Le jour de sa naissance, le médecin a déclaré à ses parents qu’elle serait incapable de survivre pour le lendemain. « Et me voilà. J’ai 36 ans ! », dit Rania sur un ton jovial. Atteinte d’ostéogenèse imparfaite (la maladie des os de verre), maladie génétique rare qui fragilise les os, provoque un blocage de la croissance et lui impose de se déplacer en fauteuil roulant, Rania Wasfi prend depuis toujours un malin plaisir à braver les « impossibles ». « Enfant, je passais des heures devant le miroir, imaginant que je deviendrais une star, comme la petite Faïrouz, la comédienne des années 1950. Or, j’étais énervée lorsque ma soeur me disait que je n’avais pas le talent », raconte Rania avec un grand sourire.
Après une parenthèse, une adolescente un peu révoltée, le coeur qui balançait entre rebond et résignation, elle prend conscience, grâce à ses parents, qu’elle peut être parmi celles qui ont des besoins spéciaux, mais heureuses. « Je les remercie parce que depuis mon plus jeune âge, j’ai pris l’habitude de me sentir normale, ni à part, ni exclue. D’ailleurs, mon père me répétait depuis toute petite qu’il y a des personnes ordinaires et des personnes extraordinaires. Et comme je suis extraordinaire, rien ne peut m’arrêter », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « Je suis du signe du Taureau, associé à la force et à l’obstination ».
Elle décide donc de prendre son avenir en main, en s’inscrivant à plusieurs formations dans l’espoir de pouvoir trouver du travail : des cours en Word et en Photoshop, suivies d’un atelier de média destiné aux talkshows, puis d’un autre destiné à la fabrication des accessoires. « Celle-ci était ma vraie passion, à tel point que j’ai décidé de commencer un projet. J’ai réussi à commercialiser les pièces que j’ai confectionnées à travers une page Facebook. Toutefois, à force de réaliser des pièces, j’ai commencé à avoir du mal au dos et au cou. J’ai dû donc arrêter ».
Son quotidien devient difficile. Mais elle arrive néanmoins à le gérer d’une main de maître, et en autonome ! « J’ai déclaré à mes parents ma volonté d’être indépendante et de ne plus être toujours obligée de dépendre des autres pour pouvoir sortir. Je n’aime pas trop qu’on me surveille. Je suis majeure et vaccinée ! Je sais me débrouiller », dit-elle, avant de poursuivre : « Mon père n’a pas consenti au départ, mais ma mère a été ravie de ma décision et a réussi à le convaincre ».
Rania n’hésite pas à dévoiler sa grande reconnaissance envers ses parents, qui l’ont toujours soutenue à faire de bons choix. Sortir seule pour la première fois n’était pas une chose simple, mais comme elle souhaitait être reconnue comme une adulte et être responsable de sa propre vie, elle était apte à le faire. Et ce, malgré les obstacles qui s’imposent à toutes les personnes à mobilité réduite dans les espaces publics tel le manque de bordures de trottoir. « Heureusement, mes parents ont les moyens de me procurer un fauteuil roulant électrique, et un chauffeur pour m’emmener là où je veux. Mais d’autres en sont dépourvus. Or, normalement, l’espace public ne doit pas constituer d’obstacle pour eux ».
D’un visage rayonnant, illuminé par un sourire, Rania Wasfi confronte la société. Celle-ci ne voit bien souvent que sa différence, au lieu d’envisager plutôt ce qu’elle peut lui apporter. S’adapter émotionnellement et physiquement à son état a toujours été son point de force. C’est le premier pas pour bien vivre. « Chacun doit être reconnu pour ses compétences, accepté avec ses atouts et ses limites, respecté pour ce qu’il est : un être humain ». Rania déteste le mot « handicap ». D’ailleurs, pour elle, celui-ci est plus moral que physique. « Tout est question de volonté », affirme-t-elle, en insistant sur le fait que « leur différence » complète les autres.
Coquette et soignée comme toutes les femmes de son âge, elle aime bien suivre la mode. Elle a déjà des magasins préférés où elle trouve sa taille. Son image est certainement réjouissante. « J’apprécie quand des gens me font des compliments sur tel tissu, telle couleur, tel modèle … », sourit-elle.
Rania rêvait de lancer un nouveau projet. Dans sa pensée, un avenir commençait déjà à se dessiner. « Le rêve ne m’était pas très clair. Un jour, j’ai envoyé ma photo à un groupe féminin de mode, sur la toile. J’ai ajouté en commentaire : je voudrais être célèbre. Au bout de quelques minutes, des milliers de commentaires positifs ont inondé la toile ». Ceci l’a amenée à créer une page sur Facebook destinée à des conversations générales sur la vie, les sentiments, etc. « J’avais envie de parler parce que je me sentais comme les autres. J’ai souvent souffert du regard que l’on portait sur moi. Ceci pose toujours problème, car on a tendance à me juger trop vite. J’insiste : nous ne sommes pas faibles, nous sommes différents ». Au bout de quelques semaines, sa page Facebook atteint des milliers d’abonnés. « Certains ont commencé à m’envoyer leurs problèmes personnels. J’ai été ravie de la confiance que l’on m’a accordée, mais j’ai dû leur expliquer que je ne pouvais pas les aider, car je n’étais pas psychologue ».
Avec la pandémie, Rania Wasfi est restée cloîtrée chez elle, vu son état de santé précaire. « C’était vraiment dur de rester chez moi. Je suis dynamique et j’adore sortir. Il fallait trouver quelque chose à faire. Et la cuisine était une véritable issue ». Dans une cuisine non ajustée, où l’espace est aux dimensions standards, elle a commencé à faire à manger. Quand on est à mobilité réduite, cuisiner peut présenter de réelles contraintes. Mais, comme d’habitude, elle était à la hauteur du défi. Assise devant son plan de travail, cheffe Rania accumule plus d’une centaine de recettes faciles qu’elle partage. Biscuits italiens, Tiramisu, tartes au caramel, poulets aux champignons, il y en a pour tous les goûts. Elle manie fièrement la spatule comme pour dire que rien ne doit restreindre son confort ou son bonheur.
Avec plus de 200 000 abonnés sur Facebook, Instagram et YouTube, son courage et son attitude positive lui ont valu le soutien de nombreux internautes. Sa notoriété s’établit rapidement. Dès lors, elle enchaîne les apparitions médiatiques. « On a commencé à me reconnaître dans la rue. C’est vrai que je ne suis pas la comédienne star, Laïla Eloui, mais … », rit-elle. Et d’ajouter : « Cela m’a rendue hyper heureuse, et je me dis que c’est bien le métier que j’ai envie de faire ».
Etre sur un fauteuil roulant ne doit jamais signifier vivre seul et sans amour. Bien au contraire, l’amour, l’amitié et les relations avec les autres sont des choses essentielles pour bien vivre. « Si vous vous efforcez de rester positifs, vous vous rendez très vite compte que rien n’est impossible ». Cette positivité a fait qu’elle était invitée deux fois pour parler à la conférence de TEDx, organisation à but non lucratif qui se consacre à la diffusion d’idées et de success-stories, généralement sous la forme de brèves et puissantes interventions (18 minutes ou moins).
Consciente du pouvoir des réseaux sociaux, Rania Wasfi a un plan quotidien pour filmer ses vidéos. « Je dois poster régulièrement pour ne pas perdre mon public. Et filmer n’est pas évident. Cela prend du temps. Car il faut nettoyer la table au fur et à mesure. En outre, certaines tâches me sont difficiles, comme par exemple étaler une pâte ou allumer le four, c’est pour cela qu’il y a une personne qui m’aide ».
Forte de caractère, elle ne s’attarde pas sur les mauvais commentaires. « Certains me critiquent ou s’expriment de manière indécente. Je ne leur réponds jamais. Je les bloque ou je me contente de laisser les autres fans leur reprocher leur attitude ». Dans un monde chaotique, semé d’écueils, d’errements, de solitude et souvent d’impuissance, Rania a su saupoudrer du bonheur, du positivisme et de l’espoir.
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