Porter l’étiquette de féministe ou pas. Est-ce vraiment la question ? Un débat peu important. Il suffit de faire la connaissance de Kawthar Zaki pour aboutir à une réponse raisonnable. Austère mais tout en étant femme affectueuse, mère aimante et chercheuse passionnée, elle est engagée, sans être enragée.
Née dans une famille nombreuse composée de 7 enfants (5 filles et 2 garçons), elle a mené une vie modeste. Son père, Abdel-Hamid Zaki, travaillait le jour comme fonctionnaire et la nuit comme comédien sur les planches du théâtre Al-Rihani. « Il a dû travailler pour répondre à nos besoins. En été, on allait au cinéma pour voir notamment les films de la diva Leïla Mourad, dans lesquels il avait tenu de petits rôles : un vendeur de fruits ou membre d’un gang », raconte-telle, se souvenant d’un passé lointain qui remonte aux années 1950.
« Mon père nous décourageait, mes soeurs et moi, quant à poursuivre nos études, sous prétexte que toutes les filles vont devenir femmes au foyer, prenant soin de leurs bébés. En revanche, ma mère, qui était ellemême femme au foyer mariée à l’âge de 14 ans, nous incitait à poursuivre nos études, mais aussi à être parmi les plus distinguées », raconte professeure Kawthar Zaki, sur un ton de reconnaissance.
Paradoxalement aux attentes du père, ce sont les filles qui portaient plus d’intérêt aux études que les garçons. « On a toutes réussi à poursuivre nos études universitaires, une de mes soeurs et moi avons décroché un doctorat, tandis que les garçons étaient plus qu’une gêne pour nos parents : l’un s’était inscrit à la faculté d’agronomie, mais sans y éprouver intérêt. Il était plutôt épris par le monde des comédiens. Lotfi, surnommé Fatlah (ficelle), par opposition à sa corpulence et ses formes généreuses, était membre du groupe comique hyperconnu à l’époque Saa li Qalbak. L’autre a pu à peine s’inscrire à la faculté de police et a réussi quand même à occuper un poste important ».
Mais comment a-t-elle pu convaincre le père de poursuivre ses études universitaires ? « Je passais des nuits blanches en pleurant, à cause de l’indifférence de mon père face à mes bons résultats. Cependant, ma mère était toujours là pour me soutenir et me réconforter. Elle me disait : concentre-toi sur tes études pour continuer à avoir de bonnes notes et tu parviendras à tout ce que tu voudras ».
Un grand pourcentage au bac lui a facilité l’accès à la faculté d’ingénierie. Et comme elle ne voyait pas de limites quant aux projets possibles en génie électrique, elle a choisi cette dernière par passion et par défi. Et ce, car elle était la seule fille dans ce département. Le diplôme en poche avec distinction, elle a été nommée assistante.
Puis, le ventre papillonne et le coeur bat la chamade pour que les deux camarades Kawthar et Ali se marient. « Il était le premier de notre promotion, et moi deuxième. Quoi de mieux faire pour essayer de le devancer ?! », rit-elle. Et d’ajouter : « Mais non, je rigole, il a toujours été studieux et brillant. Personne ne peut le devancer ». Ces mots révèlent le respect et l’amour qu’elle voue à son partenaire, qui a toujours été à ses côtés pour la soutenir. « Deux ans après notre mariage, Ali a obtenu une bourse aux Etats- Unis pour poursuivre ses études supérieures. On est partis ensemble. Ce n’était pas facile de quitter son pays et sa famille, mais on était si convaincus que nous parviendrions à nos rêves ».
Arrivés aux USA, Kawthar, qui ne connaissait de l’anglais que des mots techniques liés à son champ d’étude, décide de suivre des cours intenses, pour être apte à s’exprimer couramment. Quelque temps après, elle réussit à décrocher une bourse à la prestigieuse Université de Berkeley pour devenir la première femme à y détenir un doctorat en génie électrique. Juste après la soutenance de sa thèse, elle donne naissance à son fils aîné.
Un moment singulier dans le parcours du couple de chercheurs qui, comme tout homme et toute femme, considère souvent nécessaire de consolider les fondations de cette parentalité. Ils entendent donner du temps à leur famille, et surtout accorder à leurs enfants du « quality time ».
« Le travail envahit la vie privée, sans que cela n’apparaisse comme un prix à payer, grâce au soutien sans faille de mon mari. La parentalité offre un gain en termes d’organisation, jugé profitable au travail. Par exemple, Ali travaillait, après le doctorat, dans la grande entreprise de communication COMSAT. Il avait donc acquis une expérience pratique, alors que la mienne était plutôt théorique. Mais c’est grâce à ses éclaircissements que j’ai pu publier des articles scientifiques distingués ». Sa plus grande fierté est son parcours académique. « Les femmes qui doivent concilier vies familiale et professionnelle sont toujours confrontées à des difficultés. C’était vraiment difficile d’écrire des articles, ou de jongler entre les langues, et d’autant plus quand mes enfants étaient plus jeunes et que je n’avais jamais de nuit complète. Mais Ali était toujours à mes côtés. Il m’aidait toujours et on se partageait les tâches ».
Ainsi, devient-il normal, en guise de reconnaissance pour son génie ainsi que pour la globalité de ses recherches axées, entre autres, sur les micro-ondes, les ondes millimétriques et les dispositifs optiques, et travaux dans les domaines scientifiques et pratiques, que l’ambassadrice Nabila Makram, ministre de l’Emigration et des Affaires des Egyptiens à l’étranger, lui décerne le Bouclier honorifique. Une appréciation qui signifie beaucoup pour elle. « Venant de mon pays, j’ai été très émue. Cela montre que les mentalités changent et que la condition des femmes évolue. Déjà, le fait d’avoir une ministre est quelque chose de génial ».
Comment peut-on définir la nature de la lutte des femmes ? « Elle est avant tout culturelle, mais il doit y avoir une synergie entre l’institutionnel et le culturel. Une dynamique, même s’il y a des obstacles. Il faudrait un changement structurel des mentalités, Il faut raisonner en termes d’humanité. La compétence ne dépend pas du genre, mais plutôt du savoir. Les femmes sont sorties de leur mutisme et ont pris conscience de leur pouvoir ».
La patrie était toujours présente dans son esprit, malgré la distance et l’éloignement. Le retour vers sa terre natale caressait autrefois le couple. Or, le déclenchement des deux guerres en 1967 et 1973 a rendu la situation défavorable. « On s’est dit que si ce pays où nous sommes nous a choisis, c’est parce qu’on a une place ici. Il faut juste persévérer. Tout cela m’a demandé du courage ; pourtant, ça ne m’a jamais freinée, au contraire, ça m’a motivée à aller plus loin ».
L’émigration a impliqué un vaste processus de changements et d’adaptations psychologiques sur le plan des attitudes et des identités. Et ce, en réaction au contact interculturel et à la vie dans un nouvel environnement. Mère de trois enfants, un garçon et deux filles, elle a vécu avec eux une période cruciale et mouvementée, celle de l’adolescence. « Il fallait les aider à s’intégrer tout en gardant leur propre identité. Ce n’est pas évident. Il faut parvenir à un compromis parents-enfants ». Kawthar et Ali étaient d’avis de les encourager dans la voie qu’ils choisissent. Ainsi, le garçon est titulaire d’un doctorat en génie électrique. Quant aux filles, l’une a obtenu un diplôme en droit après avoir obtenu un diplôme en mathématiques, l’autre un doctorat en géographie.
Professeure émérite à l’Université de Maryland, Kawthar Zaki a pleinement le temps de se détendre. « Je faisais de la natation avec Ali. C’est bon pour la santé, surtout à notre âge. Et bien sûr, je continuais à lire dans mon domaine préféré : le génie électrique ». Conseils aux futures ingénieures ? « Gardez ce plaisir d’apprendre, cet enthousiasme, cette ouverture aux défis et cet espoir de réussir. Continuez d’être créatives, positives, rigoureuses, et studieuses. Ne renoncez pas à vos objectifs … A la fin, c’est la qualité du travail accompli qui va compter. Et, la compétition, il va y en avoir dans tous les domaines. Donc, je conseille à toutes les femmes de ne jamais avoir peur ! », conclut-elle.
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