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François Koussaifi : A l’image de saint François d’Assise

Mireille Bouabjian, Mercredi, 23 décembre 2020

Le Révérend Père Capucin François Koussaifi, de l’Ordre des Frères mineurs du Liban, est un bel exemple de la tolérance et de l’esprit de Noël. Il remplit sa mission avec une grande humilité et une joie sans pareille.

François Koussaifi

C’est un homme de pensée et d’action. Pétri et imprégné très tôt de la spiritualité de saint François d’Assise, fondateur de l’Ordre des Frères mineurs, Père François Koussaifi, 56 ans, calque sa vie sur celle de son saint patron. Celui-ci a prôné, depuis plus de 800 ans, l’amour, la paix et la fraternité universelle. Des règles de vie trop souvent bafouées, alors qu’elles s’imposent impérativement aujourd’hui plus que jamais.

A la Maison Saint-François des Pères Capucins à Mtayleb, dans le Metn (district du gouvernorat du Mont-Liban, à l’est de Beyrouth), les frères remplissent leur mission avec une grande humilité et une joie sans pareille. Père François Koussaifi est l’un d’entre eux. Il s’attache lui aussi à accomplir sa mission à la perfection, et son espoir en un lendemain meilleur est remarquable. Offices religieux, groupes de formation et autres activités sont organisés au couvent. De plus, Père François visite régulièrement les familles défavorisées et les malades et oeuvre inlassablement à cultiver son esprit, mais aussi la terre à laquelle il accorde avec les frères une partie de son temps.

« La culture de la terre n’est pas nouvelle dans l’histoire des Capucins », précise Père François. Et d’ajouter : « Leur installation au Liban remonte à l’an 1626, lorsque l’émir Fakhreddine el Maan, qui étudiait en Toscane (Italie), fit leur connaissance et les invita à venir au pays. En 1645, son petit-fils, l’émir Melhem, leur offrit le couvent de Abey, caza d’Aley du Mont-Liban, avec pleine liberté d’apostolat. Ils avaient pour mission d’assurer l’instruction religieuse, l’éducation, les soins médicaux et la culture de la terre ».

Au fil des ans, les Pères Capucins étendirent leur présence au Liban en construisant des églises et écoles à Beyrouth et à Batroun. La Cathédrale Saint-Louis est construite en face de la porte, appelée toujours Bab Idriss, la paroisse Saint-François à Hamra, Notre-Dame des Anges à Badaro, l’école Saint-Joseph à Batroun et la Maison Saint-François à Mtayleb.

Fidèles à la tradition, les Capucins vivent chaque année des moments forts à l’occasion de Noël, marqué par de belles célébrations. Mais avec la pandémie du coronavirus qui sévit au Liban et dans le monde entier, ajoutée à la crise sociopolitique et économique gravissime qui frappe le pays, la fête de Noël semble cette année bien loin d’être joyeuse. « Il me semble que la célébration de Noël cette année ressemble à celle de saint François à Greccio, où il a rendu présente la scène de la Nativité du Christ en réalisant une crèche vivante dans la grotte », explique le Père François.

C’était en 1223, au retour de l’Orient, où saint François désirait célébrer Noël à Bethléem où Jésus est né. Ayant vu une ville dont le nom était Greccio, il a dit : « C’est Bethléem et je veux célébrer cette année Noël dans cette grotte ». Le saint demanda d’y installer une mangeoire remplie de foin et de faire venir un boeuf et un âne, pour que la scène soit semblable à la crèche où est né Jésus. Les habitants de la ville entourèrent les frères et les assistèrent à la messe de minuit. « Ils étaient si nombreux avec leurs cierges et leurs lanternes, que le bois était éclairé comme en plein jour », poursuit Père François. La messe était célébrée au-dessus de la mangeoire qui servait d’autel. Tout à coup, saint François vit un petit enfant endormi dans la mangeoire. Le prenant dans ses bras, l’enfant s’éveilla, sourit au saint, caressa ses joues et saisit sa barbe avec ses deux mains. « On comprend de cette histoire que Jésus semblait endormi dans le coeur des hommes et que saint François l’avait réveillé au niveau de la foi, en mettant en pratique la bonne parole et en faisant des actes de charité envers les nécessiteux. Depuis, les chrétiens ont perpétué la tradition de faire la crèche ou Greccio, dans les églises, dans les maisons et le plus important, dans leurs coeurs ».

La vocation religieuse du Père François remonte à son enfance. « Je viens d’une famille croyante et pratiquante », affirme-t-il. « Je sentais que j’avais la vocation depuis ma première communion (8 ans), que j’ai vécue comme un moment très fort. Et comme mon prénom était François, quelque chose m’attirait vers la spiritualité franciscaine surtout que ma soeur et ma tante étaient des Soeurs Franciscaines de la Croix ».

A 13 ans donc, il fait son entrée à l’école séraphique, passe trois ans d’études complémentaires, le noviciat, les études secondaires, suivies de trois années d’études philosophiques et théologiques à l’Université du Saint Esprit Kaslik, USEK, intercalées d’une année pastorale à Deir Al-Zor et la région de Mésopotamie. En 1995, il fait à Rome une spécialisation en liturgie et musique sacrée.

« Mes études terminées, reprend le Père François, j’ai servi une dizaine d’années à Dubaï, puis j’ai été nommé curé de la paroisse Saint-François à Hamra et la Cathédrale Saint-Louis à Bab Idriss ».

De ces dix années passées à Dubaï, Père François garde des souvenirs mémorables « J’étais nommé à Dubaï, mais en fait j’oeuvrais dans tous les émirats du nord, Dubaï, Sharjah, Ras Al-Khayma, Oum Al-Kiwan, Fujairah et Ajman. La mission était énorme et les fidèles étaient assoiffés de la parole de Dieu. Cela me donnait l’enthousiasme de travailler parfois sans arrêt, comme on dit jour et nuit », dit-il.

Père François a trouvé magnifique son expérience passée là-bas, aux Emirats arabes unis, notamment avec Mgr Bernard Gremoli. « Nous avons construit plusieurs églises : l’église Saint-François d’Assise à Jabal Ali, celle de Saint-Antoine de Padoue à Ras Al-Khayma, avec un grand miracle que personne ne connaît, et l’église Notre-Dame du Perpétuel Secours à Fujairah. Celle-là aussi et certainement parlant, il y avait la main de Dieu qui travaillait », se rappelle-t-il.

En février 2019, le pape François visite les Emirats arabes unis, pour la première fois, à l’occasion du Congrès interreligieux auquel il a été convié. « La visite coïncidait avec le 8e centenaire de la rencontre, en 1219 en Egypte, de saint François d’Assise avec le sultan Al-Malik Al-Kamil Nasreddine, le Parfait », précise Père François. Ce voyage était porteur d’un message très clair, du titre qu’il a choisi pour la visite. Il est tiré d’une prière du saint intitulée : « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix ». Elle recommande « là où est la haine, que je mette l’amour ; là où est l’offense, que je mette le pardon ».

« Le pape, souligne Père François, a été convié à ce congrès parce que, en l’un de ses discours, il a séparé entre le terrorisme et l’islam. Il l’a fait au moment où la plupart des responsables et plein de discours confondaient entre l’islam en tant que religion et le terrorisme ».

Mais si en 2019, le voyage du pape a été considéré comme historique, comment pourrait-on alors qualifier la rencontre en Egypte, 800 ans plus tôt, entre le sultan Al-Malik Al-Kamil et François d’Assise ? « Nous avons de cette rencontre tant de témoignages positifs en faveur de saint François, considéré comme le précurseur du dialogue interreligieux », répond Père François. Et d’ajouter : « Le saint a tant rêvé de vivre une fraternité universelle désirant ardemment tisser des liens d’amitié avec les musulmans pour bâtir la paix. La rencontre s’inscrit donc dans une volonté de réconciliation et de paix ».

S’exposant courageusement à tous les dangers et risquant sa vie, François d’Assise s’est rendu chez le sultan. Là, il devait justifier la raison de sa venue et à quel titre il l’a fait. Il a alors déclaré avec assurance qu’il avait été envoyé d’au-delà des mers non par un homme mais par le Dieu Très Haut. Le sultan l’écouta avec plaisir et lui demanda de prolonger son séjour.

« Ce souvenir fut peut-être décisif lorsque dix ans plus tard, alors qu’aucune force ne l’y contraignait, le sultan rendit Jérusalem aux chrétiens », souligne Père François. Avant de conclure: « Ce que les armées venues d’Europe n’avaient pas pu obtenir, le sourire de François, sa douceur dans l’expression de sa foi sans limite, l’intelligence et la tolérance du sultan Al-Malik Al-Kamil ont permis de le faire ». Une belle leçon d’histoire.

Jalons

20 octobre 1964 : Naissance à Beyrouth.

1993 : Ordonné prêtre à Notre-Dame des Anges, Badaro.

1995 : Spécialisation en liturgie et musique sacrée à Rome.

1999-2001/2004-2011 : Service à Dubaï.

2011-2016 : Curé de la paroisse Saint-François Hamra et la Cathédrale Saint-Louis Bab Idriss.

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