A la boutonnière de son costume bleu ciel, il porte une épingle dorée représentant le Théâtre national, son grand amour, comme il le répète souvent. « Lorsqu’on présentait la pièce Leila Min Alf Leila (une des mille et une nuits) sur ses planches, avec Yéhia Al-Fakharani, l’équipe a opté pour la création de quelques petits souvenirs que l’on peut offrir aux grands noms du théâtre. J’ai adoré cette petite épingle et je la porte souvent depuis », raconte Youssef Ismaïl, qui a dirigé le Théâtre national entre 2015 et 2020. « Je suis particulièrement attaché à ce théâtre ancien, mais je n’aime pas du tout la gestion. Dans mon village natal, Choubra Bakhoum à Ménoufiya, je rêvais déjà à l’âge de 6 ans de jouer sur ses planches, devant Nour Al-Chérif et Mahmoud Yassine, mes stars préférées à l’époque. Ma mère, une simple femme au foyer, avait remarqué mes penchants artistiques. Elle m’a acheté une radio transistor, voyant que j’aimais beaucoup la musique ». Dans son village, il n’y avait pas de théâtre au vrai sens du terme. Alors, élève en quatrième primaire, il se contentait de faire de petits sketchs pendant la récréation. « Mon ami Mohamad Abdel-Latif et moi, nous voulions faire du théâtre à tout prix. A l’époque, nous avions deux récréations : une petite de 15 minutes et une autre d’une heure et demie. De peur de susciter la colère du directeur, nous nous sommes mis d’accord de jouer pendant la longue récréation, à l’arrière-cour, près de l’école. Cette arrière-cour était construite par les villageois et donc ne dépendait pas de l’établissement scolaire. Nous avons organisé un événement que nous avons intitulé Al-Hafla (la fête), en programmant chant, jeu théâtral, lecture littéraire, sketchs imitant les professeurs, etc. Des amis restaient debout, afin que leurs corps nous servent de coulisses. Un jour, le directeur de l’école est venu assister à notre programme et nous a interrogés vers la fin : Pourquoi vous ne m’avez pas dit ? Depuis, il nous a aidés en fournissant les micros nécessaires à notre show. Et nous avons réussi à tenir cette fête deux fois par an », se souvient-il.
Après avoir terminé ses études scolaires, Youssef Ismaïl a voulu se joindre à l’Institut supérieur des arts dramatiques. Mais son père l’a découragé. Il voulait que son fils obtienne d’abord un diplôme lui permettant d’avoir un travail sûr. Donc il a opté pour des études en mathématiques à la faculté des sciences. Puis, avec son frère aîné, le metteur en scène Ahmed Ismaïl, il jouait dans la troupe théâtrale du village Choubra Bakhoum. Lancée par son frère, celle-ci rassemblait de jeunes amateurs ; parmi eux, Youssef a fait ses premiers pas en tant que comédien. « Ahmed a 8 ans de plus que moi. J’ai beaucoup profité de sa bibliothèque et de son expérience. Il sait très bien diriger les acteurs et en sortir le meilleur. Il n’a jamais agi ni comme directeur de la troupe ni comme metteur en scène cherchant à tout contrôler. Bien au contraire, il partage ses pensées et discute beaucoup avec les autres membres de la troupe ». Pour Youssef, c’était clair dès le départ, il voulait être comédien et non pas metteur en scène. « Je n’ai exercé la mise en scène que deux fois à l’école ».
Avec la troupe de Choubra Bakhoum, il a joué le rôle du héros principal dans la pièce Al-Chater Hassan (le brave Hassan) d’après un texte lyrique du même titre écrit par Metwali Abdel-Latif et Fouad Haddad. Ce spectacle, monté par son frère Ahmed Ismaïl, a été en tournée en Europe et a été donné plusieurs fois au Caire et sur place dans leur village. « Il a été produit en 1984 et les rôles principaux étaient tenus par Achraf Tolba et Samia Saleh. Ma soeur Siham et moi-même, nous avons remplacé ces deux derniers en 1985. Le village était bouleversé, plus de 20 000 personnes sont venues voir notre spectacle. Une femme âgée de 90 ans a confié à mon frère qu’on remédiait à tous ses maux. Faire du théâtre dans le village m’a appris tant de choses ».
Diplômé de la faculté des sciences, il a d’abord travaillé comme professeur de mathématiques dans son ancienne école. « Un superviseur du ministère de l’Education venait de temps à autre pour examiner notre travail. Il trouvait que le plus souvent j’étais en train d’organiser la fête habituelle, mais qu’en même temps, mes élèves étaient excellents en mathématiques. Il était tout confus et m’a posé la question : Que voulez vous faire dans la vie ? Alors je l’ai prié de m’aider à devenir salarié détaché au ministère de la Culture, au Caire ».
Avec l’aide de son frère, Youssef a été embauché au théâtre Al-Samer, dépendant de l’Organisme des palais de la culture. « J’ai joué dans de grands spectacles produits par Al-Samer. Puis, un jour je suis tombé sur une annonce publiée par l’Organisme des théâtres de l’Etat, à la recherche de jeunes comédiens. J’ai postulé et j’ai passé un entretien avec le président de l’Organisme des théâtres de l’Etat dans le temps, le comédien Al-Sayed Radi. J’ai demandé à être embauché au Théâtre national, alors il m’a répondu : le Théâtre national en ce moment c’est un frigo ! Tu vas recommencer à zéro ! Je te laisse une semaine pour réfléchir ».
Mais rien ne pouvait dissuader Youssef de poursuivre son rêve d’enfance : jouer au Théâtre national. Et ce fut ainsi. Sa joie était immense. Le Théâtre national est vite devenu son chez-soi. Sa première apparition sur ses planches était dans Sinouhé. Ensuite, il a participé à la pièce Henri IV. Puis, les oeuvres classiques et contemporaines se sont poursuivies. En jouant devant de grands comédiens tels Achraf Abdel-Ghafour, Samiha Ayoub, Samira Abdel-Aziz et bien d’autres, il apprenait davantage les techniques du jeu et suivait attentivement leurs conseils.
Après la restauration du Théâtre national et sa réouverture en 2015, on était à la recherche d’un directeur. « Mes amis m’ont poussé à déposer ma candidature et m’ont promis de me soutenir jusqu’au bout. Mon objectif était d’avoir une programmation mêlant des oeuvres classiques à d’autres plus contemporaines. Je voulais attirer les grands metteurs en scène, mais aussi s’ouvrir aux plus jeunes. En outre, j’ai réussi à avoir un budget, indépendamment des théâtres de l’Etat, venant directement du bureau du ministre de la Culture. Et ce, pour éviter les problèmes financiers et bureaucratiques ».
Le projet était ambitieux et a plu au ministre de la Culture à l’époque, Gaber Asfour. Occupant le poste de directeur pendant cinq ans, il n’avait pas de temps à consacrer à sa femme et ses trois enfants, travaillant même durant les jours fériés. « C’était une routine quotidienne épuisante. La gestion est exhaustive, je n’ai réalisé que 50 % de ce que je voulais faire, à cause de problèmes budgétaires et bureaucratiques. Et enfin, j’ai dû quitter et me concentrer sur ma carrière de comédien », souligne-t-il. Mais à peine a-t-il eu le temps de prendre son souffle que la ministre actuelle de la Culture, Inès Abdel-Dayem, l’a nommé président du Festival national du théâtre. Encore une fois, il s’est senti dans l’obligation de faire quelque chose au profit du champ théâtral égyptien.
De temps en temps, il participe à des feuilletons télévisés, jouant devant les caméras, comme il le fait maintenant en tournant dans Al-Tahqiq (l’enquête) et Al-Tamania (les huit), lesquels seront diffusés sur des plateformes numériques. « Je suis un comédien professionnel, donc je fais tout. Mais j’avoue que j’ai un faible envers le contact direct avec le public. Ceci me donne plus d’énergie. Sur les planches, j’entends le souffle du public. Je sais si je suis parvenu à captiver son attention ou non. C’est un contact effrayant, mais magnifique ».
Loin des planches, plusieurs trouvent qu’il est devenu l’une des stars du second rôle. « Devenir star de cinéma ou de télévision ne m’a jamais préoccupé. Jouer sur les planches me donne une plus grande satisfaction », conclut-il.
Lien court: