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Nouran Abu-Taleb : La voix aux multiples talents

Névine Lameï, Mercredi, 02 septembre 2020

Jeune chanteuse et compositrice, Nouran Abu-Taleb ne s'enferme pas dans les codes d’un genre particulier, mais interprète une musique plurielle et varie les répertoires. Elle tient son prochain concert à l’Opéra du Caire, le 18 septembre 2020.

Nouran Abu-Taleb
(Photo : Mohamad Moustapha)

Etoile montante de la scène musicale arabe alternative, Nouran Abu-Taleb chante de l’ethno jazz oriental et du pop arabe. La belle texture de sa voix, douce et mélodieuse, a attiré un large public, le 26 août dernier, lors de la 18e édition du Festival d’été organisé par la Bibliothèque d’Alexandrie. Durant la période de confine­ment, elle avait animé quelques concerts en ligne, a fait usage de ses comptes Facebook, Twitter, Instagram ainsi que sa chaîne YouTube pour communiquer avec ses fans, mais elle a quand même connu une période de stagnation comme pas mal d’artistes. « J’ai choisi pour le Festival de la Bibliothèque d’Alexandrie de chanter ma nouvelle chanson : Abaad Makan (l’endroit le plus éloi­gné), sortie le 12 août dernier sur ma chaîne YouTube. Il s’agit d’un duo interprété avec la chanteuse autrichienne Eva Klampfer, alias Lylit. Les paroles sont de Nada Al-Chabrawi et la musique de Samer George et moi-même. La chanson pose plein de questions sur l’être et le néant », pré­cise Nouran Abu-Taleb. Et d’ajouter : « En solidarité avec Beyrouth et le peuple libanais, j’ai chanté Li Beyrouth (pour Beyrouth) et Ya Mariam Al-Bikr (ô Vierge Marie), de la diva Fayrouz, les diffusant en direct, à travers ma page Facebook, le 5 août dernier. La musique est un moyen de communication universel, elle exprime des sensations humaines multiples ».

Née dans le quartier de Manial, au Caire, Nouran Abu-Taleb a grandi dans une famille de mélomanes. Son père, Ossama Abu-Taleb, est professeur de théâtre et d’art dramatique à l’Institut du cinéma. « J’assistais avec mon père aux différentes pièces produites par les théâtres de l’Etat. J’ai beaucoup aimé Lan Tasqot Al-Qods (Jérusalem ne tombera pas), jouée admirablement en arabe classique par Nour Al-Chérif. C’est mon père qui m’a appris comment me tenir sur les planches et avoir une présence scénique ». Sa mère est Nesrine Rouchdi, chanteuse soliste à la troupe de l’Opéra du Caire et professeure de chant lyrique au Conservatoire du Caire. C’est elle qui l’a initiée à la musique classique et au répertoire traditionnel de la musique orientale. D’ailleurs, son panthéon d’hier et d’au­jourd’hui regroupe Oum Kalsoum, Asmahane, Warda, Abdel-Wahab, Fayrouz, Sayed Darwich, Maria Callas, Sting, les Beatles, Elton John, Barbara Streisand, Ella Fitzgerald, Pat Metheny et Ziad Rahbani. « Déjà à l’âge de 3 ans, je chantais de la musique arabe clas­sique, durant les fêtes à l’école et les rassem­blements familiaux. J’aimais bien chanter Hazihi Laylati (c’est ma nuit) d’Oum Kalsoum. C’est une diva qui exprime à merveille les divers états d’âme. A la maison, j’entendais ma mère chanter en arabe clas­sique ou fredonner des airs d’opéra. J’entendais aussi de la musique classique occidentale, notamment Bach et Beethoven que mon père apprécie particu­lièrement. J’ai donc été élevée dans une ambiance mariant les deux cultures orientale et occi­dentale. Néanmoins, c’est le chant oriental qui a fini par m’emporter », déclare Nouran Abu-Taleb, avec un doux sourire sur les lèvres.

En l’été 2018, elle décide de créer sa propre formation musicale Nouran Abu-Taleb et sa troupe. Celle-ci regroupe plu­sieurs jeunes musiciens talentueux, à savoir Samer George (basse guitare), Hany Bedair (percussions), Mostafa Saïd (clarinette et flûte), Ahmed Emry (qanoun) et George Nabil (claviste). La même année, elle participe pour la première fois au Festival de jazz du Caire, alors à sa 10e édition, où elle interprète des chansons de la diva Fayrouz, selon de nou­veaux arrangements plus jazzy signés par le bassiste-compositeur Samer George.

Avec ce dernier, elle constitue un duo très complice. Ensuite, en 2019, à l’occasion de ce même festival, elle collabore avec le pianiste italien Livio Minafra et le groupe de jazz autri­chien Birds Against Hurricanes, présentant des reprises de quelques oeuvres classiques de Fayrouz, Sayed Darwich, Oum Kalsoum, etc. La même année, elle prend part au festival alexandrin Jazz Tales et se produit avec le groupe hollandais Under the Surface.

Puis, à cause du coronavirus, tous les événe­ments culturels sont annulés ; Nouran perd la chance de participer au Festival de jazz à Carthage, qui était prévu le 6 avril dernier. Elle devait y chanter en duo avec la Jordanienne Macadi Nahhas. La plateforme tunisienne de billetterie en ligne EasyTick l’a décrite comme étant « une douce vague du Nil … à l’image de cette génération de jeunes artistes, libre, pas­sionnée, exigeante, porteuse d’un nouveau son universel, vivant et sans frontières ». Elle s’en réjouit.

Chanter en duo la passionne. « Travailler à deux m’enrichit énormément », affirme-t-elle. En octobre 2018, elle a chanté un duo avec le King Mohamad Mounir. Une belle chance, elle l’admet. « Un jour, il a aimé le nouvel arrangement musical de sa chanson phare Chababik (fenêtres) créé par Samer George et chanté par moi-même. Je l’avais posté sur ma page Facebook. C’est une version plus mélancolique. Mounir m’invite par la suite à la chan­ter avec lui, en duo, au Festival We, tenu dans la maison du King, le 29 mai 2020 », raconte-t-elle, en évoquant cette chanson intemporelle, qui date des années 1980.

L’amour de Nouran pour le chant remonte surtout à la période où elle résidait avec ses parents au Koweït, car son père enseignait là-bas à l’université. « On est parti au Koweït alors que j’avais 11 ans. A l’époque, j’ai parti­cipé à tous les shows réservés aux talents à l’école britannique où j’étais. Mes professeurs, tous des étrangers, admiraient ma voix lorsque je chantais Fayrouz. Le chauffeur qui m’ac­compagnait à l’école était syrien ; il n’écoutait que Fayrouz en voiture. Cela a eu un grand impact sur moi. Les chansons de Fayrouz ont une magie particulière, elles peuvent s’adres­ser au bien-aimé comme à la patrie », dit-elle.

Nouran saisissait l’occasion de ses vacances d’été au Caire pour nourrir sa passion de la musique. En 2018, elle étudie avec le virtuose iraqien Nassir Chamma, à la Maison du luth arabe dans le Vieux Caire. Puis, de retour défi­nitivement en Egypte, en 2010, elle prend des cours privés de chant d’opéra et de piano, à l’Université allemande du Caire, avec l’entraî­neur allemand Karl Kronthaler.

Ensuite, elle rejoint des ateliers de musique, animés par les fameux musiciens-compositeurs Fathi Salama et Hazem Chahine. Et suit égale­ment des cours pour s’entraîner à mieux chanter le mouachah (poème arabe à rimes variées) et les adwar (forme musicale vocale en arabe dia­lectal), à l’Institut de la musique arabe.

La jeune fille talentueuse poursuit sa forma­tion avec des éminents professeurs du conserva­toire, en chant arabe classique, chant lyrique et jazz vocal. En 2014, elle rejoint le GUC Music Ensemble, de l’Université allemande du Caire. « Au GUC, j’ai rencontré de grands musiciens égyptiens avec lesquels j’ai collaboré par la suite comme Amr Salah, fondateur de la troupe Eftikassat et initiateur du Festival du jazz du Caire, Bassem Darwich de Cairo Steps, Hany Bedair de Nagham Masri et Rami Attalah. Tous enseignaient la musique au GUC », précise Abu-Taleb, qui n’a pas tardé à devenir membre du quartet de Amr Salah, jouant et revivifiant les chansons des années 1920 et 1930.

Nouran signe en 2017 sa première composi­tion Ma Madda, avec le musicien Ashraf Majed. En 2019, elle sort un premier titre, Fawazir (devinettes). « Fawazir soulève des questions psychologiques, sentimentales et confusion­nelles sur la vie tout court », lance-t-elle.

En parallèle avec ses études en musique, elle a suivi à partir de 2013 des études en droit international, en anglais, à l’Université de Aïn-Chams. « De tout temps, j’ai aimé lire les journaux, suivre l’actualité dans les médias. A l’école, j’aimais les cours d’expression écrite. Faire des études en droit aide à comprendre le monde qui nous entoure, à connaître ses res­ponsabilités et ses droits et à comprendre la loi et le système du pays où nous vivons », indique Abu-Taleb, toujours à la recherche de la vérité, des dessous des affaires publiques.

En 2016, elle participe à un concours de plaidoirie, ELSA Moot Court (European Law Students Association), soutenu par l’Université Oxford, afin de sensibiliser les futurs profes­sionnels au système de la Convention. « Le concours se faisait en ligne, par correspon­dance. Il avait pour sujet la liberté d’expression et l’antiter­rorisme, et était organisé à par­tir de cas fictifs basés sur la Convention. L’Université de Aïn-Chams était la lauréate de la grande finale ».

Une fois diplômée en 2017, elle travaille au cabinet de l’avocat Hossam Lotfi, à Doqqi, et se charge des affaires liées au droit des auteurs. Puis, au bureau des Etats-Unis en Egypte, étant chargée du dos­sier crimes et drogues. « Pour moi, la musique et le droit sont complémentaires, l’un est au service de l’autre. Je pense que l’artiste doit avoir une prise de conscience, une responsa­bilité envers la communauté. Mes chansons parlent toujours des gens ». Actuellement, Nouran prépare huit chansons pour son pre­mier album intitulé Ya Negma (ô étoile). La chanson titre est inspirée de la vie de Van Gogh, d’après des paroles de Rana Gaber, mise en musique par Nouran et Samer George. « Un jour, j’ai assisté au film La Passion Van Gogh. J’étais très touchée par les lettres de Van Gogh adressées à son frère Théo. Elles révèlent une part surprenante et passionnée de la vie de Van Gogh, tout en conservant une grande part de mystère », conclut-elle.

Jalons

Décembre 1994 : Naissance au Caire.

29 mai 2020 : Duo avec Mohamad Mounir.

18 septembre 2020 : Concert à l’Opéra du Caire.

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