Il nous a accueillis chaleureusement dans les locaux du Musée national de la civilisation égyptienne (NMEC) à Fostat. Son lieu de travail, une création dont il est fier. C’est le designer architecte et professeur d’architecture à la faculté des beaux-arts Al-Ghazali Kesseiba. A l’entrée, il tâche de nous montrer la beauté du site qui donne sur le lac de Aïn Al-Sira. Avec fierté, il évoque les travaux de la transformation du lac qui était plein d’ordures en une étendue d’eau captivante, calme et apaisante. Un beau et vaste paysage nous entoure. Des restaurants et des cafés en plein air décorés par des motifs ramadanesques s’apprêtent à recevoir le public tous les soirs. Tout cela avant de franchir les seuils du musée ou de s’infiltrer dans ses salles d’expositions. « Avant 2007, j’ai cru que mon design et mon travail étaient jetés dans ce site à Fostat par indifférence et négligence », dit l’architecte. A-t-il tort ?
Le site du musée et son entourage nous transportent vers un vrai paradis. En fait, la réformation du landscape du site du musée fait par Kesseiba et son équipe témoigne d’un architecte passionné par son travail. L’histoire de la construction du musée est pourtant longue et pleine d’obstacles. « C’est en 1985 qu’a été annoncée la phase finale de la compétition internationale lancée par le ministère de la Culture et sous la supervision de l’Unesco pour le design du Musée de la civilisation. Parmi 65 candidats, 5 ont été sélectionnés pour passer à la deuxième phase. La concurrence a duré presque deux et trois ans. Et finalement, j’ai gagné le premier prix par mon design », raconte Kesseiba. Le terrain de l’Opéra devait accueillir le musée. Kesseiba préparait les documents, les plans et les sketchs nécessaires pour le travail des entrepreneurs et la mise en oeuvre du chantier. Soudainement, le site du musée a changé. « Le terrain de l’Opéra du Caire est devenu plein de bâtiments. Il a fallu attendre dix ans pour trouver un autre site pour le musée. Ce fut Fostat. De nouveaux plans et d’autres sketchs ont respecté l’esprit de l’ancien design en prenant en considération le nouveau site et son exploitation ». Mais il fallait encore attendre, faute de financement. L’attente a duré. Kesseiba était frustré et déçu. Il ne comprenait pas les questions de bureaucratie et croyait que son projet était jeté aux oubliettes. Mais avec le commencement des travaux, Kesseiba retrouve sa passion et sa vocation pour la construction du NMEC. Regrette-t-il le retard ? Le changement du site ? « Oui absolument, c’était une grande perte de temps. En plus, ce retard a fait que les dépenses ont augmenté vu la montée des prix des matériaux de construction en trente ans », déplore-t-il.
« La construction du musée est faite sur trois phases. La première est celle des travaux de base. La deuxième est la décoration ou plutôt le design intérieur et la troisième constitue l’exposition muséologique. Le travail continue encore dans cette dernière. 25 % des salles du musée ont été officiellement inaugurées. Il reste encore des salles à préparer et à équiper », souligne l’architecte. D’autres salles et d’autres histoires s’apprêtent à être révélées aux visiteurs. S’ajoutent à cela des classes d’éducation muséale pour les enfants, un théâtre, une salle de cinéma, etc. Kesseiba a pensé à tous les détails qui garantissent à tout visiteur, quels que soient son âge et sa culture, une journée remarquable résumant la civilisation égyptienne de la préhistoire jusqu’à présent. Un travail de longue haleine. L’architecte prépare aussi une exposition muséologique dans le site en plein air du musée, permettant à tout public de toucher de près les spécificités de la civilisation égyptienne.
Avec insistance, il précise : « Tous les musées du pays sont des musées archéologiques où l’oeuvre est le héros principal. Le visiteur est souvent épris par la beauté et l’authenticité de l’oeuvre. Or, dans un musée de civilisation, ce n’est plus le cas. Les oeuvres ne sont que des repères pour des histoires de la créativité humaine et des informations sur la richesse de la culture. Dans le NMEC, nous offrons au public l’histoire derrière l’oeuvre et ses secrets par des écrans interactifs, des écrans avec des documentations historiques, etc. Ce qui compte c’est l’Histoire, c’est la civilisation. Nos outils sont les logiciels de la présentation des informations et le multimédia ». Pour ce faire, l’architecte est en accord avec des spécialistes et il a longtemps travaillé sur la présentation des documentations autour de chaque oeuvre exposée.
Le travail avec l’historique, l’archéologique et les concepts des musées semble être le destin de cet architecte. Son projet de fin d’études était une proposition pour sauver quelques monuments du temple d’Abou-Simbel en Haute-Egypte après la construction du Haut-Barrage. Quelques années plus tard, il a participé au projet de sauvetage des monuments de Philae à Assouan.
Originaire de Port-Saïd, le petit Kesseiba était un élève épris par les bateaux et les navires qui traversaient le Canal de Suez et passaient par sa ville. Il les dessinait avec passion. Le bac en poche, Kesseiba voulait rejoindre le département d’architecture navale à la faculté d’ingénierie de l’Université d’Alexandrie. « Mais mon professeur de dessin à l’école m’a encouragé à faire des études d’architecture aux beaux-arts ». Aux beaux-arts, la rencontre avec les professeurs Hassan Fathi et Ramsès Wissa Wassef est bien gravée dans sa mémoire. Ces deux mentors ont appris au jeune étudiant comment travailler avec passion. « Les deux nous accueillaient (mes camarades et moi) dans leurs ateliers à Harraniya. Nous passions de longues heures à travailler avec eux sans lassitude. Avec Wassef, nous avons touché de près à sa méthode de construction des arches. Le travail avec lui m’a imprégné et m’a poussé à aimer encore plus l’architecture et ses détails ».
Une fois diplômé, Kesseiba a été embauché comme professeur à la faculté. Il est tombé amoureux d’une de ses disciples et l’a épousée. Ensuite, les deux jeunes architectes ont obtenu une bourse en France pour poursuivre leurs études aux beaux-arts à Paris. « J’ai eu mon diplôme en deux ans. J’ai travaillé comme chef designer à Duthieul & Sonrel pour trois ans. Mais à un moment donné, j’ai décidé avec ma femme de retourner à l’Egypte. C’était par nostalgie aux familles et au pays. C’était difficile pour nous de continuer à vivre en France ». De retour, il ouvre son bureau et participe à différentes compétitions d’architecture internationales. En 1977, il remporte le premier prix du design de l’Unesco arabe (Alesco).
Son style est un mélange de l’architecture moderne et de celle de l’Ancienne Egypte. Pour lui, peu importe le style. « Je ne cherche pas à faire une construction belle ou moderne simplement. Je cherche à associer le beau, le nouveau et l’authentique. Toute construction doit avoir un rôle fonctionnel, pratique et logique et être en rapport avec l’environnement ». Il paraît que la passion d’Al-Ghazali Kesseiba pour l’architecture est devenue un trait génétique dans sa famille. Il nous montre un petit sketch signé par son fils Karim, à l’âge de cinq ans, pour la salle des momies au Musée national de la civilisation égyptienne. Le petit, à l’époque, reproduisait les sketchs de son père faits à la main. « Les logiciels du design architectural n’étaient pas encore disponibles dans les années 1980. J’excellais dans le dessin en perspective », évoque-t-il avec fierté. Certains sketchs sont présents dans son bureau de travail au musée. Ses sketchs en perspective témoignent de son talent comme designer. Ils ont imprégné aussi l’enfance et la jeunesse de son fils Karim, devenu aujourd’hui architecte et professeur d’architecture à l’Université du Caire. Lui aussi s’est marié avec une de ses collègues architectes. Tel père, tel fils. « Quatre architectes dans la famille, c’est difficile ! Deux exercent l’architecture et deux autres contemplent la situation. Sinon, ça serait la guerre », dit-il en éclatant de rire.
Il y a trois ans, afin de superviser le travail au chantier et continuer la dernière phase du projet du NMEC, Kesseiba a fermé son bureau de consultations architecturales à Doqqi et s’est déplacé avec ses disciples et assistants aux locaux du musée pour se réunir dans une salle pleine d’ordinateurs. Il se contente de donner ses cours à la faculté des beaux-arts et de se trouver ensuite au musée. « Aujourd’hui, je n’ai pas le temps de faire autre chose ou d’autre projet. Le musée prend tout mon temps ».
Jalons
1941 : Naissance à Port-Saïd.
1969 : Mariage.
1970-1975 : Bourse d’études et travail en France.
1977 : Naissance de son fils Karim, professeur d’architecture à l’Université du Caire.
1985 : Lauréat du prix de meilleur design architectural pour le Musée national de la civilisation égyptienne.
2021 : Continuation des travaux de la troisième phase dans le Musée national de la civilisation égyptienne après son inauguration officielle.
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