A l’heure des écrans de tous genres, écrire pour enfants représente un vrai challenge. Comment s’adapter à leur univers, capter leur attention pour que le conte devienne un moment privilégié de rencontre avec soi, de partage et de créativité? « Ecrire pour enfants peut paraître la chose la plus simple du monde. Toutefois, ce n’est pas évident. Faire à la fois simple et profond est souvent compliqué. Il est parfois beaucoup plus difficile d’écrire une phrase que cinquante. Et encore plus difficile que celle-ci garde un certain style et ton », souligne Samah Abou-Bakr Ezzat. « L’écrivain pour enfants est lui-même un enfant sage et patient dont la forte contemplation lui permet de saisir les intérêts et les rêves de ses pairs. Bref, d’appréhender leur monde ».
Ainsi, écrire pour les enfants consiste à accepter de voir la vie à travers leurs yeux. Il n’y a ni de recettes, ni d’étapes fixes, à part d’être à l’écoute des petits et de se rapprocher de leur monde. Ecrire un roman ne signifie pas raconter une succession d’événements sur un ton monocorde. Il faut être intéressant, avoir du style. « Tout d’abord, il est primordial de noter les idées. Ensuite, il faut les structurer. Les idées sont comme les enfants. Certaines sont têtues, silencieuses ou turbulentes. Parfois, une idée me traverse l’esprit, mais je reste incapable de l’écrire sur papier. Et d’autres fois, elle s’impose et se développe rapidement ».
En vue de trouver une idée originale et écrire une nouvelle histoire, il suffit de chercher l’inspiration dans la vie de tous les jours. Elle se souvient du jour où, en route pour Alexandrie, son chauffeur s’est arrêté dans un village de pêcheurs. L’un d’eux les a invités à boire un thé. Cette rencontre l’a beaucoup marquée, surtout en observant son hôte en train de réparer son bateau en y plantant des clous. « Une fois rentrée, je me suis mise à écrire Wahdi bil Sondouq (seul dans une boîte), un conte qui relate l’histoire d’un clou si orgueilleux qu’à la suite d’un accident au bord du bateau où il est, le pêcheur construit un nouveau bateau sans l’utiliser. Il le place, avec un savon, dans une petite boîte. Cependant, le clou ne renonce pas à son attitude hautaine et regarde le savon avec mépris. Car il lui semble plus fragile et ne cesse de diminuer d’un usage à l’autre. Mais, le savon lui donne une belle leçon: Ce qui importe c’est de laisser une trace qui demeure vivante ».
L’auteure aime attribuer une dimension philosophique à ses contes qu’elle véhicule aux enfants avec la plus grande simplicité. « Pour susciter l’intérêt des petits, les personnages doivent d’abord les attirer et les séduire par leur physique, qu’ils soient des humains, des animaux ou des objets », souligne-t-elle. « Je m’inspire des questions que posent les enfants. Les lecteurs sont la meilleure source d’inspiration. Quand ils se posent des questions, ils seront plus attirés par des histoires qui leur apportent une réponse ». C’est le cas de son conte Qanal la Yaeref Al-Mohal (un canal qui ne connaît pas l’impossible) qui tourne autour du navire Ever Given qui avait bloqué le Canal du Suez il y a quelques mois.
L’écrivaine n’a pas manqué de traiter un phénomène comme l’intimidation et le harcèlement, et ce, à travers Loueloua fil Sama (une perle au ciel), où elle relate l’histoire de Sama (prénom d’une fille qui signifie ciel), une chialeuse qui, à force de pleurer, ses camarades l’ont surnommée « la pluvieuse en hiver et en été ». Or, un message et un cadeau de sa grand-mère changent son état d’esprit et lui permettent de faire face à la douleur. « Les histoires racontées, inventées, ou préexistantes sous forme orale ou écrite, sont importantes pour la construction psychique de l’enfant. Ces histoires lues ou contées permettent, par le jeu de la fiction, une mise à distance nécessaire pour aborder des sujets légers et joyeux, mais aussi graves et difficiles ».
Raconter une histoire pour enfants est tout un art. Comme en musique, il faut trouver sa partition et jouer sur des notes différentes. « Il faut imager votre récit, en décrivant les formes, les couleurs, les sons, etc. afin que l’enfant puisse facilement se glisser dans votre univers », explique Samah Abou-Bakr Ezzat, qui non seulement écrit des histoires, mais aussi y prête sa voix. Sa personnalité charismatique, optimiste et chaleureuse, ainsi que son humour et sa popularité auprès des jeunes l’ont menée à la présentation d’une émission de télévision pour enfants Ehki ya Mama Samah (racontez mère Samah) sur la chaîne 4, destinée aux villes du Canal de Suez.
Née dans une famille où l’art et la culture détiennent une place particulière, son père étant le comédien de renom Abou-Bakr Ezzat et sa mère la célèbre écrivaine Kawthar Heikal, elle a de tout temps été avide de lecture. A 15 ans, elle s’est éprise de l’oeuvre de Moustapha Sadeq Al-Raféï, poète arabe célèbre du début du XXe siècle. En outre, elle avait construit une relation singulière avec sa grand-mère, puisqu’elle passait des heures avec elle, vu les multiples occupations de ses parents. « Ma grand-mère était une excellente conteuse. Comme je dormais souvent avant la fin de l’histoire, elle avait l’intelligence de me demander le lendemain d’imaginer une fin et de la lui raconter ».
A l’école, chez les soeurs franciscaines, elle se trouvait souvent entourée d’amies et en train de leur raconter des histoires. Le bac en poche, elle s’est inscrite à la faculté de commerce extérieur, section française. « Je voulais être aux côtés de mes amies, dans une ambiance qui ressemble à celle de l’école ». Plus tard, elle a refusé un poste d’assistant à la faculté, préférant se lancer dans un monde plus aventurier. A la société Korean Air, elle a pu découvrir un monde différent, à travers des voyages, mais aussi l’apprentissage de la langue coréenne. « Pendant la pause, tandis que mes collègues allaient pour manger une glace, je me dirigeais vers la librairie Madbouli, à quelques pas de notre bureau ».
La lecture étant toujours son meilleur compagnon, elle a été embauchée plus tard en tant que traductrice à la télévision égyptienne. « Il s’agissait de traduire vers l’arabe un contenu français acheté de Canal+ », dit-elle. Une reconversion vers un monde enfantin qui a stimulé en elle le plaisir de l’écriture. Après ces divers métiers, c’est son scénario pour la série Alaeddine we Kenz Amou Amine (Aladdin et le trésor de l’oncle Amine), primé au Festival de la création arabe en 2002, qui a marqué le début de sa nouvelle carrière d’auteure. Et c’est grâce aux encouragements du réalisateur de télévision Nader Aboul-Foutouh qu’elle s’est bien lancée dans le domaine. « Je n’avais jamais pensé écrire, mais cela m’est tombé dessus un jour, comme ça ! ». Un long trajet qui lui a permis de signer plus de 50 livres, sans compter le nombre des ateliers où elle entre en interaction avec des enfants. « Un petit bout de 4 ans a des attentes et des réactions différentes d’un enfant de 8 ans. D’ailleurs, selon la tranche d’âge, la langue s’adapte. Cela paraît plus facile à dire qu’à faire», sourit-elle. Et de poursuivre: « Je me sens victorieuse lorsque l’un des enfants devine la même fin d’histoire que la mienne. Mon père m’a appris que le code magique de l’art consiste à garder une âme enfantine », conclut-elle .
Jalons
1986 : Diplôme de commerce extérieur, section française.
2004 : Publication de son premier conte Tag Al-Rabie (la couronne du printemps).
2021 : Choix de son conte Loueloua fil Sama (une perle au ciel) comme l’une des meilleures histoires pour enfants, par la Bibliothèque de Munich.
2002 : Prix du scénario pour la série Alaeddine we Kenz Amou Amine (Aladdin et le trésor de l’oncle Amine) au Festival de la création arabe.
2020 : Classement de son conte Al-Daëra Al-Haëra (le cercle confus) sur la liste d’honneur de l’International Board on Books for Young People.
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