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Cybelle Baghdoud : Le chant du fond de l’âme

Névine Lameï , Mardi, 22 septembre 2020

Chanteuse et chantre syrienne, Cybelle Baghdoud vit en Egypte depuis 2011. Elle anime la messe tous les matins à l’église antiochienne syriaque maronite, à Héliopolis, et possède un projet ambitieux visant à archiver les cantiques religieux les plus célèbres du monde arabe.

Cybelle Baghdoud

Une voix mélodique, pleine de charme, qui excelle à interpréter les cantiques chrétiens, évo­quant l’amour, la paix, la compassion, la joie et la fraternité. C’est ce qui caractérise la chanteuse, parolière et compositrice syrienne Cybelle Baghdoud, qui réside en Egypte depuis 2011, et ce, à la suite des événements poli­tiques qui ont secoué son pays natal. Régulièrement présente à l’église antio­chienne syriaque maronite à Héliopolis, elle chante la liturgie de la messe quoti­dienne matinale de 10h30. Elle se sert efficacement des réseaux sociaux, afin d’annoncer ses activités, notamment Facebook et ses deux chaînes YouTube. La première de ces deux chaînes porte son nom, alors que la seconde est intitulée Halomma Norannéme Lil Rab (chan­tons pour le Seigneur). En fait, celle-ci fait office d’archives réservées aux cantiques chrétiens les plus célèbres.

Sa carrière a commencé en Syrie. Un pays qui hante son âme et son esprit. « Là-bas, faute de moyens, il est difficile de se faire un nom. L’Egypte est quand même un pays plus ouvert. Mais j’ai quand même réussi à faire carrière », raconte Cybelle Baghdoud, qui vient de poster sur sa page Facebook une chanson dédiée à la Syrie qu’elle a elle-même composée. Il s’agit de la chanson Ya Watani (ô ma patrie), avec des paroles de Naïm Atef, qui témoigne d’une grande solidarité avec le peuple liba­nais. « Ya Watani est adressée aux pays du monde arabe, ravagés par l’instabilité et la guerre. Les destins de la Syrie et du Liban demeurent très liés, ce fut ainsi depuis toujours », souligne Cybelle Baghdoud. « Je me sens très heureuse en Egypte, bien intégrée, mais c’est tout à fait normal d’avoir la nostalgie de mon pays. Je m’adapte à ma nouvelle vie, mais je reste attachée à mes souvenirs d’en­fance, aux rassemblements familiaux, aux petites rues pavées de larges dalles de pierre… C’est ce qui forme une personnalité, puis d’un coup, tout a été effacé », avoue-t-elle avec un pincement au coeur.

Cette nostalgie, on la ressent dans ses chan­sons et cantiques, notamment ceux entre 2011 et 2014, tels Mawténi (ma patrie), Nour Al-Salam (lumière de la paix), Ehlam (rêve), Belsodfa Eltaäyna (on s’est ren­contré par hasard), Fattat Charqiya (une fille orientale). « Je trouve que la femme, dans les sociétés arabes, est soumise à des restrictions concer­nant sa liberté et ses droits. J’ai vécu en toute liberté au Canada, puisque mes parents y ont immigré. Puis, je suis arrivée en Egypte où j’ai rencontré mon mari, le photographe Maged Samy. Ce dernier m’a soutenue dans les moments de dépression, de soli­tude et de stress. C’est quelqu’un qui valorise le partage et l’entente au sein du couple ».

Dans leur maison à Madinati, aux alentours du Caire, son mari l’aide à filmer, à enregistrer et à diffuser ses vidéos. Elle a mis en ligne environ 70 cantiques religieux, qui s’inscrivent dans le cadre d’un projet musical qu’elle autofinance, à savoir Halomma Norannéme Lil Rab (chanter pour le Seigneur). « C’est tout un travail d’archives, présenté de manière péda­gogique, dans le but de collecter les cantiques religieux les plus célèbres dans le monde arabe, surtout ceux qui relèvent du patrimoine liturgique de l’Eglise orientale », explique-t-elle.

Cybelle chante comme elle res­pire. « Le chant est l’une des compo­santes majeures de ma personnalité. C’est ce qui me donne la joie ». Très charismatique sur scène, elle s’éclate. « Sur planches de théâtre, je me sens une autre personne, j’aime beaucoup entrer en interac­tion avec le public, bouger, alors que dans ma vie privée, je préfère rester calme », avoue-t-elle.

En 2019, elle a chanté pour la pre­mière fois à l’Opéra du Caire, inter­prétant des oeuvres de Fayrouz, Warda et des qudud alépins. « Chanter des qudud, c’est faire valoir la richesse de la langue arabe et celle de la culture syrienne, à une époque où la politique a tout noirci. En ces temps difficiles, le chant nous unit ; il est capable de nous sau­ver », assure Cybelle Baghdoud.

Ayant fait partie de la chorale de la Cathédrale maronite à Alep, c’est là qu’elle a été formée au chant. Et c’est avec cette chorale qu’elle a voyagé un peu partout dans le monde et a chanté dans les plus grandes cathédrales d’Italie, en 2001, à Rome, Côme et Calabre. De 1998 à 2001, elle a rejoint la chorale Mar Francis du centre Baly de la musique, à Alep. Elle y étudie le solfège et la guitare, à partir de 1995. « Avec la chorale de Baly, j’ai tou­ché à une autre couleur musicale, à savoir la musique classique à cadre liturgique. J’ai chanté Bach, Beethoven, Haendel et d’autres ».

En 2006, elle sort son 1er album Amalanne Jadidanne (un nouveau tra­vail). Puis, en 2007, son 2e album Liqä Hob (rencontre d’amour). Deux albums de cantiques dont elle est fière. Puis en 2008, elle a participé à la pièce Abnä Al-Chams (les fils du soleil), au théâtre Qalaat Halab, tou­jours en Syrie. Durant cette même année, elle a formé sa propre chorale, renfermant 15 choristes, ainsi qu’une troupe regroupant 8 musiciens.

« La première fois que je suis venue en Egypte, c’était en 2006, avec la chorale Mar Francis. On a chanté dans plusieurs églises de Haute-Egypte. Je pense que pour confirmer ma présence sur la scène artistique en Egypte, il faut lancer son propre ensemble musical, avec des instru­ments orientaux et occidentaux. C’est aussi le cas en Syrie. Chanter du tarab classique arabe, en l’impré­gnant d’un esprit moderne, avec des paroles vernaculaires, peu traditionnelles. Ce style plaît aux jeunes ». Cybelle a une grande admiration pour le chanteur d’origine syrienne Georges Wassouf. Pour elle, il représente le vrai chant classique arabe, qui nous fait parvenir à la transe.

« Plusieurs personnes me demandent comment je peux être chanteuse et chantre liturgique à la fois. En fait, dans les deux cas on utilise sa voix pour produire un phrasé musical. J’aime chanter tous les genres musi­caux. La musique est un langage uni­versel, permettant l’échange entre les cultures et les religions. C’est ce qu’ont réussi des grandes dames de la chanson comme Magda Al-Roumi et Fayrouz ».

Née dans le nord-ouest de la Syrie, elle décrit sa ville natale, Alep, comme étant « le foyer du tarab et des qudud ». « Les qudud sont connus depuis l’époque du prêtre syriaque Mar Ephrem, 306 ap. J.-C. Les marchands du monde entier qui passaient par Alep veillaient ensemble le soir, et chacun fredonnait un air venu de son pays. Les Alépins ne retenaient que l’air musical, puisqu’ils ne comprenaient pas les paroles, en faisaient d’autres chansons. Donc ils changeaient les paroles en les adaptant aux airs d’origine. Les qudud racontent notre histoire et celle de l’humanité. Depuis toujours, Alep a été un point de passage incontournable sur la Route de la soie. Sa place géographique, littéraire et artistique a favorisé son développement économique et social. De tout temps, la Syrie a bénéficié d’une grande diversité culturelle », affirme Baghdoud. Habiter en Egypte n’est pas uniquement un moyen de fuir la guerre ou combattre la peur, ni « un manque de patriotisme », comme peuvent le dire certains. « Je n’aime pas rester les mains croisées. En Egypte, j’ai choisi de réussir ma vie », dit Cybelle Baghdoud, diplômée en sciences naturelles de l’Université d’Alep. Ses années universitaires ont été précédées par une éducation stricte chez les religieuses arméniennes, aux établissements scolaires d’Al-Zanabeq, puis Al-Iman. « A l’école, j’étais chargée d’animer toutes les activités musicales. Je voulais faire des études en musique au Conservatoire de Damas. Néanmoins, mes parents ont refusé que je m’éloigne d’Alep », raconte Baghdoud.

Ce sont ses parents qui ont découvert sa passion pour le chant, depuis sa tendre enfance. Son père, Antoine Baghdoud, et sa mère, Rose Karazivan, sont tous les deux architectes. « Ma mère avait une très belle voix, on la surnommait la Fayrouz d’Alep. Elle chantait avec la chorale de l’église maronite d’Alep, tout en me tenant dans ses bras, encore enfant. Je ne cessais de tirer le micro ! », se souvient-elle.

Ayant grandi dans une ambiance musicale, la petite Cybelle intègre à son tour la chorale de l’église maronite d’Alep. A ses débuts, elle chantait des cantiques pour enfants durant les fêtes de Noël et de Pâques. « Alep a une grande diversité confessionnelle, on y vivait en harmonie et en liberté. Je me souviens que le jour du Vendredi saint, nous sortions par milliers dans la rue, avec la croix du Christ crucifié, afin de faire le tour de la ville. Malheureusement, le conflit syrien actuel a tout bouleversé. Que reste-t-il de la Syrie que j’ai connue? Pour moi, juste le chant et la musique. Ce langage universel capable d’unir le monde », conclut Baghdoud, qui vient de partager sur sa page Facebook une nouvelle chanson intitulée Al-Nazil 19 (l’hôte numéro 19). Cette chanson aborde le coronavirus qui a frappé le monde entier, selon elle, tel un tyran issu du conflit éternel entre le bien et le mal. Cybelle nous y invite à la paix et à la solidarité. Un véritable message d’amour l

Jalons

1980 : Naissance à Alep, Syrie.

De 2002 à 2010 : Professeure de solfège au centre Baly de la musique, à Alep.

2003 : Diplôme en sciences naturelles de l’Université d’Alep.

2012 : Chant à la Conférence des jeunes catholiques au Mont Moqattam, au Caire

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