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Soheir Farid : Architecte dans l’âme

May Sélim, Mercredi, 17 novembre 2021

Soheir Farid dirige avec son mari un cabinet d’architecture. Proche de Hassan Fathi, elle considère sa discipline comme l’une des plus nobles, car elle nous conduit vers une société plus civilisée et plus humaine.

Photo : Bassam Al-Zoghby
Photo : Bassam Al-Zoghby

Son cabinet privé, situé dans le quartier central de Mohandessine, ressemble littéralement à une ruche d’abeilles. Tout le monde travaille. Le va-et-vient est en continu. Soheir Farid porte une blouse rose, un pantalon et des chaussures sportives. Elle nous accueille dans la salle de réunion, qui est en même temps son bureau, où se trouvent deux petites bibliothèques, des papiers, des sketchs et un tas d’outils, éparpillés ici et là. Sur le mur sont accrochés des portraits de Gandhi, de Jogor Kano et de Hassan Fathi. Elle pointe le doigt vers ce dernier, disant : « C’est le seul qui m’a vraiment influencée ». Avec son époux, Rami Al-Dahan, également architecte et disciple de Hassan Fathi, ils ont développé les concepts de ce dernier mariant l’architecture vernaculaire à l’architecture contemporaine. Car leur objectif est de créer une architecture qui touche les coeurs, tout en respectant l’environnement et l’histoire des sites où ils construisent.

Pour Soheir Farid, l’architecture est la mère de tous les arts, car il ne s’agit pas simplement de construire des bâtiments, mais d’édifier et de promouvoir toute une société. « L’architecture apprend aux gens la beauté et le savoir-vivre. Elle leur permet d’être sereins. Elle influence indirectement l’individu et la société. Elle peut protéger les jeunes du terrorisme et de l’extrémisme ». Une vision utopique, trop idéaliste? « Non, au contraire, c’est l’essence même de l’architecture que plusieurs gens ont oubliée. On construit pour offrir le repos aux gens, pour les sécuriser. C’est la notion de base qu’il faut suivre », lance Soheir Farid avec conviction.

Sa passion pour l’architecture a débuté très tôt, étant née dans une famille d’ingénieurs et d’architectes. Son père était un ingénieur électricien. Son frère aîné architecte et le cadet ingénieur. « J’étais impressionnée par les projets d’architecture, les sketchs et les maquettes que faisait mon frère aîné ». Jeune fille, elle rejoint dans les années 1970 le département d’architecture de la faculté de polytechnique de l’Université du Caire.

Soheir a rejeté les clichés qui circulaient à l’époque et qui voulaient que l’architecture ne soit pas une discipline pour les femmes. « Je me fichais de tous. Cela n’avait aucune importance à mes yeux ». Car elle a toujours été une femme déterminée, qui suivait ses rêves jusqu’au bout.

Pendant ses années d’études, elle a le coup de foudre pour son collègue de la même promotion, Rami Al-Dahan. C’est grâce à lui qu’elle a fait la connaissance de leur mentor: Hassan Fathi. « Après avoir obtenu nos diplômes, nous avons travaillé dans un cabinet privé. Mais Rami a voulu rendre visite à Hassan Fathi et travailler avec lui. Il m’a ensuite proposé de le rencontrer. Chez Hassan Fathi, j’ai fait la connaissance d’une architecte de New Mexico qui était venue travailler avec lui. Quelques mois plus tard, pendant mon voyage aux Etats-Unis, j’ai revu cette dernière et elle m’a demandé de l’aider à construire une muraille de briques crues pour la maison de ses amis. Pour la première fois, j’ai travaillé avec la main. L’architecte utilisait les matériaux disponibles sur place. Donc un peu le même principe que Hassan Fathi. De retour en Egypte, j’ai demandé à ce dernier de l’engager ».

Fathi la nomme comme cheffe de projet durant la restauration du village d’Al-Gournah à Louqsor. Elle devait alors superviser le travail d’une équipe de quatre jeunes architectes hommes, dont Rami Al-Dahan. « Fathi me soutenait beaucoup. C’était un geste inoubliable. Et bien sûr, je ne jouais pas à la directrice, mais je travaillais avec mes collègues hommes sans faire la moindre distinction. Fathi a voulu m’encourager en tant qu’architecte femme, au sein d’une société masculine conservatrice », dit-elle en toute reconnaissance.

Sur le chantier, Soheir était souvent considérée comme un phénomène bizarre : « Nous étions en Haute-Egypte, personne n’avait l’habitude de voir une femme mélanger la terre pour en faire des briques crues. Mais petit à petit, tout s’est bien passé avec les maçons et mes collègues architectes ».

Soheir et Rami se sont mariés et ont fondé un cabinet d’architecture qui porte leurs deux noms, mais ils ont continué à travailler avec Hassan Fathi jusqu’à sa mort, en 1989. « Après notre mariage, Fathi nous a introduits auprès d’un de ses clients. Il nous a donné toute la responsabilité du travail. Sous sa supervision, on suivait ses concepts. On a compris que tout détail devait avoir une raison d’être et que souvent nous avons plusieurs options, mais à la fin, c’est la bonne solution qui s’impose. Ce n’est pas une question de choix, mais plutôt une question de logique », explique-t-elle.

Le couple a reçu le premier prix de la revue Al-Meemar pour le design d’une mosquée en Arabie saoudite. « Cette revue spécialisée organisait des concours afin d’encourager les jeunes architectes. Nous avons remporté le deuxième prix. Et le jury a justifié son choix en précisant que le design a été fait avec passion, par une équipe de mari et femme, Soheir Farid et Rami Al-Dahan, comme si c’était moi le mari et Rami la femme », raconte-t-elle en éclatant de rire. Et d’ajouter : « Nous sommes dans une société masculine, et les gens avaient tendance à montrer notre travail en mentionnant seulement le nom de Rami. Et lui, il les corrigeait en disant : c’est de Soheir et moi. Pendant la période de grossesse et les premières années de maternité où j’étais très occupée par nos enfants, Rami me poussait à venir l’aider au cabinet. Grâce à lui, je ne me suis jamais éloignée de mon travail. Il était toujours soucieux de me mêler à tous les projets, même si je n’y participais pas concrètement. Notre travail ensemble a renforcé notre relation conjugale ». Leurs deux enfants sont aujourd’hui également architectes. Mais ils cherchent à suivre leur propre chemin, loin du cabinet de leurs parents. « Notre cabinet est toujours là, pour leur fournir l’aide nécessaire ».

Le couple, très sélectif, a toujours su choisir ses projets, rejetant ceux qui ne respectent pas l’environnement, même s’ils sont très rémunérateurs. « Un jour, un homme originaire d’Al-Qosseir (ville de la mer Rouge), résidant en Allemagne, est venu nous voir. Il voulait construire un village touristique à Al-Qosseir avec les moyens de bord. Il portait dans un sac une pierre sablonneuse de la ville. L’homme ne voulait pas payer beaucoup d’argent. Il nous a proposé un budget qui couvrait environ le cinquième de nos frais. Mais Rami a accepté. J’avais les larmes aux yeux et je lui ai dit : Qu’allons-nous faire ? Alors il m’a dit : Soheir, j’aime ce projet, je veux le réaliser. Après le design, le client était ébloui par le travail. Il a vu à quel point nous avions travaillé avec passion et dévotion. Il a accepté de payer le travail de notre équipe et les frais nécessaires ». Cependant, à cause de la mort du client dans un accident, le projet a été suspendu, et puis d’autres investisseurs l’ont repris. C’est devenu l’hôtel Mövenpick Al-Qosseir. « C’était le grand essor de notre cabinet », lance fièrement Soheir. C’était aussi le début de plusieurs autres projets de villages touristiques en Egypte et dans le monde arabe comme Bassata et Al-Gouna.

Ils sont accros au voyage, leurs divers séjours leur ont permis de découvrir l’architecture d’autres pays, la beauté des paysages et surtout de retrouver la sérénité. « De l’Est à l’Ouest, nous avons passé d’agréables séjours. En Egypte, nous aimons aussi le camping dans le désert. C’est l’occasion de se purifier ».

Soheir adore le design. « C’est une phase très intéressante, presque un match de ping-pong entre Rami et moi. Chacun marque un point, chacun apporte sa touche personnelle jusqu’à avoir un design satisfaisant, beau, parfois même surprenant pour nous deux. La construction est aussi une autre belle phase, puisque les sketchs se transforment en réalité ».

Pour construire leur maison actuelle, à Al-Cheikh Zayed, le match de ping-pong a duré longtemps ! Ils ont acheté le terrain il y a une vingtaine d’années, mais ont traîné pour faire le design. « Nous nous sommes beaucoup disputés, nous avons gardé les sketchs dans les tiroirs pendant des mois et travaillé sur d’autres projets. La construction aussi a beaucoup traîné. Mais finalement, le résultat est merveilleux. Je crois que cette maison est le couronnement de notre vie conjugale et de notre carrière professionnelle ».

Cette maison de rêve est entourée d’un vaste terrain agricole, avec des plantations d’olives. Soheir Farid y tient un petit potager où elle exerce sa passion pour l’agriculture. C’est une autre passion qui l’anime et qui lui donne la paix l

Jalons

1979 : Diplôme d’architecture de l’Université du Caire.

1984 : Mariage avec Rami Al-Dahan. Et ouverture de leur cabinet d’architecture.

1985 : Naissance de sa fille aînée Hend.

1986 : Naissance de son fils Hassan.

2019 : Fin de la construction de leur actuelle maison

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