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Onsi Abou-Seif : Designer d’espaces magiques

May Sélim, Mercredi, 18 novembre 2020

Le chef décorateur et scénographe Onsi Abou-Seif est un passionné du cinéma et de ses coulisses, ayant à son actif une riche et longue carrière. Le Festival du film d’Al-Gouna vient de lui rendre hommage.

Onsi Abou-Seif
(Photo : Yasser Shafiey)

Il répète souvent à ses collègues et amis qu’il ne sait ni parler ni raconter de belles choses, parce qu’il s’exprime mieux par ses sketchs. Or, en réalité c’est un conteur exceptionnel, qui a beaucoup d’hu­mour. Un homme très modeste, ayant à son actif plus de 50 ans de carrière et une quarantaine de films. Onsi Abou-Seif a bien marqué l’histoire du cinéma égyptien. Il vient d’être hono­ré, le mois dernier, au Festival du film d’Al-Gouna, pour l’ensemble de son oeuvre. « Les directeurs du festival, Intishal Al-Timimi et Amir Ramsès, m’ont contacté et ont tenu à exposer mes sketchs pour l’occasion. La sélection était difficile à faire, alors je leur ai proposé d’emporter tout ce qu’il y avait dans mon atelier et de choisir eux-mêmes », dit-il en riant.

Ainsi, un tas de petits objets a fait partie de l’exposition qui a eu lieu pendant le festival, à l’Université TU Berlin à Al-Gouna : des esquisses, des croquis bouts de papier, des médailles, des trophées, des prix, etc. « Grâce à Dieu, durant l’exposition, certains croquis au crayon étaient placés dans des boîtes en verre, sinon les gens allaient découvrir que je dessine par­fois sur les pages des scénarios mêmes », plaisante-t-il. Cette exposi­tion rétrospective dédiée au magi­cien-décorateur a été conçue par Karim Mekhtigian, offrait un bref aperçu d’une carrière extrêmement riche. « Plusieurs galeries d’art au Caire ont voulu organiser des exposi­tions similaires, mais je trouvais que ce genre de dessins ne peut être apprécié à sa juste valeur que dans un contexte en lien avec le cinéma. L’exposition a réussi à miroiter les coulisses du cinéma, loin de tout apparat. C’est la cuisine cinéma­tographique qu’elle révélait au public », estime Abou-Seif.

Originaire de la ville de Kom Ombo, en Haute-Egypte, Abou-Seif était de tout temps fasciné par les styles architecturaux variés de sa ville natale. « Celle-ci était connue comme étant une ville indus­trielle dans laquelle on a construit l’usine du sucre, que dirigeaient des Anglais et des juifs d’Egypte. Des ouvriers d’un peu partout venaient y travailler. Chaque communauté avait construit ses maisons dans un style particulier. Les images des différents styles d’architecture et des habitants m’ont beaucoup touché. Chaque espace révélait une histoire, une culture, un monde distinct », se sou­vient-il. Ces images ont été gravées dans sa mémoire et parfois, il se contente de les reproduire à son aise en dessinant les sketchs des différents décors.

Enfant, il aimait bien dessiner, au lieu de se pencher sur ses études et ses devoirs scolaires. Il s’était abonné au ciné-club de la ville et regardait des films régulièrement. « Ma famille appartenait à la bourgeoisie. Notre maison familiale était à proximité de l’unique salle de cinéma. J’entendais le dialogue des films tout le temps chez moi. Mes amis et moi-même, nous restions sur la terrasse, faisant semblant de dormir, mais en réalité nous récitions les dialogues des films que nous connaissions par coeur », raconte le chef décorateur. A l’époque, le cinéma était leur principal moyen de divertissement, mais Abou-Seif n’imaginait guère appartenir à ce monde. « A l’école, j’aimais égale­ment le théâtre. Je ne savais pas que le monde du cinéma allait m’ensorceler ».

Le baccalauréat en poche, il était évident que le jeune Abou-Seif allait se joindre aux beaux-arts. Quelques mois plus tard, l’Institut supé­rieur du cinéma a ouvert ses portes pour accueillir une pre­mière promotion. « J’ai décidé alors d’abandonner les beaux-arts, pour effectuer des études de décor et de scénographie à l’Institut du cinéma. Et dans ce département, l’architecture et son histoire faisaient partie des matières enseignées. A l’époque, chaque département de l’institut n’acceptait qu’une dizaine d’étudiants ».

A l’institut, il a rencontré l’archi­tecte, décorateur, designer et réalisa­teur hors pair, Chady Abdel-Salam, qu’Onsi considère comme son vrai mentor. « A la deuxième année d’études, Chady Abdel-Salam était l’un de mes professeurs. Il encoura­geait notre promotion à venir s’en­traîner dans son bureau à Zamalek. Toute la promotion de la section décor avait donc la chance inouïe de passer un stage avec Chady Abdel-Salam et de rencontrer aussi son ami et collègue, le décorateur et scéno­graphe Salah Mareï ». Encore étu­diant, Onsi a participé au chef-d’oeuvre de Abdel-Salam, La Momie. « J’étais l’un des assistants de Salah Mareï et mon travail consistait à reproduire des sketchs du Musée égyptien, notamment des détails de cercueils, des ornements et des acces­soires utilisés en l’Egypte Ancienne. J’ai appris de Chady à bien observer et à voir la beauté de tout ce qui paraît assez laid, au départ. Et de Salah, j’ai appris comment faire res­sortir cette beauté. J’observais de près comment Mareï jouait avec les différents matériaux et colorait les scènes du film suivant les différentes nuances du sable ». Depuis, les trois créateurs sont devenus des insépa­rables. Quelques années plus tard, le trio s’est engagé aussi dans la prépa­ration du film Akhenaton qui n’a jamais vu le jour à cause de la mort de Abdel-Salam.

Appartenant à la promotion de 1967, Onsi avouait ne pas être un nassérien et n’avoir aucun intérêt poli­tique. Pourtant, la défaite du 5 Juin de la même année l’a bien secoué. « Je suivais les informations concernant la guerre comme tous les citoyens. Mes amis et moi, nous restions jusqu’à l’aube à l’institut, dessinant les avions de chasse de notre armée. J’avais cru qu’on allait nous en sortir vainqueurs, mais le 5 juin les mensonges ont été révélés et on a vu la réalité au grand jour. Quelques années après, la mort de Nasser m’a fortement touché. C’était bizarre, la figure du leader avait disparu », avoue-t-il.

Malgré les circonstances de la défaite, Onsi Abou-Seif ne s’est jamais livré à la déception. Il s’est lancé dans le travail et a découvert d’autres mondes cinématographiques. Un an après avoir été diplômé, le réa­lisateur de renom Tawfiq Saleh l’a choisi pour concevoir le décor de son long métrage Un substitut de cam­pagne en Egypte, d’après l’oeuvre de Tawfiq Al-Hakim. « Saleh a vu mon projet de fin d’études à l’Institut du cinéma. J’avais choisi de travailler sur le décor de l’oeuvre shakespea­rienne Othello. J’avais résumé la mort des protagonistes dans la chambre de Desdémone par un sketch coloré, transformant cet espace en un cimetière symbolique. Il m’avait dit alors : c’est ça le cinéma et il m’a ensuite proposé de faire partie de son équipe ». Débuter sa carrière pro­fessionnelle avec de grands réalisateurs, tels Chady Abdel-Salam et Tawfiq Saleh, l’a poussé à avoir un goût très sélectif.

Il part toujours du principe qu’un décorateur et scénographe doit prendre son temps et accepter de tra­vailler uniquement quand il se sent engagé dans une nouvelle aventure. « J’aime dessiner, mais je suis un homme paresseux. Se mettre à table afin de dessiner un sketch est presque la dernière phase de mon travail. Je ne me précipite jamais afin de dessi­ner et colorer mes sketchs. Ceux-ci débutent souvent par un croquis sur un bout de papier, puis je réalise des brouillons. Je garde toujours sur moi un petit crayon pour ce faire. Après de différentes tentatives, j’exécute le sketch final », souligne-t-il. En fait, ce n’est pas de la paresse, mais plutôt il attend la muse, qui gère son esprit d’artiste et le pousse à travailler de manière spontanée, à sa guise.

Sur les plateaux, il est toujours pré­sent pendant le tournage pour suivre les menus détails. Il peut travailler un film et rester deux ou trois ans avant de faire un autre. Que le film remporte un grand succès ou non, peu importe, ce qui compte plutôt à ses yeux c’est son expérience en tant que designer et scénographe. D’ailleurs, il avoue directement : « Il y a des films à suc­cès dont je n’étais pas du tout satis­fait. Mais j’avais accepté d’y partici­per, car les scénarios étaient bons. Après leur projection sur grand écran, j’y avais remarqué tant d’erreurs et de points d’échec, du moins en ce qui me concerne ». Onsi admet qu’il n’aime pas ce qu’il a fait dans le film Al-Kenz (le trésor) de Chérif Arafa et Al-Mossafer (le voyageur) d’Ahmad Maher. « Je n’ai jamais honte de mon travail, même si je le considère faible ou parfois un échec », souligne-t-il, car dans une carrière il y a toujours des hauts et des bas.

Avec le réalisateur Daoud Abdel-Sayed, le chef décorateur garde une très bonne relation professionnelle, mais aussi une amitié exceptionnelle. Les deux ont créé ensemble des films mémorables : Al-Kit Kat, Rassaël Al-Bahr (messages de la mer), Ard Al-Khof (terre de la peur) et pas mal d’autres. « Daoud et moi, nous fai­sons partie de la promotion de 1967 de l’Institut du cinéma. On s’entend parfaitement bien. En travaillant ensemble, il y a un sentiment de paix et d’accord entre nous. Il parvient à toucher par ses films. Il fait partie de ma vie, de mon histoire ».

En travaillant avec Youssef Chahine, Abou-Seif était souvent méfiant. La première rencontre, pour la préparation d’Adieu Bonaparte, n’était pas du tout fructueuse. Onsi pensait se retirer du film. « J’ai demandé avant de signer le contrat de lire le scénario, mais toute l’équipe m’avait dit que c’était impossible. Alors, j’ai refusé de travailler. Puis Chahine a accepté de me raconter de quoi il s’agissait et j’ai commencé à travailler ». C’était un compromis satisfaisant pour lui. Dans Alexandrie encore et toujours de Chahine, ce fut le coup de foudre avec la réalisatrice, auteure et chercheuse Viola Chafiq. « Nous sommes deux cinéastes à la maison, donc, nous nous disputons beaucoup », dit-il en éclatant de rire. Puis il reprend : « Viola participait au film. Elle était à ses débuts. Elle est une Egypto-allemande. Vous savez comment sont les Allemands ? Elle est directe, sincère et stricte. En désaccord avec Chahine, elle n’a pas continué le film. J’étais épris de sa personnalité et sa mentalité. Nous nous sommes mariées en 1990. Cinq ans après, notre fils Ani est né. Ce sont les deux événements qui ont bou­leversé ma vie ». Ses mots laissent entendre une vraie reconnaissance. « Ani est le nom d’un roi sage pha­raonique. A l’âge de 9 ans, notre Ani avait créé un film d’animation assez promettant à l’aide d’une caméra 9 mm. Mais au fil des années, il a été épris de la science et de la biologie. Il a étudié en Allemagne, et après avoir obtenu son diplôme, il a choisi d’étu­dier le droit. Il me surprend et m’in­cite toujours à le redécouvrir », lance le père tout fier.

Jalons

1968 : Décor du film de Tawfiq Saleh Un substitut de campagne en Egypte.

1967 : Choc à la suite de la défaite du 5 Juin.

1970 : Décès du président Nasser.

1990 : Mariage avec la réalisatrice et auteure Viola Chafiq.

1995 : Naissance de son fils Ani.

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