Sa démarche est celle d’une vraie star. Il a l’une des voix et des styles musicaux caractéristiques de sa génération, celle des années 1990; ce qui l’a rendu, en quelques années de carrière, parmi les premiers artistes à avoir présenté les nouveaux genres et rythmes musicaux de la chanson moderne. Il y a juste quelques semaines, il vient de lancer quelques chansons de son nouvel album Bétaa Zamane (celui d’autrefois). Des opus entendus par des millions d’internautes après 48 heures seulement de sa sortie. « Voilà, la plus grande joie du monde c’est de retrouver mes fans et la scène musicale après une longue période d’absence, de préparations et puis d’ajournements, coronavirus oblige ! », affirme le chanteur sur un ton plein de gaieté, de celui qui parle de son grand amour. « J’ai passé des années à préparer et choisir les chansons avec lesquelles refranchir la scène, aujourd’hui pleine de nouveaux noms et de différents genres et styles musicaux qui divisent le public, ce que je trouve normal avec les mutations sociales dont le monde a témoigné pendant les quelques dernières années. Moi, j’ai essayé de m’exprimer à ma façon, sans être influencé par ce qui peut attirer une grande tranche du jeune public actuel; c’est pourquoi même j’ai choisi le titre Bétaa Zamane (celui d’autrefois) pour exprimer le goût et le style dominant de mon nouvel album », dit-il.
S’il existe des artistes doués en fait au tarab (chant classique) contemporain, Mohamad Mohie mérite d’être cité parmi les premiers. Sa musique mêle à la fois les maqamate arabes à la musique pop. Il possède plus qu’une simple voix caractéristique, ses paroles sont toujours habilement assorties et sa musique renforce bien son style propre à lui.
Mais qui a un jour cru que ce petit, né en 1970 au quartier populaire de Choubra, était promis à un destin aussi estimable? « Moi non plus, je n’y croyais pas », affirme Mohamad Mohie, sur un ton plein de modestie. « Je n’ai rêvé un jour ni de devenir une telle célébrité, ni d’avoir autant de succès, mais une fois chanteur, j’ai senti que je ne rêvais que de ce que j’ai réalisé ! ».
Pour Mohie, de son vrai nom Mohamad Mohieddine Mohamad Khalifa, tout a commencé par un amour fou pour la musique. C’est sa mère, mélomane elle aussi, qui a pris conscience du don de son fils, et a cherché à l’initier au chant. Très tôt, le petit Mohamad s’essaie à la chanson. Dans certaines occasions familiales, il chante parfois devant un public, ce qui a offert au petit une certaine confiance. Encouragé par sa famille et ses amis, il a commencé à étudier les maqams musicaux (rythmes et genres musicaux) à l’Institut de la musique arabe, tout en terminant ses dernières années d’étude à la faculté du tourisme et de l’hôtellerie.
Trois rencontres déterminent la vie et la carrière de Mohamad Mohie. Tout d’abord, celle avec Hossam Hosni, ce chanteur, compositeur et arrangeur musical, très célèbre à l’époque, juste aux débuts des années 1990, par plusieurs tubes et ses chansons berçant entre le pop et le folk avec des rythmes nouveaux qui plaisaient aux jeunes. Celui-ci, étant son voisin à Choubra, lui offre sa première chance de participer à l’exécution et l’enregistrement de ses chansons, mais parmi le chorus de sa troupe musicale. « Une expérience qui m’a beaucoup servi au début et par laquelle j’ai pu voir ce monde des studios, des chansons et de la production musicale de près », raconte Mohie. « J’ai essayé alors de profiter au maximum, de voir et noter tout ce que j’apprenais à l’époque ». Lors de l’enregistrement de l’une des chansons de Hossam Hosni, le chanteur, guitariste et arrangeur musical Ahmad Al-Guébali, héros de sa deuxième rencontre fatale, était présent par hasard dans le même studio. Il s’est approché de lui, alors que ce dernier était en train de chantonner un couplet d’une chanson d’Oum Kalsoum, il a apprécié le timbre de sa voix et sa technique de chant et lui a demandé d’aller le lendemain le voir dans ce même studio, où il enregistrait lui aussi les chansons de son nouvel album. Une rencontre dont le fruit était un duo bien réussi, donné parmi la liste des tubes de l’album de Guébali Ragea Tani (de retour), sorti en 1990.
Sa troisième rencontre historique? C’est celle avec son idole, le pionnier de ce qu’on appelait à l’époque Al-Oghniya Al-Chababiya (genre des chansons fort appréciées par les jeunes) : le célèbre chanteur et compositeur musical Hamid Al-Chaéri. Ayant toujours le hasard de son côté, il le rencontre toujours dans l’un des studios. « Cette fois-ci, j’ai pris l’initiative d’aller le saluer, de lui exprimer ma grande estime envers lui et de lui demander d’entendre ma voix. C’est Hamid, et qui pouvait mieux que lui m’évaluer, me guider et me donner conseil ? », avoue Mohie.
Un seul couplet suffisait pour qu’Al-Chaéri admire le chant de cette nouvelle voix et décide de le présenter parmi les jeunes chanteurs de l’album-collection High Quality sorti en 1990. « C’était mon premier grand écart et le vrai début de ma carrière », affirme-t-il sur un ton plein de modestie. « Ma chanson Al-Bal wal Khater (toujours souvenu) dans cet album a rencontré un grand succès, lui offrant l’opportunité d’être écouté par le large public de Hamid et des célèbres chanteurs prometteurs de l’époque ».
Une fois les dés jetés, cette même boîte de production de cassettes High Quality lui a produit en 1991 sa première cassette, intitulée Ana Habbeit (je suis tombé amoureux). Le grand succès du tube auprès des jeunes, et surtout de cette voix assez caractéristique et unique à l’époque, a encouragé le producteur à signer un contrat avec Mohie pour présenter cette voix controversée dans un second album, Leih Al-Habib (pourquoi, mon bien-aimé), en 1992. Un opus qui n’a pas raté son trajet, menant ce nouveau venu à la scène musicale égyptienne vers le top du box-office, et pour devenir l’une des stars de la chanson des années 1990.
« Le succès de mes deux premiers albums m’a vraiment surpris, surtout qu’ils ont été lancés à un moment où la scène musicale égyptienne et arabe regorgeait de grands noms et de voix qui présentaient tous les genres musicaux, souligne Mohamad Mohie. Il paraît que le public a senti la nouveauté et la sincérité de ce que je présentais, et c’était là le pari que j’ai lancé: le goût des auditeurs ».
Sa popularité s’est doublée en 1992 grâce au duo avec la chanteuse Hanane Madi, sur la musique signée Yasser Abdel-Rahmane dans la pièce de théâtre Taër Al-Hob Al-Gamil (oiseau du bel amour).
Mais, ce n’est qu’en 1993 que se produit ce que le chanteur appelle « un atterrissage réussi » : la sortie de son album Aatbak Ala Eih (que dois-je te reprocher). Dès lors, sa carrière prend littéralement son envol. La bonne chanson, au bon moment, interprétée par une bonne voix, cela a donné un méga-tube qui s’est vendu à quelques dizaines de milliers d’exemplaires en quelques semaines. Le succès fut alors foudroyant pour ce jeune de 23 ans.
Très talentueux, assez sélectif, c’est une star qui monte. La prouesse musicale de Mohie tient en fait d’un réel talent. Jamais dans le stéréotype d’une musique trop traditionnelle ou « démodée », mais restant moderne tout en restant fidèle à ses origines, et en y intégrant ses goûts personnels. « Mohie a réussi à créer une musique qui lui est absolument propre: anticonformiste et délectable », voyait le compositeur musical Mohamad Diaeddine.
D’un album à l’autre, le conte de fées commence. On connaît toujours à Mohamad Mohie de beaux airs d’amour, d’émouvantes paroles et des mélodies bien travaillées, dont Roh Albi (mon bien-aimé), Aghla Al-Nass (mon très cher), Ya Hawa (ô amour) , mais surtout Habbeina (on a aimé) et Leih Beyfakkarouni (pourquoi ils me font rappeler), devenus rapidement des opus et un carton.
Toutefois, sa chanson Charie Al-Hawa (rue de la passion) a soulevé un grand débat, mais pour ceux qui le connaissent, Mohie n’en fait qu’à sa tête.
« Relatant l’histoire d’un jeune homme qui, en se promenant avec sa petite amie, rencontre par pur hasard sa petite soeur, se promenant elle aussi avec son petit copain dans la même rue: rue des amoureux. A travers un dialogue, il exprime son dilemme intérieur, d’être choqué et fâché de sa soeur pour le fait qu’elle vit une relation sentimentale en secret, alors que lui, il fait la même chose », explique Mohie. « Je me souviens bien que j’ai appelé le grand chanteur Mohamad Mounir pour lui demander son avis avant de présenter cette chanson. Lui, il m’a conseillé de ne jamais présenter de tels sujets délicats et controversés; toutefois, j’étais épris de l’idée tellement nouvelle de la chanson. J’ai pris alors la décision de la chanter, et c’était le grand succès ! », ajoute Mohie sur un ton plein de fierté.
Ses deux albums suivants, Soura we Damaa (une photo et une larme) et Ader we Teamelha (assez audacieux pour faire ainsi), avec trois ans d’absence et de préparations pour la sortie de chacun, ont pu sauvegarder le crédit de Mohie chez ses fans. De nouvelles aventures, de nouveaux styles musicaux, surtout Ader we Teamelha que tout le monde fredonnait à l’époque, et qui a offert à son chanteur le surnom Malek Al-Ahzan (roi des chagrins), d’après les critiques.
La plupart des chansons de Mohamad Mohie sont un mélange de style oriental et de rythme arabe. Il n’hésite pas à visiter le folklore pour le présenter et représenter en d’autres rythmes ou façons musicaux, mais qui sont toujours du goût oriental et authentique. C’était certes le style dominant de son album Mazloum (opprimé), sorti en 2008.
Sans être une voix exceptionnelle, il faut le dire, tout en laissant diviser le public, Mohamad Mohie a su imposer son nom sur la scène musicale grâce au choix d’un style de chanson qui lui est convenable.
Ce qui plaît en fait chez Mohamad Mohie, c’est sa constance, sa fraîcheur et sa simplicité qui sont sa marque de fabrique et qu’on retrouve dans toutes ses chansons et ses apparitions sur l’écran ou sur scène. Sa voix inimitable et son énergie étaient toujours à la mesure de son talent. « J’ai beaucoup à apprendre et je veux m’améliorer, mais je tâche toujours à ce que mes oeuvres correspondent le plus possible à mon style », confie-t-il, prouvant qu’il ne parle que de son travail. Quand on lui demande quelle est sa devise dans la vie, il répond spontanément: « Il faut toujours écouter sa voix intérieure! La vie, c’est comme une pièce de musique: on doit l’écouter attentivement et plonger dans ses idées si jamais on veut la sentir ».
Dans la réalité comme dans ses chansons, sa mélomanie et sa voix attirante sont ses atouts les plus prisés malgré une certaine timidité qui pour d’aucuns caractérise ses conversations. « Je ne suis pas sociable, peut-être par timidité mais non pas par orgueil comme le supposent certains », avoue-t-il. « Je ne suis pas du genre de me pousser pour plaire aux autres contre ma nature et mon caractère. On ne me voit pas beaucoup loin du champ de mon travail, et pour moi, la vie idéale est dans mon travail ».
Côté vie privée: pourtant, rien ne change vraiment. Se donnant sans concession à son art, il paie cher cette dévotion. Le chanteur de l’amour n’a pas encore trouvé sa bien-aimée, mais avoue être déjà tombé amoureux quelques fois sans succès. « C’est souvent commun que celui qui offre la chose aux autres ne la possède pas », explique-t-il. « Je ne suis pas chanceux dans ma vie sentimentale, j’ai passé de longues années à chercher l’amour et la fille qui me comprend et je suis sûr que je la trouverai un jour ! ».
Son but ultime? « Personne ne sait précisément qui étaient Mohamad Fawzi, Kamal Al-Tawil ou Baligh Hamdi, je souhaite produire un jour des oeuvres qui présentent honnêtement ces légendes aux nouvelles générations ».
Travail et grande famille ont l’air d’être les maîtres mots de ce mélomane. Son intelligence artistique fait de lui un personnage peut-être un peu fin, mais, toutefois, fort exalté de ses fans. Que de la musique et du bonheur en perspective !.
Jalons
1970 : Naissance au quartier de Choubra au Caire.
1990 : Début de sa carrière professionnelle.
1991 : Sortie de son premier opus, Ana Habbeit.
2000 : Participation à l’opérette Al-Qods Hatergaa Lana (Jérusalem sera de retour aux Arabes).
2020 : Sortie de sa nouvelle chanson, Sahranine (vigiles).
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