Dimanche, 10 novembre 2024
Al-Ahram Hebdo > Visages >

Magd Messarra :Un architecte connecté à la terre

Névine Lameï, Dimanche, 07 mars 2021

Architecte, peintre, sculpteur et professeur à l’Université Française d’Egypte (UFE), Magd Messarra marie les styles et les époques, en étant à la fois moderne et fidèle à l’identité égyptienne. Un pari gagné.

Magd Messarra

C’est lui qui a conçu et construit, en 1989-1990, le complexe des salles couvertes du Stade international du Caire, à l’occasion de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) jouée en 1991 en Egypte. Ce même complexe a récemment accueilli la 27e édition du Championnat du monde masculin de handball. Magd Messarra, architecte, peintre et sculpteur, enseigne à l’Université Française d’Egypte (UFE) depuis 2015. Il vient de prendre part à la 6e édition du Cairo Art Fair, organisée jusqu’à fin janvier dernier par la galerie TAM sur la route désertique d’Alexandrie. Ses oeuvres architecturales se veulent assez contemporaines, tout en révélant son influence par l’ancienne civilisation égyptienne.

Né dans le quartier de Choubra, au Caire, il appartient à une famille modeste, composée d’une mère très douée pour la couture et d’un père comptable, passionné d’art. « Mon père dessinait et jouait au violon. Moi, j’adorais l’imiter. D’où mon amour pour les arts plastiques et la musique classique. Celle-ci donne une importance capitale à l’harmonie, comme c’est le cas en architecture qui cherche à atteindre une harmonie entre volume et espace », déclare Magd Messarra, ancien étudiant du collège Saint-Paul à Choubra (Frères) et du Collège de La Salle à Daher où il a passé les cycles préparatoire et secondaire, entre 1965 et 1969. « Dans le temps, Egyptiens, Grecs, Français, Arméniens et Italiens vivaient tous ensemble en paix. J’étais un enfant très timide et sensible. J’avais les larmes faciles. Une fois que j’ai changé d’école pour rejoindre le Collège de La Salle, j’ai fait la connaissance de quelques nouveaux amis plus perturbateurs. Et c’est là que j’ai acquis toute une autre personnalité. Je suis devenu beaucoup moins introverti », raconte Messarra. Passionné de sport, mais aussi d’arts plastiques, dès l’âge de 5 ans, il aimait peindre des paysages et des natures mortes. Et plus tard au collège, il a fait partie de l’équipe de volley-ball de son collège et a participé au 3e Championnat d’Egypte.

A présent, Magd Messarra peint tous les matins, vers 5h, avant de commencer sa journée de travail dans son cabinet d’architecture, à Héliopolis, ou de se rendre à l’université. Il s’enferme dans son atelier d’artiste, pas loin du siège de l’UFE, dans la nouvelle ville de Chorouq, laissant libre cours à son inspiration. « En peignant, j’écoute de la musique classique et grecque. J’ai hérité les goûts musicaux de ma grand-mère paternelle, qui était d’origine grecque. D’ailleurs, je passe la plupart de mes congés en Grèce que je considère comme une merveille du monde. J’ai des racines d’un peu partout: grecque, syrienne, russe de par mes grands-parents, et égyptienne, par mon père et ma mère », précise Messarra, qui pose régulièrement ses oeuvres sur sa page Facebook. Des peintures souvent abstraites, aux couleurs gaies, reprenant des scènes de la nature ou inspirées de son idole, l’Espagnol Joan Miro. « L’abstraction me rend plus libre d’imaginer ce que je veux, sans règles ni entraves. Je peux me permettre toutes sortes de combinaisons entre les couleurs et les formes, parfois disproportionnelles, de quoi m’ouvrir de nouveaux horizons », souligne Magd Messarra, 73 ans, tout élégant, sous son chapeau Fedora.

Il avoue être un fan de la monarchie, qui est, selon lui, la période la plus prospère de l’histoire de l’Egypte moderne. « J’ai connu l’époque royale jusqu’à l’âge de 12 ans. Dix ans après 1952, la situation était encore bien en Egypte, mais après, ce fut la détérioration dans tous les domaines, question de culture et de discipline. De nos jours, nous vivons avec l’espoir d’une vie meilleure. Personnellement, j’éprouve une grande difficulté à communiquer avec les gens dont la mentalité me choque. Je n’ai pas beaucoup d’amis, et je préfère passer mon temps avec ma petite famille, mes peintures et mes plans d’architecte », dit Messarra, qui plonge souvent dans ses livres de philosophie et d’histoire de religions. « Je crois que les trois religions monothéistes sont directement connectées aux doctrines pharaoniques de l’Egypte Ancienne; celles-ci sont à la base de toutes les religions ». D’ailleurs, ses auteurs préférés sont Abkar Al-Saqqaf, Sayed Al-Qimni, Farag Fouda et Nasr Hamed Abou-Zeid.

Titulaire en 1970 d’un diplôme en architecture de l’Université du Caire, il a commencé à travailler dans des bureaux privés d’architecture et dans le cabinet de planification et de développement urbain gouvernemental. Ensuite, il a séjourné en Pologne, en 1973, pendant un an et demi, et a obtenu un diplôme en urbanisme et design urbain, de l’Université de Szczecin. « En Pologne, j’habitais la ville de Szczecin, complètement détruite pendant la Seconde Guerre mondiale. Une ville dont les architectes ont réussi à reconstruire, grâce à leur savoir-faire. Là-bas, j’ai eu l’occasion de toucher à de grands projets et de nouvelles idées architecturales, de visiter des musées et de vivre pleinement ma passion pour l’architecture », se souvient-il.

De retour en Egypte, le jeune architecte a poursuivi son travail dans des projets de planification à Suez et Port-Saïd, deux villes détruites par les guerres consécutives. « Après le baccalauréat en 1965, j’aurais pu m’inscrire à la faculté de médecine. Néanmoins, j’ai décidé d’étudier l’architecture pour combler ma passion pour les arts plastiques. Car pour moi, l’architecture est une combinaison entre sciences et arts », affirme Messarra, soucieux de transmettre son savoir à la nouvelle génération. Il enseigne ainsi trois matières à l’Université française: la conception d’architecture, la loi de bâtir et la pratique professionnelle. « Actuellement, l’architecture est dans un état catastrophique. Les nouveaux diplômés, ainsi que les professeurs d’architecture sont souvent très pris par leurs affaires et bureaux privés et s’en fichent de tout. Le nombre d’étudiants en classe est énorme, contrairement à mon époque. J’ai eu la chance d’avoir des professeurs qui se consacraient à leur métier d’enseignant et à leurs étudiants », déplore l’académicien. Et d’ajouter : « Je conseille souvent à mes étudiants d’aimer l’art de l’architecture, qui ne consiste pas à accumuler des briques et des pierres, mais à créer une harmonie, un espace fonctionnel, économique; leurs constructions doivent être dotées d’une beauté émotionnelle. L’architecture est un jeu savant, correct et magnifique, de formes assemblées sous l’effet de la lumière. Un jeu qui doit répondre aux besoins matériels, philosophiques, spirituels, individuels et collectifs d’une société. L’architecture est un produit social basé sur une étude logique, une analyse réaliste du monde où l’on souhaite vivre ».

Ses travaux, essentiellement d’inspiration pharaonique en premier lieu, combinent architecture et sculpture, avec un cachet contemporain. Et à lui de commenter : « L’architecture est la mère de tous les arts de par le monde. Elle est née d’abord en Egypte pharaonique, puis elle a évolué avec l’art copte, islamique, etc. Il faut savoir se servir de la philosophie de toutes ces périodes passées, au profit d’une architecture égyptienne mariant tradition et modernité, en harmonie avec l’environnement dont elle est issue. C’est-à-dire une architecture connectée avec la terre », précise Messarra, épris des architectes américains Frank Lloyd Wright, Louis Kahn, Frank Gehry et du style de la célèbre Iraqienne Zaha Hadid. « Les pyramides de Guiza ont une structure triangulaire des quatre côtés, mais elle est fortement connectée à la terre, dans un enchaînement entre terre et pierre. L’architecture égyptienne est ouverte sur l’intérieur et non pas sur l’extérieur. Et ce, contrairement à l’architecture européenne dite volante. Les espaces sont normalement dotés de grandes ouvertures et de façades vitrées, qui ne sont pas recommandées en Egypte. Malheureusement, de nos jours, les nouvelles générations d’architectes égyptiens aiment imiter aveuglément la nouvelle architecture européenne et américaine ».

Tout au long de sa vie, il a été en quête de logement répondant aux besoins locaux, d’une architecture qui se plie à l’usage humain, alors, il s’est déplacé un peu partout en Egypte. Il a ainsi habité dans les quartiers de Choubra, de Moqattam, d’Héliopolis et finalement, il a atterri dans la nouvelle ville de Chorouq. « Le mont Moqattam, autrefois calme et en même temps central, a beaucoup changé; il s’est nettement détérioré. A Héliopolis, j’aimais me balader à pied, notamment du côté de Korba, mais avec le temps, c’est devenu difficile et on ne trouve plus d’endroit pour garer sa voiture. Les ponts construits récemment ont rendu la circulation plus fluide, mais on a perdu les jardins et les espaces verts ».

En 1983, Messarra avait participé à une compétition parrainée par le ministère égyptien de la Jeunesse et du Sport, pour construire un complexe de squash à Madinet Nasr, sous Moubarak. Et il a gagné le premier prix. Ce fut le complexe où s’est déroulé le Championnat du monde de squash, en Egypte, en 1985. A cette même époque, il fut nommé conseiller de l’ancienne première dame, Susanne Moubarak, pour les affaires d’architecture. Et il a gagné un autre concours, visant à bâtir des librairies pour enfants en Haute-Egypte, dans le cadre du projet La lecture pour tous, parrainé par l’ancienne première dame. Ensuite, l’architecte signa en 1989 les plans d’architecture de la Société des soins intégrés (ICS), à Héliopolis. Puis, en 1989-90, il a reçu, pour son somptueux projet architectural de la création du complexe des salles couvertes du Stade international du Caire, le Prix d’encouragement de l’Etat dans le domaine des arts et de l’architecture. « Dans ce projet, j’ai eu recours aux concepts d’architecture pharaonique, islamique, nubienne et égyptienne moderne, dans un style réinventé. C’est un joyau architectural unique en son genre dans le Moyen-Orient et en Afrique du Nord », fait-il souligner.

En 1989, il a déménagé dans son nouveau bureau spacieux à Héliopolis et a exécuté des projets importants dont l’hôtel Marriott Charm Al-Cheikh, le complexe d’habitations d’Al-Boustane (cité du 6 Octobre), le nouveau Musée royal des véhicules à Boulaq et autres. « Je n’ai jamais pensé vivre à l’étranger. Plusieurs de mes amis architectes de l’Université du Caire ont essayé de me convaincre que pour réussir ma profession d’architecte, il faut me trouver une voie ailleurs. Cependant, j’étais sûr de pouvoir réussir, tout en restant ici », conclut Magd Messarra .

Jalons :


12 mai 1947 : Naissance au Caire.
1990 et 1994 : Prix d’encouragement de l’Etat égyptien.
2020 : Certificat d’appréciation de la Société internationale des architectes.
De 2015 à présent : Professeur d’ingénierie architecturale à l’Université française d’Egypte.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique