Le bois, il le touche, le palpe et le caresse depuis des années. C’est une longue histoire d’amour qu’il nourrit depuis l’âge de 11 ans. C’est au sein de sa famille que Hassan Abou-Zeid a appris la menuiserie, l’ébénisterie, ainsi que les secrets des arts copte et islamique. Ensuite, depuis 1963, il pratique ce que l’on s’accorde à appeler le « tournage sur bois » : une manière de travailler le bois pour créer des objets aux formes diversifiées, en utilisant un tour à bois et des outils à coupe. Né en 1952 dans le quartier populaire de Sayéda Aïcha, au Caire, il a baigné dans le métier depuis son jeune âge: la famille de son père, mais aussi celle de sa mère ont depuis toujours « tourné et sculpté » le bois. Son grand-père et ses oncles paternels étaient des ébénistes qui concevaient des objets d’art dans de diverses églises d’Egypte. Ils avaient un atelier, toujours à Sayéda Aïcha. Et ses arrière-grands-parents maternels travaillaient le bois dans les mosquées, alors que son grand-père était marchand d’antiquités. La famille de sa mère possédait, elle aussi, un grand atelier dans la ruelle d’Al-Sokkariya, à Al-Darb Al-Ahmar (dans le Vieux Caire). « Tout petit, je travaillais le bois dans notre atelier familial. Je fabriquais plein de choses avec des chutes de bois », se souvient l’artisan curieux, 69 ans, cheveux sel et poivre.
Avec le temps, il a compris qu’il était prédestiné à prendre la relève, ayant un penchant pour le dessin et la sculpture. Le métier de tourneur et sculpteur sur bois a sonné comme une évidence pour ce passionné. Portant son manteau blanc et attrapant ses outils en main, Am Hassan a été attiré, depuis très tôt, par les odeurs de copeaux, de rouilles et de poussière. Et vers 10-11 ans, il se lance dans le métier d’ébéniste qu’il affectionne tant. « J’ai grandi avec le bois », dit-il. « J’ai évolué avec l’arabesque. C’est depuis toujours mon environnement quotidien, une passion envahissante avant d’être un métier. Dès mon âge tendre, j’avais l’envie d’exercer un travail manuel », avoue ce passionné de la menuiserie arabe qui a commencé par toucher 36 piastres par semaine. A l’âge de 12 ans, son oncle maternel lui offre quelques outils nécessaires pour se faire la main. « Ce fut le début d’une carrière que j’adore ! ».
Titulaire d’un diplôme technique, département de « ferronnerie », le jeune Hassan n’a pas voulu continuer dans ce domaine, tout à fait loin du métier qu’il a hérité de père en fils, et bien sûr sa famille l’a encouragé à abandonner le « fer ». « Mon oncle maternel m’a dit: tu ne devras jamais quitter le travail du bois, tu as du talent! Ton travail suscite déjà tant d’admiration et fait des jaloux. Tu vas faire une belle réputation, et avec l’entraînement et l’expérience, tu vas progresser et atteindre un bon niveau ». Ses mots résonnent toujours dans la tête de l’artisan chevronné. L’apprentissage ne s’arrête pas au diplôme requis. La clé de ce genre de métier est la patience et la persévérance. L’artisan talentueux pourrait passer une dizaine de jours penché sur la même oeuvre. « Je suis un rêveur, j’aime concrétiser les idées que j’ai en tête », lance-t-il.
Passionné par les matières à l’état brut, particulièrement par le bois, il a parcouru un long chemin pour être considéré de nos jours comme l’un des derniers patrons de l’arabesque. Grâce à son père, ses grands-parents et ses oncles, Hassan Abou-Zeid a développé de réelles capacités créative et manuelle. « Travailler le bois nécessite une grande précision, un excellent niveau en dessin et une culture artistique solide. Il faut vraiment saisir l’esthétique et la répartition des volumes », indique-t-il. Tourneur-sculpteur sur bois et ébéniste, Am Hassan s’est spécialisé dans la restauration des minbars, des minarets et des divers types de moucharabiehs, notamment à l’intérieur des mosquées. « C’est un vrai maître, il connaît tous les secrets du métier, quasiment le seul de ce calibre en Egypte et au Moyen-Orient. Sa présence nous a encouragés à créer la Fondation pour le sauvetage du patrimoine égyptien en 2013, afin de préserver les minbars mamelouks du Caire », précise Abdel-Hamid Al-Chérif, directeur du projet Sauver les minbars mamelouks du Caire, financé par le British Council.
Située à l’ancienne maison d’Al-Razzaz, à Al-Darb Al-Ahmar, la fondation a choisi Am Hassan pour mener à bien la restauration des minbars mamelouks, emblématiques de la complexité, la beauté et la diversité de l’art islamique. Un nombre non négligeable des minbars de cette époque a été cambriolé lors des manifestations anti-Moubarak et de la période d’instabilité politique depuis 2011, dont celui de la mosquée Al-Rammah, considérée comme l’une des plus originales. En 2004, dans son atelier familial, Am Hassan a commencé à travailler dans la restauration des mosquées. A partir de cette date, il a acquis une très grande expérience en la matière. Et avec les siens, il a participé à la restauration de 60 minbars dont les plus importants sont situés au Caire, à Alexandrie, à Mansoura (dans le Delta) et à Qéna (en Haute-Egypte).
Il privilégie l’usage superposé du bois sous forme de carrés, dans l’arabesque. Multiplie le recours aux figures octogonales et hexagonales, très fréquentes en art islamique. Et reproduit l’étoile à cinq ou huit branches, pour symboliser la représentation astrologique des cieux. « Ces motifs font le lien entre la vie terrestre et l’au-delà, ce qui explique leur profusion dans les églises et les mosquées d’Egypte », souligne Hassan Abou-Zeid. Ce dernier s’est lancé aussi dans l’ornementation des mausolées, des sanctuaires et des stands sculptés sur lesquels sont placés les Corans. En tant qu’artisan d’arabesque, il excelle dans l’utilisation de motifs végétaux naturels dérivés de branches, de feuilles, de tiges et de fleurs, avec une calligraphie arabe devenue inséparable de l’arabesque. « De nombreux versets coraniques sont ajoutés aux pièces d’arabesque, complétant ainsi la portée spirituelle de cet art ancestral ». Am Hassan se plaît à expliquer sa façon de travailler, en utilisant souvent un terme technique, « acheq we maachouq », qui veut dire littéralement « l’amant et l’aimé », soit des pièces de bois assemblées sans aucun collage. « Une technique héritée de mes arrière-arrière-grands-parents », commente-t-il, décrivant la finesse des jeux de courbes et contre-courbes, le charme des lignes sinueuses. Au fil des ans, il a réussi à maîtriser ses techniques anciennes, héritées des patrons de l’artisanat copte et islamique.
L’artisan se sent comblé à chaque fois qu’il termine l’exécution d’une pièce. Il s’endort paisiblement après. Depuis 1984 et jusqu’à 2004, il a participé à la rénovation de 90% des églises égyptiennes. Il a restauré des icônes du Christ, des croix, des coupoles, des dômes de différentes églises au Caire, à Alexandrie, à Mansoura, à Damiette et à Minya, telles celles de Mar Guirguis, Abou-Seifein et Abou-Sirga dans le Vieux Caire, l’église de la Vierge à Aïn-Chams et celle de l’archevêque Abram à Choubra. Il a également restauré la cathédrale de Abbassiya, ainsi que le monastère copte orthodoxe de Saint-Paul, situé à environ 155 km au sud-est du Caire, près de la mer Rouge. Et ce, sans oublier plusieurs couvents disséminés aux quatre coins du pays. « J’ai participé à la construction d’une église à l’étranger, à savoir Mar Morcos (Saint-Marc) en Ecosse ». Qu’il s’agisse d’art islamique ou copte, Am Hassan utilise le bois de camphre et le bois de santal, réalisant fréquemment des motifs géométriques qu’il avait appris en lisant des ouvrages de référence de la période mamelouke. « Je fais des panneaux ajourés, exécutés à partir d’une multitude de morceaux de bois tournés et assemblés par emboîtement suivant un plan géométrique; ils sont entrelacés et à répétition », dit-il fièrement.
En fait, le soutien familial lui a donné confiance et une envie de faire revivre ce savoir-faire et cette tradition héritée de ses parents. Ainsi, il a beaucoup appris par l’écoute, l’observation et le partage. « Je me suis perfectionné en transmettant mon expérience. Le fait d’avoir confiance en ceux qui m’ont formé m’a permis de creuser mon propre chemin. Je n’ai jamais hésité à aller demander conseil à mon père, mon grand-père ou mes oncles. J’avais l’habitude de poser plein de questions », avoue l’artisan.
Le progrès technologique de nos jours lui a permis de tailler la matière avec plus précision, mais il est conscient du fait que son travail manuel est irremplaçable. « Jamais une machine ne pourra donner l’aspect du mouvement de la main. En travaillant, je reste proche de la matière, pour mieux caresser le bois au vrai sens du mot. Cela fait partie de ma vie ». Pour Am Hassan, la clé de la réussite, c’est de tester, encore et encore. « Quand la technique vous manque ou la matière vous bloque, il faut tenter de la comprendre et de se donner le temps pour l’apprivoiser », ajoute-t-il.
C’est en 1980 que ce professionnel du bois a eu l’opportunité de travailler en artisan libre. Il a commencé à faire du tournage sur bois en Algérie et a eu la chance de rénover la porte principale de la mosquée de l’émir Abdelkader, en échange de 700 dinars. Quelques mois plus tard, ayant réussi merveilleusement sa mission, on lui a demandé de restaurer une deuxième porte, au prix de 860 dinars. Ensuite, il a réalisé un dôme pour le palais d’un prince arabe, touchant 960 dinars. Après, il a été sollicité en Arabie saoudite, au Koweït et aux Emirats arabes unis, afin de rénover plusieurs mosquées. « Quel plaisir de pouvoir enfin créer à sa guise, mais surtout d’être reconnu pour ses qualités, non pas à travers une entreprise », indique Hassan Abou-Zeid.
Il y a quelques mois, une nouvelle opportunité s’est présentée à lui, étant sollicité pour donner des cours sur le tournage du bois et la préservation du patrimoine au sein de l’atelier monté récemment à la maison Al- Razzaz. Et ce, dans le cadre du projet Sauver les minbars mamelouks du Caire. « J’accepte ce challenge tout en continuant normalement mes activités », déclare Hassan Abou-Zeid, avant d’ajouter : « Je n’avais pas prévu d’y contribuer, mais c’est agréable de transmettre aux jeunes son savoir-faire pour que notre métier ne disparaisse pas ».
L’artisan talentueux est candidat à un doctorat honorifique d’une université britannique, pour une gravure sur bois du mot « Allah » en arabe. « Am Hassan Abou-Zeid est une richesse nationale ! », lance Omniya Abdel-Bary, coordinatrice du projet Sauver les minbars mamelouks du Caire, laquelle a proposé son nom pour l’insigne du doctorat .
Jalons
1952 : Naissance au Caire.
1976 : Mission en Arabie saoudite.
1988 : Restauration de l’église Mar Guirguis à Sohag. Et mort de son oncle maternel qui lui a appris le métier.
2006 : Son fils Islam reçoit son diplôme de la faculté de tourisme et d’hôtellerie.
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