Invitée d’honneur du dernier Festival du film d’Alexandrie, la cinéaste a marqué de son empreinte et de son talent toute une liste de films et de séries télévisées. Et ce, tout en restant très active en ce qui concerne les droits de la femme, ou récemment la révolution syrienne.
Waha Al-Raheb n’a pas pu dévoiler tout son potentiel de comédienne à travers une série de premiers rôles de grande commercialité. Mais elle a déjà cultivé une image de femme sage et de bon sens devant les caméras comme en dehors des studios.
Née à Damas au sein d’une famille d’intellectuels, elle accompagnait souvent son père, peintre, romancier et diplomate, Hilal Al-Raheb, dans ses visites pour les ateliers et les expositions d’art plastique. De quoi faire naître chez elle « une passion » pour l’art tout court, notamment la peinture.
Selon ses propres dires, ses parents ont décidé dès sa naissance de faire d’elle une « star », mais à ses yeux, seuls l’art plastique et l’écriture comptaient. « Je dois avouer que le pétrin où je suis née et l’ambiance qui m’entourait pendant ma première enfance m’ont poussée à choisir mon futur », souligne l’artiste. Et d’ajouter : « Au sein de notre famille, il y a trois personnages-clés : mon père le peintre et l’écrivain, mon oncle le romancier et penseur Hani Al-Raheb, et ma mère, connue par son goût artistique. J’ai été nourrie d’art sans m’en rendre compte. Je me souviens que je ne laissais aucun bout de papier sans dessiner dessus, ou bien d’écrire des notes personnelles ! Tout un bagage culturel que j’ai tenu à développer par les études académiques ».
Après des études en beaux-arts à la faculté de Damas, Waha Al-Raheb a effectué d’autres études en audiovisuel et cinéma, toujours en Syrie, avant de décider en 1988 de partir chercher un diplôme plus profond des études supérieures à l’Université de Paris VIII en France. « C’était l’une des décisions les plus importantes de ma vie, étant donné que je n’avais pas l’habitude de me séparer de ma famille pendant une telle durée. Toutefois, j’y ai trouvé une belle chance d’élargir mes connaissances ».
Alors que la jeune étudiante suivait inlassablement son chemin académique, elle souffrait, néanmoins, de ce qu’elle qualifie de choc humain. « Je suis allée à Paris avec toutes mes aspirations de pouvoir m’exprimer sur tous les plans. L’un des côtés positifs de ce voyage était le fait de savourer la liberté intellectuelle, pas théoriquement, mais pratiquement. J’ai appris également les différentes techniques d’observation, de synthèse. Ces techniques font malheureusement défaut dans la majorité des universités arabes ». Toutefois, seules la nostalgie et les différentes attitudes de son entourage l’ont obligée à se claustrer, retournant à son comportement fort discret qu’elle a acquis peut-être par naissance. Car son prénom, Waha, signifiant oasis, un endroit où l’on se retire pour avoir la paix. Et c’est à elle de citer les causes : « Alors que je pratiquais bien la langue française, je craignais toujours les réactions parfois agressives de certains professeurs et amis français, lorsque je faisais quelques fautes de langue. Et ce, sans oublier les circonstances assez difficiles qu’une jeune fille arabe — complètement autodidacte — peut envisager lors d’un long séjour dans un pays occidental. Quelques chocs de civilisation me poussaient davantage à rentrer en Syrie, notamment afin de mettre en pratique tout ce que j’ai appris durant mon voyage ».
Effectivement, de retour, toutes les portes s’ouvraient à la ravissante jeune artiste. Sa première apparition sur scène s’est passée par pur hasard, mais la suite n’était pas sans grandes mesures.
Elle se fait vite remarquer par le réalisateur Walid Qotli, qui lui confie un rôle assez significatif dans la pièce de théâtre Lakkaa bin Lakkaa (Lakkaa, fils de Lakkaa), de l’écrivain palestinien Emil Habibi. « Dénichant en moi un certain talent que je n’avais pas découvert, Walid Qotli m’a offert une belle chance avec le personnage d’al-set Bodour (madame Bodour), symbole du peuple palestinien ».
Et à elle d’enchaîner les souvenirs. « Je me rappelle bien la première fois que je suis montée sur les planches du théâtre-amateur. Le réalisateur m’a demandé d’improviser une scène comique d’après quoi il m’a cédé le rôle principal de la pièce, tout en m’affirmant que je vais continuer dans le domaine de l’interprétation, alors que je lui assurais que je ne serais que peintre ou romancière. Mais c’est lui qui a gagné le pari ! », dit-elle en riant.
Très vite, le cinéma fait appel à elle. Le réalisateur Mohamad Malas lui confie en 1983 sa première apparition cinématographique dans son film Ahlam al-madina (rêves de la ville). Elle apparaît aussi sur le grand écran dans quelques petits rôles avant de décider d’écrire et de réaliser son premier court métrage intitulé Manfa ikhtiyari (exil optionnel) en 1987, qui lui a valu son premier prix au Festival de Kélibia en Tunisie.
Tout se passe alors très vite pour elle. Al-Raheb signe son second film Gueddatona (nos grands-mères) en 1991, célébré également par plusieurs festivals internationaux après avoir décroché le prix de la femme au Festival du film de Damas.
Le procédé est original : écrit et tourné comme un documentaire, le film montre l’état de la femme arabe à travers les anciennes civilisations et les légendes, aboutissant à son état actuel, notamment en province. Le thème l’obsède en fait, puisqu’elle a écrit déjà un livre sur l’image de la femme dans le cinéma syrien, tout en présentant des rôles dont la majorité s’approchait d’une façon ou d’autre de l’état épineux de la femme syrienne et arabe.
« Pour moi, la femme arabe est un cas particulier et diffère beaucoup des autres femmes partout dans le monde. Elle est toujours en labeur et responsable, sans jamais se lasser de ces énormes tâches, sans toutefois grande reconnaissance de la part de la société, ni de son entourage. Elle est malheureusement victime d’une société arabe souvent masculine », explique Waha Al-Raheb
Des visions et certaines convictions toutes out of the box, qui ne lui épargnaient pas plusieurs malentendus avec les institutions officielles de son pays, spécialement l’Institution du cinéma, à laquelle elle a présenté le scénario de son film le plus célèbre et le plus controversé, Roaa Halema (visions rêveuses). Le projet laissait envisager un lot de problèmes. « J’ai passé dix ans à attendre et discuter la possibilité de produire ce film dont le contenu met en lumière la liberté du citoyen arabe face à la colonisation d’une part, et les contraintes sociales d’une autre part. De quoi m’avoir conduit à faire la guerre contre l’ancienne direction de l’institution. Une tâche qui n’était pas du tout simple ». Toutefois, leur rencontre après quelques années à travers le film Hawa (passion) n’a pas fait fondre la glace qui enveloppait la relation entre la cinéaste et l’entité officielle dont elle est adjointe. C’est ce malentendu qui l’a poussée d’ailleurs au retrait du film du programme des projections au Festival d’Alexandrie, à la suite de la demande officielle de l’institution.
Waha Al-Raheb n’écrit pas de scénarios, mais jette son Moi sur les pages. « Tous mes rôles m’appartiennent, et tous les personnages que j’écris gardent une part de Moi, c’est ainsi que je sens les protagonistes d’abord pour que les autres puissent les sentir et croire », explique la cinéaste.
Le premier à la soutenir est son mari, le réalisateur syrien Maamoun Al-Bounni, à qui elle affirme toujours sa grande reconnaissance. « Alors que les réalisatrices syriennes, comme leurs semblables partout dans le monde arabe, souffrent de contraintes, dont la plus grave est le doute de leur talent, mon mari a toujours été mon premier confident et mon ami le plus proche ».
Cependant, quelques rencontres artistiques sont uniquement dans leur score, après lesquelles ils ont décidé de travailler chacun à part. « Nous avons travaillé ensemble dans quelques œuvres dramatiques qui ont participé au Festival du Caire pour la Radio et la Télévision jusqu’en 2005. Notre relation conjugale avait conduit les responsables du festival à nous décerner, nous deux, un seul prix qui n’était pas à la hauteur de notre travail, sous prétexte que nous faisons partie d’une même équipe d’un même feuilleton. C’est pourquoi on a pris la décision de travailler chacun seul ».
Aujourd’hui, elle est plus qu’une artiste : une femme engagée. Impliquée dans un certain nombre d’organismes de bienfaisance, non lucratifs, elle est aussi fondatrice de l’Association des femmes (Al-Moubadara), visant à sensibiliser les jeunes femmes quant à leurs droits et leurs devoirs. Car, quand on parle des droits de l’homme, et surtout des femmes, Waha Al-Raheb n’est plus d’humeur à rire. Et elle n’hésite pas à voyager n’importe où pour soutenir les plus démunis et défendre les droits de son peuple contre le régime syrien actuel. La comédienne l’a prouvé avec éclat lors des quelques mois derniers, lorsqu’elle a manifesté partout pour dénoncer les crimes commis contre le peuple syrien, allant encore plus loin, en adressant un appel à ce qu’elle appelle « Le monde dit libre » pour « défendre ses compatriotes contre la violence du régime qui les broie » .
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