces pour jouer, des occasions pour mieux expérimenter, etc. ». A un certain moment, le déplacement pour Le Caire était donc nécessaire pour cette jeune musicienne. Elle a profité d’une opportunité de stage de travail en business pour séjourner au Caire pendant 3 mois. « Je suis partie pour l’entraînement. Mais dès lors, je ne suis pas revenue ». Sa mère, connaissant l’esprit de sa fille, l’a complètement soutenue. « Avant mon départ, ma mère m’a dit: si tu as besoin d’avoir ton propre espace pour écouter et étudier la musique, je t’encourage jusqu’au bout ».
Nancy affirme avoir joué avec presque tous les musiciens et les stars d’aujourd’hui: Massar Egbari, Dina Al-Wadidi, Fathi Salama, Karima Nayet, Tania Saleh et autres. « Fathi Salama est un musicien qui continue toujours à étudier, à faire des recherches et à travailler avec différents musiciens de par le monde. Il continue à fouiller le monde de la musique, à découvrir les nouveautés et à animer des ateliers pour tout le monde. Il est un vrai mentor. J’ai participé à différents ateliers animés par lui à Alexandrie et au Caire. J’apprends toujours de lui quelque chose de nouveau », souligne-t-elle avec une grande gratitude. « Je viens juste de le rencontrer il y a quelques jours. Et il parlait de ses nouvelles recherches dans la musique. Imaginez-vous c’est un homme qui est apte à toujours apprendre ».
Au Caire, Nancy Mounir multiplie les expériences et les rencontres musicales. Elle accompagnait Dina Al-Wadidi comme violoniste dans ses concerts et arrangeait ses albums. « Al-Wadidi est une compositrice talentueuse. Avec elle, j’ai eu l’occasion de rencontrer différents musiciens et comprendre un peu l’industrie de la musique. Tania Saleh m’éblouit par son parcours et ses différents styles, etc. ».
Grâce à Dina Al-Wadidi, Nancy Mounir a fait la connaissance de Hassan Al-Gretly et a participé par son jeu musical avec sa troupe Al-Warsha dans les spectacles de narration. « Encore petite, je suivais dans la radio le Programme européen. Après, je changeais d’ondes pour suivre les pièces de théâtre de la radio. Parfois, ces émissions diffusaient des spectacles théâtraux et résumaient les scènes par des séquences de narration faites par les speakerines. L’art de narration me fascinait toujours ».
Mounir a mis la musique de la pièce de théâtre Zig Zig de Laila Soliman. Elle avoue qu’avec cette metteuse en scène assez talentueuse et amie de longue date, elle a découvert l’importance accordée aux détails et à la structure de dramatisation. Pour Mounir, la musique aussi a sa ligne dramatique. « Je pense que le public du théâtre diffère de celui des concerts. D’habitude, les gens assistent aux concerts et aux soirées de chant dans le but de se distraire et trouver le plaisir. Quant au théâtre, le public y assiste avec beaucoup plus de respect et beaucoup plus d’interaction ».
Avec Laila Soliman, elle a aussi composé la musique de la pièce de théâtre Museum of Lungs donnée en Afrique du Sud. « Pour ce faire, Laila et moi, avec deux autres personnes de l’équipe de travail, nous avons passé quatre mois de recherche en Afrique du Sud ». Un travail passionné et détaillé que Nancy n’oublie jamais, et elle affirme que ce procédé de travail a aussi influencé son approche musicale. Surtout dans son projet Nozhet Al-Nofous, sur lequel elle a travaillé pour six ans. Suite à un atelier avec la Palestinienne Kamliya Jubran, une séance d’écoute pour d’anciens enregistrements était organisée. En écoutant les voix et les chansons de Mounira Al-Mahdiya et d’autres des années 1920, Nancy a été complètement ensorcelée. « Pour mon propre plaisir, j’ai voulu simplement joué avec eux. C’est ce que j’ai fait chez moi tranquillement. Les mélodies d’antan témoignent de la spécificité de notre musique, à quel point la musique égyptienne est versatile. Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, où beaucoup d’artistes suivent la mode et présentent des oeuvres qui se ressemblent. Par ailleurs, ce patrimoine assez authentique est même avant Om Kalsoum et Mohamad Abdel-Wahab. L’idée est que ces artistes des années 1920 sont des ancêtres. La relation avec eux est plutôt mentale, spirituelle, musicale et nécessaire », lance Nancy. Après avoir fait une longue recherche d’archives et d’anciens enregistrements, et après le plaisir de jouer chez elle avec ces compilations d’antan pour deux ans, elle s’est dit : « J’ai un projet à réaliser: Nozhet Al-Nofous », une performance audio et visuelle dans laquelle Nancy comble le vide entre les temps silencieux dans les mélodies des anciennes chansons par un arrangement qui va de pair avec les voix d’antan. Sur scène, elle plonge son public dans la vie de ces artistes à travers l’art de la narration et la musique en direct. S’ajoute à cela un travail de séquences de vidéos et d’enregistrements pour ces artistes. Nancy a réussi à faire vivre son public dans un siècle passé, mais en gardant les instruments et les techniques d’arrangement d’aujourd’hui. « Dans ce projet, j’ai eu recours à des amis et à des personnes dont la présence était indispensable: Laila Soliman pour l’entraînement des comédiens au jeu et à la narration, Adham Zidan pour le mixage, mon frère sur le piano. Et grâce à Maurice Louca, j’ai fait la connaissance de Sarah El-Miniawy, qui m’a beaucoup soutenue avec sa compagnie Simsara. L’album Nozhet Al-Nofous sortira le 3 juin sous l’étiquette Simsara Records ».
Pour le moment, Nancy Mounir compte se reposer un peu, mais en réfléchissant, elle affirme: « Non, c’est le temps d’étudier de nouveaux logiciels d’arrangements et de compositions pour pouvoir écrire des notes musicales pour de grandes troupes et des orchestres ». Pour elle, la musique exige encore plus d’études, de recherches et d’expériences.
Lien court: