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Chérif Al-Dessouky : Le Joker gagnant

May Sélim, Dimanche, 07 juin 2020

Le comédien alexandrin Chérif Al-Dessouky a su se faire une place à part, aussi bien sur le grand écran que sur le petit. Grâce à une prestation spontanée, il a brillé dans le rôle de Sébaï, le figurant ivrogne et raté, dans le feuilleton comique Bé Mit Wech (aux 100 visages).

Chérif Al-Dessouky

« Sabaabaa (sobriquet de Sébaï) me fait rire énormé­ment », « Sébaï est le joker du feuilleton à succès Bé Mit Wech », « un sacré personnage ». Autant de commentaires qui circu­lent sur les réseaux sociaux à pro­pos de ce comédien peu connu pour les téléspectateurs. Il a incarné le comparse raté, qui aime picoler, devenu membre du gang de Boulaq dans le feuilleton qui vient de s’achever Bé Mit Wech (aux 100 visages). A la fin de la télésérie, il est devenu l’idole du grand public, qui l’attendait impatiemment tous les soirs, afin de se détendre.

Chérif Al-Dessouky a fait ses débuts sur les planches des théâtres alexandrins. Il y a passé plus que trente ans, en exerçant tous les métiers relatifs au théâtre. Il a éga­lement joué dans les palais de la culture et avec les troupes indépen­dantes ou alternatives, partout en Egypte. Il en est fier et raconte avec passion: « Mon père, en coopéra­tion avec le scénariste Aboul-Séoud Al-Ibiari et le comédien Ismaïl Yassine, avait construit dans les années 1950 le théâtre Ismaïl Yassine à Alexandrie. Mon père était le directeur technique du théâtre. Il y avait un terrain à vendre, alors Al-Ibiari et Yassine ont choisi de le lui acheter pour y construire une petite maison. Ainsi, il pouvait loger sur place, sans s’éloigner du théâtre. Un simple portail séparait la maison des planches. C’est là que je suis né, à deux pas du théâtre. J’ai grandi dans ses coulisses », raconte le comédien, qui s’est fait nettement remarqué en décrochant en 2018 le prix de la meilleure interprétation masculine dans le film Leil Khargui (nuit extérieure), d’Ahmad Abdallah, au Festival international du film du Caire.

Son père invitait les enfants à prendre part aux tra­vaux dans les cou­lisses du théâtre. « Il avait l’habitude de distribuer les tâches. L’un de mes frères s’occupait de la pré­paration du café, un autre s’occupait de l’éclairage, etc. Quant à moi, j’avais la liber­té de faire ce que je voulais. J’étais souf­fleur, technicien de la lumière, ouvreur des rideaux… Mon père répétait souvent : Chérif est le joker du théâtre ». Et de pour­suivre: « Plusieurs comédiens, devenus célèbres plus tard, cher­chaient refuge dans ce théâtre ou dans notre maison attenante, dont Ahmad Rizq et Mohamad Héneidi. Ils arrivaient la nuit à Alexandrie, afin d’y passer quelques heures, de contempler les planches et les chambres qui portaient les noms d’anciennes stars. Puis, ils retour­naient au Caire, avant le lever du soleil. A l’âge de dix ans, le comé­dien Wahid Seif me voyait en train d’ouvrir manuellement les rideaux. Je le faisais rapidement et il était étonné de mon habileté. Chaque soir, il me donnait 10 piastres afin de m’encourager. Souvent, je contemplais les comédiens pendant les répétitions et je connaissais par coeur leurs dialogues, à partir de la deuxième répétition. Le comédien Hassan Moustapha qui jouait dans la pièce Tigui Nélaabha (venez jouer) a remarqué que j’étais en train de réciter le texte de son personnage, dans les coulisses, avant le lever de rideau. Il était surpris et m’a engagé ensuite comme souffleur ».

Son enfance durant, Chérif Al-Dessouky suivait de près tous les spectacles donnés sur le théâtre Ismaïl Yassine, ceux des pro­fessionnels, des ama­teurs et des troupes commerciales. « Un jour, une troupe commerciale cher­chait un enfant pour jouer dans l’une de ses pièces. Et c’était moi. J’étais aux anges! Mais mon père, furieux, m’a donné une raclée inou­bliable. Il refusait que son fils s’en­gage dans le milieu artistique qu’il jugeait assez dangereux. Je n’ai pas pu jouer sur les planches en tant que professionnel qu’après sa mort ».

Il est resté pendant longtemps un acteur clandestin, un amateur pas­sionné, qui jouait loin du théâtre que dirigeait son père. « Les amis de mon père, tous des hommes de théâtre, savaient que j’avais une passion sincère pour le jeu. Ils m’offraient, en secret, des livres sur le théâtre et des pièces classiques traduites vers l’arabe. Je rongeais les livres. J’étais avide de tout savoir sur le théâtre. Les profes­seurs de dramaturgie comme Sami Abdel-Halim et Aboul-Hassan Sallam m’ont donné un laissez-pas­ser permanent pour l’Académie des arts. Cette carte me permettait d’assister aux classes libres de l’Institut supérieur des arts drama­tiques », raconte-t-il.

Le chemin d’Al-Dessouky est parsemé d’embûches. Des pro­blèmes en série s’abattent sur lui, freinant l’évolution de sa carrière. D’abord, le théâtre Ismaïl Yassine où il a grandi est démoli en 1995. Le comédien sombre alors dans la dépression et a recours à l’aide d’un psychiatre pour s’en sortir. « Je me suis retrouvé sans théâtre, ni maison. Pas une trace de mon enfance. Plusieurs m’ont accusé de devenir complètement fou », avoue-t-il. Et de poursuivre : « Malheureusement, la plupart des théâtres d’Alexandrie ont été détruits pour construire à leur place des immeubles géants. Sur la corniche, il y avait 14 théâtres. Aujourd’hui, il n’y a que 2 théâtres dans toute la ville ». Deuxième coup bouleversant, son divorce après une longue histoire d’amour. « Il m’a fallu du temps pour m’en remettre », dit-il.

Dévoué au théâtre, Chérif Al-Dessouky est devenu quand même un comédien connu dans les milieux alexandrins. Il n’a aucunement pro­fité des relations de son père avec les hommes de théâtre pour décro­cher des rôles sur les planches ou dans le cinéma. Il n’a jamais cherché à devenir célèbre, mais à assouvir sa passion pour le jeu et faire la paix avec soi-même.

Conteur incontestable, il se fait remarquer des spectateurs, avec qui il crée un lien particulier. Car avant d’entamer une soirée de contes, il leur demandait souvent de répéter derrière lui: « Nous jurons par tout ce qui suivra, par chaque mot, chaque battement du coeur, que nous allons essayer de visualiser ce qui est raconté ». « Ma première soirée de contes, qui a eu lieu devant un large publi, s’est déroulé en 2001, à l’occasion de l’ouver­ture de la Bibliothèque d’Alexan­drie. Depuis, j’ai été fasciné par le monde de la narration », se sou­vient-il.

Pour lui, la narration est un vrai défi. Car il se retrouve, seul, face à face avec le public et il doit parve­nir à attirer l’attention de tous jusqu’au bout. S’ajoutent à ceci les techniques variées de l’art du jeu et une parfaite maîtrise de l’improvi­sation. Pour mieux creuser dans le patrimoine de l’Egypte, il a passé tout un mois avec les conteurs tra­ditionnels de la Haute-Egypte. « J’étais toujours épris de la tradi­tion orale de la Geste hilalienne, répandue en Haute-Egypte et sur­tout à Qéna. Ce sont des histoires à l’infini, narrées de manières très différentes. J’ai voulu m’approcher davantage de ce monde. Alors, j’ai dû accompagner les conteurs de Qéna et apprendre leurs récits et leurs styles de narration ».

Ainsi, les soirées de contes qu’il anime ne se ressemblent guère, même s’il raconte la même histoire. Il sait comment varier les tons, changer de styles, ajouter des per­sonnages secondaires, impliquer le public dans l’histoire en lui deman­dant de réagir. Bref, à chaque soi­rée, son charme et ses secrets. En fait, il tente de mémoriser toujours les traits et les comportements des personnes qu’il croise tous les jours. De quoi lui faciliter de ren­trer dans la peau des personnages interprétés dans une oeuvre ou une autre. C’est le secret de son inter­prétation sincère du rôle de Moustapha, le chauffeur de taxi dans le film d’Ahmad Abdallah Leil Khargui (nuit extérieure). « Avant de jouer dans Leil Khargui, j’avais participé au film Hawi (le magi­cien) d’Ibrahim Al-Battout, qui a remporté le prix du meilleur film au Festival Doha Tribeca (Doha Tribeca Film Festival, DTFF). Grâce à ce film et à ce prix, j’ai été admis à un atelier de formation avec la star américaine Kevin Spacy. Le réalisateur Ahmad Abdallah me suivait au loin et assistait de temps à autre aux soirées de contes que je donnais sporadiquement, et c’est ainsi que je fus sélectionné pour le film Leil Khargui ». Un tournant dans la vie de Chérif Al-Dessouky.

Aujourd’hui, il est en train de tourner dans le film de Magdi Ahmad Ali, 2, Rue Talaat Harb, et dans le feuilleton de Amr Salal, La Métaphysique. Mais il n’oublie pas sa grande passion: le théâtre, puisqu’il prépare un nouveau projet intitulé Théâtre Corona. « C’est un projet qui traite de l’actualité. J’ai envie de faire un spectacle ou une soirée de contes, devant un public réduit, dispersé en salle, de manière à respecter la distanciation sociale. Et ce, après avoir terminé les tour­nages en cours », lance le comédien qui compte également participer, l’an prochain, à la deuxième partie du feuilleton comique à succès Bé Mit Wech (aux 100 visages) .

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