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Samira Abdel-Aziz : De comédienne à sénatrice

Yasser Moheb, Mardi, 24 novembre 2020

En plus de 55 ans de carrière, la comédienne Samira Abdel-Aziz a réussi à s’attirer le respect de milliers de spectateurs de par le monde arabe. Elle a été nommée en octobre dernier par le président égyptien comme membre du Sénat.

Samira Abdel-Aziz

Sa voix est familière à tous ceux qui ont l’habitude de suivre les émis­sions radiophoniques égyptiennes. C’est elle qui adresse, depuis 1974 et jusqu’à présent, les questions au philo­sophe, à travers le fameux programme quoti­dien Qala Al-Faylassouf (le philosophe a dit). Portant un masque médi­cal, munie d’un flacon de gel désinfectant, elle porte toujours le noir, 3 ans après le décès de son mari, le célèbre scénariste Mahfouz Abdel-Rahman. « A mon âge, le temps n’est plus compté en années et en semaines, mais en heures. C’est évident, je ne dispose plus d’un million d’heures. Donc avec l’âge, on tient à chaque seconde », précise la comé­dienne, très ponctuelle. A 75 ans, elle vient d’être nommée comme sénatrice. C’est la seconde comédienne, après Amina Rizq, à avoir eu cet hon­neur. « C’était une belle sur­prise, surtout que je ne m’intéresse pas trop à la politique; par contre, je suis immodéré­ment attachée à tout ce qui est en lien avec ma patrie. Je suis ravie de représenter tous les Egyptiens au Sénat, et surtout mes collè­gues artistes », affirme-t-elle, tout en expri­mant sa joie d’être placée au même rang que la « dame légendaire du théâtre égyptien », Amina Rizq. « Nombreux sont les artistes invités partout dans le monde à l’arène légis­lative, mais très peu sont ceux qui ont été influents. Moi, j’espère faire partie de ces derniers, sinon je laisserai cette chance à quelqu’un d’autre, qui pourrait être plus utile », ajoute-t-elle.

Physiquement, Samira Abdel-Aziz n’a pas vraiment changé au fil des ans. Elle a tou­jours le même air, la même fraîcheur, avec un regard vigilant qui capte tous les détails. Plutôt sympathique, elle est bien appréciée et respectée de son entourage. Et sa pensée s’éclaircit lorsqu’elle se sent comprise.

Avant de devenir l’un des grands noms de la radio et du théâtre égyptiens, Samira Abdel-Aziz, cette Alexandrine née en 1945, était la fille aînée d’un professeur de mathé­matiques. Elle a grandi au sein d’une famille de la classe moyenne et rien ne la prédestinait réellement à mener une carrière artistique. Après le baccalauréat, la jeune demoiselle rêvait pourtant d’être actrice. Son père vou­lait qu’elle devienne avocate ou comptable. C’est pourquoi elle a passé ses études univer­sitaires à la faculté de com­merce, tout en faisant partie de la troupe du théâtre universi­taire. « Ce fut le coup de foudre, en jouant sur les planches. J’ai bien aimé les détails de la profession, le public. En parallèle, je me sentais éprise d’un autre monde où j’ai trouvé ce que je cherchais: la radio », se sou­vient la comédienne chevron­née.

Un jour, l’animateur-radio alexandrin Hafez Abdel-Wahab avait assisté à l’une des pièces où elle jouait, au théâtre de l’Université d’Alexandrie. Attiré par le timbre posé de sa voix et par sa prestation spontanée, il lui a proposé de jouer dans des séries radio. Ainsi, elle a entamé sa longue carrière à la radio. A sa troisième année d’études universitaires, elle a connu un véritable tournant. « J’ai tenu le rôle d’une mère, dans la pièce intitulée Al-Mofattech Al-Ame (l’inspecteur général), un rôle qui m’a valu le grand prix de l’uni­versité, décerné par le chef de l’Etat à l’époque, le président Gamal Abdel-Nasser », raconte-t-elle. Et de poursuivre: « Etant donné que mon père fut un fervent nassérien, il était fou de joie une fois que je lui ai dit que c’était Nasser qui m’a accordé le prix. Il m’a autorisée alors à devenir comédienne puisque Nasser s’intéressait à l’art et honorait les artistes; il m’a même demandé si c’était possible de m’accompagner pour voir son idole de près ».

Puisqu’un bonheur ne vient jamais seul, le comédien et metteur en scène Karam Motawie, en visite à Alexandrie, a remarqué Samira qui participait à la pièce Siret Al-Fata Hemdan (biographie du jeune Hemdan), avec la troupe théâtrale d’Alexandrie, formée par le ministère de la Culture. Une fois le spec­tacle terminé, le metteur en scène l’a saluée, lui proposant d’aller au Caire et de prendre part à sa pièce en préparation : Watani Akka (ma patrie, Acre). Elle y a interprété le rôle d’une jeune fille palestinienne.

D’un succès à l’autre, son père lui a permis, en 1970, d’aller vivre au Caire chez sa soeur Nadia, professeure à la faculté de pédagogie musicale. Elle enchaîna les rôles, par la suite, s’attira la jalousie des uns et des autres, parmi ses collègues. « Je me souviens toujours de la sym­pathie que me témoignait la grande dame du théâtre arabe Samiha Ayoub. Elle empêchait les autres de me taquiner, puisque certaines jeunes actrices me prenaient pour intruse ou une intrigante qui est venue voler les rôles prin­cipaux », avoue-t-elle.

Toutefois, elle n’a pas renoncé un instant à sa passion pour la radio. En quittant Alexandrie, elle a demandé une lettre de recommandation à son ancien mentor Hafez Abdel-Wahab, pour l’introduire à la Radio du Caire. « La lettre qu’il a adressée à Mohamad Mahmoud Chaaban — dit Papa Charo— ne renfermait qu’une seule phrase: Je t’offre une belle voix cultivée », se souvient-elle. Le directeur de la radio a accepté qu’elle anime avec lui son programme hebdomadaire Amaken Laha Tarikh (des lieux ayant une histoire), puis il lui a offert un jour la chance de sa vie, à savoir l’émission quotidienne Qala Al-Faylassouf (le philosophe a dit). Une émission qui lui a valu un grand succès depuis plus de 40 ans.

Le style est donc lancé, et le public s’ac­croche d’abord à sa voix, ensuite se familia­rise avec son physique reposant, lorsqu’elle a commencé à jouer dans les séries télévisées dans les années 1970. Car elle s’est vite fait remarquer à travers les feuilletons Sayédati Anéssati (mes dames et mes demoiselles) et Afwah wa Araneb (bouches et lapins) puis, dans les années 1980, dans Hikayate Howa wa Hiya (lui et elle) ou Mohamad, ya Rassoul Allah (Mohamad, prophète et messager d’Al­lah). Ses débuts au cinéma étaient plutôt tar­difs, il fallait attendre les années 1990 pour qu’elle décroche un rôle dans Eedam Qadi (exécution d’un juge) et Awlad Dorgham (les fils de Dorgham). Puis, on a pu la voir dans des dizaines d’oeuvres, toutes d’un certain niveau.

Exigeante, elle ne se fige pas dans un rôle, mais bourlingue. Elle tient la barre très haut, toujours fidèle à ses propres convictions. Pour tous ceux qui la connaissent, Samira Abdel-Aziz n’en fait qu’à sa tête. Elle se vante de ne suivre que ce qui lui plaît, sinon c’est le refus total et décisif. Au fur et à mesure, elle fut surnommée la « mère des Grands », car elle a incarné sur écran la mère de quelque 10 grands noms de l’Histoire dans de différents domaines, dont Moïse, Al-Imam Al-Chaféï, Al-Imam Ibn Hanbal, Al-Imam Al-Termozi, Al-Imam Al-Maraghi, le cheikh Mohamad Metwalli Al-Chaarawi et les légendes de la musique arabe: Sayed Darwich, Oum Kalsoum et Mohamad Abdel-Wahab. « C’est pourquoi j’ai refusé de jouer la mère d’un baltagui (truand) incarné par le comédien Mohamad Ramadan, dans son feuilleton Ibn Halal. De quoi avoir suscité une vague de critiques et soulevé la colère des fans de Ramadan, mais moi je suis convaincue que j’ai le droit de refuser de jouer dans un contexte pareil », explique fermement la comédienne.

Après une expérience de mariage vouée à l’échec, pen­dant ses années d’études uni­versitaires, elle a trouvé sa consolation en la présence de sa fille unique Manar, puis ce fut le paradis émotionnel, une dizaine d’années plus tard, en 1983, en rencontrant l’homme de sa vie, Mahfouz Abdel-Rahman. Cela s’est passé lorsqu’elle participait à une pièce de théâtre, écrite par ce dernier, laquelle fut présentée en Tunisie. Là-bas, le couple décide de se marier, avant même de rentrer au Caire.

Leur mariage a duré 34 ans, pendant les­quels ce couple a fondé un foyer des plus stables, sans grandes vagues, jusqu’à la mort de Mahfouz en 2017. Chacun d’entre eux s’est contenté de la fille qu’il a eue de son premier mariage, et tous les deux ont réussi à mener « une vie familiale simple, tout à fait loin de l’extravagance des artistes qui aiment souvent vivre entre eux ».

A chaque minute de la conversation, on découvre une femme riche par sa culture, par ses histoires et son côté humain. Elle se pré­pare à de nouveaux feuilletons, tout en s’ar­rangeant pour mener à bien son parcours de sénatrice.

Samira Abdel-Aziz est plus que jamais une artiste entière. A son âge, elle ne cesse de rêver d’interpréter de nouveaux rôles et de servir la communauté, faisant preuve de constance, de sérénité et d’autosatisfaction l

Jalons

1945 : Naissance à Alexandrie.

1968 : Gamal Abdel-Nasser lui accorde le grand prix du théâtre universitaire.

1970 : Arrivée au Caire.

1974 : Début de l’émission radio Qala Al-Faylassouf (le philosophe a dit).

1983 : Mariage avec le scénariste et dramaturge Mahfouz Abdel-Rahman.

2020 : Participation à la pièce de théâtre Khébetna (notre désenchantement).

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